Un futur énergétique durable selon négaWatt

Le 29 septembre, l’association négaWatt présentait son nouveau scénario énergétique à l’horizon 2050. De quoi démontrer, selon ses défenseurs, la possibilité de sortir du nucléaire d’ici une vingtaine d’années.

Par Bernard Romney, le 04/10/2011

Dérèglement climatique, épuisement des gisements de pétrole et de gaz, risque nucléaire… Pour répondre à l’urgence, négaWatt, une association d’ingénieurs, travaille depuis 2001 à l’élaboration d’un scénario énergétique alternatif. Objectif : apporter la preuve qu’il est possible de sortir du nucléaire, tout en respectant l’impératif d’une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre. Révisé en 2006, ce scénario vient d’être refondu. Conclusion des experts : une baisse d’environ 65% de la demande énergétique est possible d’ici à 2050. Comment ? En combinant sobriété énergétique, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables.

À quoi sert le nucléaire ?

Le nucléaire sert à produire de l’électricité (80% de notre consommation électrique en France provient du nucléaire) mais l’électricité ne couvre que 22% de nos besoins énergétiques. Par ailleurs, seuls 33% de l’uranium consommé par l’industrie nucléaire sert in fine à produire de l’électricité.

« On parle sans cesse de production d’énergie, argumente Thierry Salomon, président de négaWatt. Mais jamais de la demande. Or, en prenant comme point de départ l’ensemble de la consommation énergétique française, puis en reconstituant à partir d’elle l’ensemble du réseau énergétique, jusqu’aux énergies primaires, on constate qu’il existe un gigantesque gisement dans la maîtrise de l’énergie, ce que nous appelons de manière imagée des ‘’négawatts’’. »

Qu’est-ce qu’un négawatt ?

Le watt étant une unité de puissance, le négawatt – concept imaginé par l’écologiste américain Amory Lovins – représente la puissance que l’on pourrait économiser via des évolutions technologiques ou des changements de comportements.

Comment agir ?

Trois questions à Philippe Quirion, économiste, membre de l'association négaWatt

Selon l’association, le plus important filon de négawatts se trouve dans le secteur du bâtiment qui engouffre à lui seul 40% de nos besoins énergétiques. Ainsi, en 2050, on pourrait économiser 600 térawattheures (TWh) par rapport à la consommation actuelle, ce qui correspondrait à une baisse de 63% de la consommation. De même, les transports représenteraient un gisement de 400 TWh, soit une diminution de 67% de la consommation dans le secteur. Puis l’industrie, 200 TWh, soit 50% d’économie.

Pour tenir ces objectifs, deux impératifs : une révision complète de nos modes de vie et la mise en œuvre de politiques volontaristes. Ainsi, dans le bâtiment, il s’agira, côté sobriété, de stabiliser le nombre d’habitants par foyer (en baisse depuis cinquante ans selon l’Insee) et de réduire la surface moyenne par habitant. De quoi économiser 3 millions de logements d’ici à 2050. Et pour l’efficacité, de travailler sur l’isolation et l’optimisation des modes de chauffage. De même, l’objectif de réduction de la consommation dans les transports résultera d’une remise en cause de l’étalement urbain et du développement des transports en commun.

Développement des différentes filières renouvelables dans le scénario négaWatt (en TWh)

Côté énergies primaires, le scénario négaWatt table sur un décollage des énergies renouvelables. En particulier de la biomasse, avec comme première ressource le bois ; mais également du méthane issu, par exemple, des déjections d’élevage ou par synthèse chimique à partir du dioxyde de carbone émis par l’industrie. Sans oublier l’éolien, l’hydroélectrique et le photovoltaïque.

De quoi non seulement sortir du nucléaire en 2033, selon les auteurs de ce scénario. Mais également de réduire à peau de chagrin notre consommation de pétrole et de gaz. Et, ce faisant, mettre la France en cohérence avec l’objectif d’un réchauffement planétaire n’excédant pas 2°C. Soit le seuil critique à ne pas dépasser selon les experts climatiques.

Objectif crédible ?

Évolution comparée des consommations d'énergie par usages entre le scénario tendanciel et le scénario négaWatt (en TWh)

Pour Thierry Salomon, « notre scénario n’est fondé que sur des technologies existantes, nous sommes donc confiants sur ses aspects technologiques ». Et à ceux qui reprocheraient à l’association négaWatt un chiffrage financier approximatif, Marc Jedliczka, membre de l’association, rétorque : « Nous estimons qu’en trente ans, il est possible d’économiser 750 milliards d’euros sur notre facture d’énergies fossiles. Sans compter le gisement d’emplois potentiels dans le solaire, l’éolien ou, bien sûr, le bâtiment. » Et d’ajouter : « Ne rien faire n’est pas une solution. » Pour autant, Thierry Salomon concède : « Il existe des incertitudes sur l’inertie du modèle actuel, et le type de gouvernance ou les systèmes de prise de décisions à mettre en place pour parvenir à nos objectifs. »

L’avis de Bertrand Barré, conseiller scientifique d’Areva

« Premièrement, le scénario de l’association négaWatt n’a rien de délirant. Je suis à 100% d’accord avec eux quant à leurs objectifs de sobriété. Ils sont extrêmement ambitieux, mais ça ne me choque pas. Pour autant, concernant la production d’électricité, il me semble impossible de remplacer le nucléaire exclusivement par du renouvelable. Tout simplement parce que l’électricité ne se stocke pas ou très mal. Or les énergies renouvelables sont intermittentes. Dans ces conditions, il est donc très difficile de répondre aux variations instantanées de la demande. Certes, négaWatt prévoit de pallier cette difficulté par un recours au biogaz. Mais je considère qu’ils surévaluent grandement les possibilités techniques de sa production, même à échéance de plusieurs décennies. Ainsi, je ne vois pas comment ils pourraient tenir leur objectif de sortie du nucléaire sans un recours plus important qu’ils ne le disent aux énergies fossiles. »

Il n’empêche, comme le confirme Claude Mandil, membre de la commission Énergie 2050, mise en place en juillet 2011 par le gouvernement, « le scénario proposé par négaWatt fera partie de ceux sur lesquels nous porterons une appréciation ». Preuve de l’intérêt qu’il suscite, même au plus haut niveau. Et c’est tout l’objectif de négaWatt : « Mettre nos résultats à la disposition de tous, afin qu’ils alimentent le débat. »

Bernard Romney le 04/10/2011