Gare aux loups ! Bilan du plan d'action

Dans le cadre du nouveau Plan d'action, le nombre de loups qui pourront être tués cette année passe de quatre à six et les éleveurs vont pouvoir user de « tirs de défense ». Un premier loup a été officiellement abattu le 2 septembre 2005.

Par Lise Barnéoud, le 21/09/2005

Les nouvelles mesures

Dans son Plan d'action mis en place en novembre 2004, le ministère de l'Environnement a décidé de porter de quatre à six le nombre maximal de loups qui pourront être « prélevés » dans neuf départements (Ain, Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie et Var) pour la période 2005/2006. Mais la grande nouveauté par rapport à l'année précédente réside dans l'autorisation donnée aux éleveurs de procéder à des tirs de défense.

« Les tirs de défense et les tirs d'effarouchement sont les deux nouveautés du programme 2005 »

« Ces tirs ne seront possibles que sur autorisation individuelle délivrée par le préfet et sous réserve que l'éleveur possède le permis de chasse et ait préalablement protégé son troupeau », précise Nelly Olin, la ministre de l'Environnement. De plus, seuls les éleveurs qui auront connu trois attaques successives en trois semaines pourront participer à ce dispositif.

Pour l'heure, un seul loup a été officiellement abattu dans l'Isère par des gardes assermentés le 2 septembre 2005.

Par ailleurs, le programme 2005 prévoit une augmentation des indemnisations des éleveurs victimes d'attaques et une simplification des procédures administratives nécessaires à ces remboursements.

Un loup tué par un éleveur en Savoie

Quelques jours après l'autorisation des « tirs de défense », un loup a été abattu par un berger en Savoie, sans qu'aucune des conditions imposées par le protocole n'ait été respectée. « J'ai vu un gros chien s'approcher plusieurs fois de suite de mon troupeau, j'ai pris le fusil et j'ai tiré, explique le berger rencontré sur son alpage. Ce n'est qu'après coup que je me suis aperçu qu'il s'agissait d'un loup ». Le berger affirme ne pas avoir eu connaissance du plan d'action loup, ni même de la récente autorisation des tirs de défense. Ce n'est donc pas une conséquence directe du nouveau protocole mis en place par le gouvernement. Toutefois, la ministre de l'Environnement a condamné cet acte et a rappelé à cette occasion que seul le respect des procédures du protocole garantissait la légalité de ces tirs de défense. La ministre a également précisé que le nombre de loups qui pourront être tués dans le cadre du Plan d'action loup 2005/2006 passait en conséquence de 6 à 5.

Des réactions virulentes

Jean-François Darmstaedter

Mesurette pour les uns, catastrophe écologique pour les autres, la décision de la ministre, qui visait également à apaiser les tensions quelques semaines après la mort de cinq génisses attribuée à un loup en Isère, suscite des réactions assez violentes. Les écologistes accusent Nelly Olin de privilégier les tirs aux dépends de la prévention. Par ailleurs, ils considèrent que « la population de loups n'est pas encore en état de conservation » et qu'il est donc prématuré d'en tuer six.

Yves Raffin, directeur de la fédération des alpages de l'Isère (1'15)

Du côté des éleveurs, on lui reproche de ne pas en faire assez :  « L'autodéfense a ses limites : on ne peut pas être éleveur de moutons dans la journée, faire ses foins, s'occuper de ses animaux et faire le guet toute la nuit », a ainsi déclaré à l'AFP Denis Grosjean, responsable de l'Association européenne contre les prédateurs. « Même si cette mesure va dans le bons sens pour les éleveurs, il y a un décalage entre une situation d'urgence et la lourdeur des demandes d'autorisation administrative », explique pour sa part Yves Raffin, directeur de la Fédération des alpages de l'Isère.

Isabelle Mauz, chercheur au Cemagref

Si les réactions sont toujours aussi dichotomiques et virulentes « c'est que pour les deux camps, il est extrêment difficile de renoncer à son idéal », analyse Isabelle Mauz, chercheur au Cemagref (Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement) de Grenoble et spécialiste de la question du loup.

Les dégâts causés par le loup

La répartition des loups en France en 2003

Depuis leur retour en 1992, les loups sont en pleine expansion. D'une dizaine d'individus recensés au milieu des années 90, on estime aujourd'hui entre 70 et 100 le nombre de loups en France. Selon l'ONCFS (l'office national de la chasse et de la faune sauvage), la population de loups augmente d'environ 20% par an.

Parallèlement, le nombre de communes concernées ne cesse lui aussi d'augmenter : en 2004, le loup a été détecté sur plus 189 communes, contre une dizaine en 1994.

Evolution du nombre d'attaques et de victimes dues aux loups

Conséquence : le nombre d'attaques sur les troupeaux d'ovins attribuées aux loups est passé de 51 en 1994 à 525 en 2004, soit une augmentation d'environ 29% chaque année. Par ailleurs, le nombre de bêtes indemnisées a grimpé de 192 en 1994 à 1945 en 2004.

Ces chiffres sont bien sûr à relativiser. On compte près d'un million d'ovins dans les zones à risque : les attaques du prédateur ne touchent donc que 0,2% du cheptel de l'arc alpin. Le problème, c'est qu'elles se concentrent sur certains alpages, ce qui rend difficile l'interprétation de cette moyenne.

Comment compte-on les loups ?

Récolte d'indices du passage du loup

Comme pour tout animal sauvage, et certainement plus encore pour le loup, il est extrêmement difficile, voire impossible, de réaliser un comptage exhaustif des individus.

En France, depuis 1993, le suivi des loups est réalisé au travers d'indices récoltés sur plus de 20 000 km² par les 450 correspondants du réseau Loup. Ce réseau d'observateurs, placé sous la responsabilité de chaque direction départementale de l'agriculture et de la forêt, comprend des professionnels (agents ONCFS, ONF ou des parcs) comme des particuliers. Tout au long de l'année, mais particulièrement durant l'hiver où les indices sont plus visibles, ces correspondants collectent poils, crottes, urines, restes de carcasses et pistent toutes les traces possibles du loup.

Ces observations sur le terrain permettent une première estimation du nombre d'animaux par secteur et déterminent l'effectif minimal. Par la suite, certains de ces indices sont envoyés au laboratoire pour des expertises génétiques afin d'apporter un complément d'information : identification de l'espèce et de sa lignée d'origine, et même identitification génétique individuelle. Ces analyses confirment ou non la présence de l'espèce Canis lupus sur une zone donnée, mais elles permettent également de suivre l'évolution d'une meute ou d'un animal et les processus de colonisation.

Quelles solutions ?

Comment faire cohabiter l'homme et le loup ? À cette question, certaines associations écologistes avancent que des pays comme l'Italie ou l'Espagne supportent parfaitement la cohabitation, malgré une population de loups bien plus importante qu'en France. Ces pays, où le loup n'a jamais disparu, ont privilégié l'élevage de brebis laitières, contrairement à la France qui favorise l'élevage de brebis nourrices, pour la filière « viande ».

Or, ces deux types d'élevage sont très différents : dans le premier cas, le nombre de brebis est moins important et les troupeaux sont rentrés tous les soirs ; dans le second, les troupeaux, de plusieurs centaines de têtes, paissent jusqu'à douze mois par an dans les alpages. Les brebis nourrices sont donc des proies plus faciles pour le loup.

Pour la spécialiste Isabelle Mauz, les conditions pour éviter qu'il y ait trop de dégâts passeront par une véritable politique avec plus de moyens matériels, humains et financiers.

Reste qu'il existe des mesures de protection qui, tout n'en étant pas des mesures infaillibles, permettent néanmoins de réduire les dégâts du prédateur. Ainsi, les trois moyens de protection que sont le chien de garde, les filets et le gardiennage diminuent significativement le nombre de victimes par attaque. Or à l'heure actuelle, seul un quart à un tiers des éleveurs exerçant dans les communes concernées par le loup, ont mis en place ces systèmes de protection.

Entre une position extrême qui préconise d'abattre tous les loups en France, et l'autre attitude, tout aussi extrême, qui consiste à rendre le loup intouchable et à laisser croître ses effectifs, quelles solutions envisager ?

Lise Barnéoud le 21/09/2005