Formation du système solaire : trois énigmes résolues simultanément ?

Les taches sur la Lune, la position des planètes géantes, la présence de certains astéroïdes sur l'orbite de Jupiter… En proposant un nouveau modèle de formation du système solaire, une équipe internationale vient peut-être de trouver une solution à ces trois énigmes scientifiques.

le 04/08/2005

Des « mers » sur la Lune ?

Des « mers » sur la Lune ?!

« Mer de la tranquillité », « Mer de la sérénité »… les mers lunaires n’ont de maritime que leur nom ! On sait en effet – depuis bien longtemps mais plus précisément depuis les missions Apollo – que ces étendues sombres ne sont que d’énormes bassins d’impacts inondés par de la lave aujourd’hui solidifiée.

On sait également que ces régions sont apparues relativement tard dans l’histoire du système solaire : 700 millions d’années environ après la formation de la Terre et de son satellite. Pour preuve, ces « mers » sont peu cratérisées, ce qui constitue une particularité des terrains jeunes. Restait à comprendre l’origine de ce « bombardement intense tardif » appelé aussi LHB (pour Late Heavy Bombardment).

Grâce à leur modèle numérique, quatre astronomes* réunis dans le cadre d’un programme de l’Observatoire de la Côte d’Azur (OCA-CNRS) à Nice, viennent de résoudre** cette énigme, expliquant par la même occasion deux autres mystères scientifiques : celui concernant la position actuelle des planètes géantes, et celui relatif à la présence des astéroïdes « troyens » qui évoluent sur la même orbite que Jupiter.

« Jusqu’à maintenant, de nombreux modèles permettaient d’expliquer l’une ou l’autre de ces trois contraintes, explique Patrick Michel, astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur, mais aucun n’arrivait à les expliquer simultanément. Et c’est bien là la force de ce nouveau modèle. »

* Alessandro Morbidelli (France), Rodney Gomes (Brésil), Harold Levison (États-Unis), Kleomenis Tsiganis (Grèce)
** Nature, 26 mai 2005

Un système solaire plus condensé

Un système solaire plus condensé

L’hypothèse, plutôt originale, avancée par les chercheurs est que les quatre planètes géantes (à savoir Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) étaient à l’origine beaucoup plus proches du Soleil qu’aujourd’hui : la plus lointaine n’excédant pas 20 UA, soit 20 fois la distance Terre-Soleil, alors que Neptune se situe actuellement à 30 UA.

De plus, ces planètes devaient être entourées d’un disque de petits corps glacés et rocheux, des planétésimaux, « ce qui semble tout à fait cohérent, souligne Patrick Michel, parce qu’on sait que, à mesure que l’on s’éloigne du Soleil, la densité de matière ne s’arrête pas brutalement ».

Créant un modèle numérique à partir des ces deux hypothèses, les astronomes ont donc cherché à comprendre comment un tel système évoluait dans le temps. Ils ont été comblés…

Une gigantesque partie de billard

La simulation, qui a nécessité de lourds moyens informatiques et plusieurs mois de calculs, montre que, au début du système solaire, certains de ces planétésimaux ont été lentement éjectés de leur disque sous l'effet des perturbations gravitationnelles exercées par les planètes.

« Comme Isaac Newton nous l'a appris, chaque action provoque une réaction égale et opposée, rappelle Kleomenis Tsiganis, l’un des quatre auteurs de ces travaux. Si une planète éjecte un planétésimal en dehors du système solaire, en compensation, celle-ci se déplace légèrement vers le Soleil. Si à l'inverse la planète envoie le planétésimal vers l'intérieur, alors elle va s'éloigner légèrement du Soleil. » C’est ainsi que Jupiter s’est lentement rapproché du Soleil, tandis que les autres géantes s’en sont éloignées.

Mais 700 millions d’années après les débuts du système solaire, tout se précipite. À cette époque, Saturne atteint une position à laquelle sa période orbitale correspond exactement à deux fois celle de Jupiter. Cette configuration appelée résonance a pour conséquence un allongement des orbites des deux planètes.

À leur tour, les orbites de Neptune et d’Uranus sont perturbées, devenant elles aussi beaucoup plus allongées. Les simulations de l’équipe de Nice montrent ainsi que ces planètes ont très rapidement pénétré le disque de planétésimaux, éparpillant ces petits objets vers l’extérieur du système solaire, mais aussi vers l’intérieur, dans les régions de Mars et de la Terre. Cette pluie d’astéroïdes, survenue il y a environ 3,9 milliards d’années, serait donc à l’origine du LHB et des mers lunaires.

Le problème des Troyens

Les astéroïdes troyens

Restait un problème à résoudre : comment expliquer que les « Troyens », ces astéroïdes placés sur l'orbite de Jupiter à 60° de part et d'autre de la planète, n'aient pas été éjectés eux aussi ?

« Nous sommes restés assis pendant des mois à cogiter sur ce problème qui semblait rendre invalide notre modèle, reconnaît Alessandro Morbidelli, jusqu'à ce que nous réalisions que si un oiseau peut s'échapper d'une cage ouverte, un autre peut y rentrer et y faire son nid ! »

Ainsi, si des astéroïdes ont bien été éjectés hors de leur ceinture, d'autres ont été capturés sur l'orbite des actuels Troyens. C'est en tout cas ce que confirment les simulations : la distribution calculée semble conforme aux observations, de même que la masse totale de ces objets qui paraît en accord avec la réalité.

À confirmer...

Comment ces travaux ont-ils été accueillis par la communauté scientifique ?

Ce modèle, qui semble expliquer tant de choses, doit maintenant être validé par des observations. « Si l'on avait une meilleure connaissance des compositions de Neptune et d'Uranus, nous pourrions vérifier que ces deux planètes se sont formées dans la même région du système solaire », explique ainsi Patrick Michel. De même, il faudrait pouvoir vérifier que les astéroïdes troyens ont une composition comparable à celle des objets de la ceinture de Kuiper qui gravite au-delà de Neptune.

« Il va également falloir que ces chercheurs travaillent sur les approximations qui ont été faites dans leur modèle. Il arrive parfois qu'un modèle marche avec certaines approximations, et qu'il ne fonctionne plus dès lors que celles-ci sont levées », rappelle Patrick Michel. Alessandro Morbidelli et ses collègues semblent en être conscients : ils travaillent déjà sur l'amélioration de leur modèle.

le 04/08/2005