Economie : pourquoi le pétrole flambe-t-il ?

Le prix du pétrole a plus que doublé en l'espace de trois ans. Or, selon l'Agence international de l'énergie qui vient de publier son rapport annuel sur les perspectives énergétiques (2005 World Energy Outlook), cette hausse des prix pourrait se poursuivre si les capacités de production ne sont pas significativement augmentées dans les prochaines années. Le point sur les raisons de cette flambée.

Par Philippe Testard-Vaillant, le 29/11/2005

+ 100 % d’augmentation en trois ans

Le prix du baril de pétrole fait irrésistiblement penser à l'histoire de la petite bête qui monte, qui monte…

Après avoir longtemps - et sagement - tourné autour de 20 dollars, le cours du brut s'est mis à s'affoler et n'en finit pas de battre des records à la hausse : 30 dollars en 2003, 50 dollars en octobre 2004, jusqu'à 70 dollars fin août 2005 et 60 dollars aux dernières cotations, soit + 100 % d'augmentation en moins de trois ans. Et ce n'est sans doute pas fini.

Quelle mouche, énervée par des spéculateurs soucieux de gagner vite et bien de l'argent, a donc piqué le liquide brun sombre, qui représente aujourd'hui 35 % de l'énergie consommée sur Terre, pour qu'il s'amuse à faire des bonds pareils et promette à l'économie mondiale d'en voir des vertes et des pas mûres ?

Un troisième choc mondial

Les trois chocs pétroliers

La demande explose…

Importations chinoises de pétrole depuis 1996

Première explication : le décollage fulgurant des importations des pays émergents, au premier rang desquels la Chine, la future usine de la planète qui produit 3,5 millions de barils par jour mais en consomme le double. Ce boom économique, tout comme celui de l'Inde, de la Malaisie, de la Thaïlande et de la zone OCDE, a très fortement fouetté la croissance de la demande pétrolière en 2004, bien plus, en tout cas, qu'au cours des 20 dernières années.

Olivier Rech, économiste à l'Institut français du pétrole

Résultat : le marché pétrolier, qui affichait jusqu'ici des capacités de production excédentaires et proposait des prix stables (sauf en cas de coup dur comme la première guerre du Golfe en 1990), « est aujourd'hui saturé et doit fonctionner quasiment en flux tendus, ce qui fait automatiquement flamber les cours », explique Olivier Rech, économiste à l'Institut français du Pétrole.

... mais la production est à son maximum

Olivier Rech (IFP) : « Nous avons consommé tout au plus la moitié de nos réserves »

Si les « grosses patates » (des gisements géants, dans le jargon des pétroliers) se font rares, la crainte d'une diminution des ressources pétrolières ne semble pas être la raison principale de l'emballement actuel du prix du baril.

En revanche, l'Arabie saoudite, tout comme les autres pays membres de l'OPEP (l'Organisation des pays exportateurs de pétrole) n'a pas mis la main à la pâte pour moderniser ses installations pétrolières et se montre incapable d'augmenter massivement sa production pour répondre à la demande.

Le Moyen-Orient représente 65% des réserves mondiales connues de pétrole

Sans oublier que la plupart des « poids lourds » jonglant avec les cartes maîtresses du jeu pétrolier, en l'occurrence 80 % des réserves (l'Arabie saoudite, le Koweït, l'Irak, l'Iran, la Russie et le Mexique), ne confient les clés du coffre qu'à leurs entreprises nationales et refusent obstinément de s'ouvrir aux investissements étrangers, ce qui aurait le mérite de relancer les efforts de prospection et d'exploitation et de calmer l'envolée des prix.

Un contexte géopolitique instable

La situation en Irak participe à l'envolée du prix du pétrole

Autre facteur expliquant que le marché soit actuellement tendu comme un arc : les menaces géopolitiques qui planent sur les pays du Golfe et les risques d'attentats contre les puits situés en Irak.

« Toute alerte terroriste visant les pays pétroliers exportateurs a pour effet de "doper" le prix du baril, commente Patrick Criqui, du Laboratoire d'Economie de la production et de l'intégration à l'Université de Grenoble 2. Or, plus de deux ans et demi après le débarquement des Marines à Bagdad, alors que début 2003, les observateurs prévoyaient à brève échéance un doublement, voire un triplement de la production irakienne (on anticipait donc un problème de sur-production !) grâce à l'intervention américaine, le moins que l'on puisse dire est que cette menace est loin d'être écartée. Et que le "miracle" n'a pas eu lieu ».

Les catastrophes « naturelles » comme facteur d'instabilité

Les catastrophes « naturelles », à l'exemple du cyclone Katrina et de sa non moins ravageuse consœur Rita qui ont dévasté le golfe du Mexique en septembre dernier, déstabilisent également les cours du pétrole.

« Katrina et Rita sont deux exemples "parfaits" de déstabilisation brutale du marché pétrolier », résume Olivier Rech. De fait, rien ne pouvait arriver de pire au plus mauvais endroit. Car la région touchée hébergeait environ 25 % des puits de pétrole des Etats-Unis et certaines des plus grosses unités de raffinage du pays, lequel consomme un quart de la production mondiale et la moitié de toute l'essence produite sur Terre. D'où l'extrême nervosité qui s'est emparée, depuis, du pétrole raffiné et des carburants.

Et demain ?

Fatih Birol, auteur du rapport annuel sur les perspectives énergétiques de l’Agence internationale de l’Energie

Selon le rapport annuel sur les perspectives énergétiques ("2005 World Energy Outlook") de l'Agence internationale de l'Energie, si les pays producteurs d'or noir n'augmentent pas de façon significative leur investissement dans les infrastructures pétrolières, le prix du baril restera élevé, avec une moyenne annuelle en 2010 estimée à 53 dollars.

Toutefois, les « coups durs » (catastrophes climatiques, terrorisme, conflits …) sont imprévisibles et certains augures vont jusqu'à pronostiquer un baril à plus de 100 dollars pour 2007 …


Philippe Testard-Vaillant le 29/11/2005