Retour sur la Lune : mais à quel prix ?

Selon l'objectif fixé par l'administration Bush il y a tout juste deux ans, la Nasa va envoyer des hommes sur la Lune à l'horizon 2020. Une entreprise pharaonique dont la complexité et le coût vont avoir de nombreuses répercussions sur le reste du programme spatial américain.

le 14/01/2006

44 ans après Kennedy…

Le 14 janvier 2004, au siège de la Nasa, le président George W. Bush s'apprête à lancer un discours destiné à faire date : « Il est temps pour l'Amérique de franchir une nouvelle étape. »

George W. Bush, le 14 janvier 2004 : « Il est temps pour l'Amérique de franchir une nouvelle étape... »

« Aujourd'hui, j'annonce un nouveau plan destiné à explorer l'espace et étendre la présence humaine à travers le système solaire. En 2008 au plus tard, assure-t-il, nous enverrons une série de missions robotisées à la surface de la Lune pour faire de la recherche et préparer l'exploration humaine. Puis, à l'aide d'un nouveau véhicule d'exploration, nous entreprendrons des missions vers la Lune dans le but de vivre et de travailler sur place pendant des périodes de plus en plus longues ». Une étape qui, selon lui, permettra d'entreprendre « des missions encore plus ambitieuses : des missions humaines vers Mars et les mondes au-delà ».

En 1960, le président Kennedy avait déjà exprimé la volonté d'envoyer des hommes sur la Lune « avant la fin de la décennie ». En pleine guerre froide, l'enjeu du programme Apollo était bien évidemment politique : il s'agissait d'appuyer la suprématie des États-Unis sur l'URSS.

En ce début de XXI° siècle, il n'échappera à personne que cette volonté nouvelle de retourner sur la Lune demeure un enjeu tout autant politique : à travers ce projet, le président des États-Unis cherche sans doute à redorer une image considérablement ternie par le conflit irakien. Quoi qu'il en soît, la Nasa doit revoir tout son programme spatial.

Les principales étapes de l'exploration de la Lune

Si Neil Armstrong et Edwin Aldrin ont été les premiers hommes à marcher sur la Lune en 1969, l'exploration de notre satellite naturel a commencé il y a plus de quarante ans.

    • Septembre 1959 : la sonde soviétique Luna-2 s'écrase sur la Lune.
    • Un mois plus tard, Luna-3 rapporte les premières photographies de sa face cachée.
    • Piqué au vif par les succès de l'URSS, le président John Kennedy jure de prendre sa revanche en donnant dix ans à l'Amérique pour envoyer un homme sur la Lune. La course s'accélère…
    • Juillet 1964 : les États-Unis lancent Ranger 7 qui enverra plus de 4000 clichés de la surface lunaire.
    • 1966 : Luna-9 rapporte les premières images de la Lune à être diffusées à la télévision ; Luna-10 devient le premier satellite artificiel jamais mis en orbite autour de notre satellite naturel.
    • La même année, la sonde américaine Lunar Orbiter 1 cartographie plusieurs millions de km² du sol lunaire.
    • Septembre 1968 : l'URSS envoie Zond-5 avec à son bord une cargaison d'animaux et de plantes. C'est la première sonde à revenir sur Terre après avoir tourné autour de la Lune.
    • 21 décembre 1968 : les États-Unis lancent Apollo 8, qui fera le tour de la Lune avec à bord les astronautes Frank Borman, James Lovell et William Anders.
    • 20 juillet 1969, mission Apollo 11 : Neil Armstrong et Edwin Aldrin marchent sur la Lune, Michael Collins reste en orbite lunaire.
    • Novembre 1969, Charles Conrad et Alan Bean réitèrent l'exploit lors de la mission Apollo 12.
    • 1970 : les Soviétiques lancent Luna-16 et Luna-17 qui recueillent des échantillons de sol.
    • En janvier 1971, après l'échec d'Apollo 13, la mission Apollo 14 renoue avec le succès et voit Alan Shepard devenir le premier homme à jouer au golf sur la Lune accompagné de Alan Mitchell.
    • Décembre 1972 : les derniers hommes à s'être posés sur la Lune, Eugene Cernan et Harrison "Jack" Schmitt, quittent notre satellite naturel (mission Apollo 17).
    • 1976 : Luna-24 ramènera lui aussi du matériau lunaire.
    • 1990 : les Japonais lancent la sonde Hagoromo qui se mettra en orbite autour de la Lune.
    • 1994 : un satellite militaire américain, Clementine, est placé en orbite et rapporte notamment des données qui laissent penser que de l'eau sous forme de glace se trouverait aux pôles lunaires.
    • Un autre satellite américain, Lunar Prospector, lancé le 6 janvier 1998, trace durant sa mission de dix-huit mois une carte de la gravité à la surface de l'astre. Il en précise la composition et décèle des traces d'hydrogène, ce qui impliquerait, pour certains, l'existence de glace d'eau.
    • Le 2 mars 2005, la première sonde européenne, Smart-1, se place en orbite autour de la Lune, afin de la cartographier et de déterminer sa composition minéralogique.

Un contexte difficile

L'objectif fixé par l'administration Bush intervient à un moment délicat pour la Nasa. L'explosion de la navette Columbia en février 2003 et les déboires de Discovery ont montré le manque de fiabilité d'un engin coûteux et vieillissant dont la conception remonte au début des années 70.

Depuis l'accident de Columbia en février 2003, les navettes n'ont pu revoler qu'une seule fois. Le prochain vol n'est pas prévu avant mai 2006.

À l'exception du dernier vol test de Discovery en juillet 2005, les navettes sont donc clouées au sol depuis près de trois ans. Et le prochain vol n'est pas prévu avant mai 2006.

Or, l'immobilisation des navettes n'est pas sans conséquence. Au grand dam des Américains, la Station spatiale internationale (ISS) n'est plus accessible que grâce aux vaisseaux russes. Plus ennuyeux, sa construction prend du retard. Enfin, certains programmes américains comme celui du télescope spatial Hubble risquent d'être condamnés faute de ne pouvoir assurer leur maintenance.

 

C'est dans ce contexte difficile que, le 19 septembre 2005, Michael Griffin, administrateur de la Nasa, présente la feuille de route de l'Agence spatiale américaine pour les prochaines décennies. Première priorité : il faut terminer la construction de l'ISS et remettre sur pied la navette afin qu'elle puisse fonctionner en toute sécurité jusqu'à son arrêt définitif en 2010. Il sera alors temps de lui trouver un remplaçant…

La navette a un successeur : le CEV

À partir de 2012, les CEV américains seront capables de rejoindre l'ISS...

Dès 2012, la navette sera remplacée par le Crew Exploration Vehicle (CEV), un engin qui servira également de véhicule pour rejoindre la Lune.

Les spécifications du CEV sont désormais connues : ce ne sera pas une navette allégée (comme on le croyait encore récemment), mais une capsule récupérable placée en haut d'un puissant lanceur (le Crew Launch Vehicle). Bref, un concept qui a fait ses preuves durant les missions Apollo.

Cinq versions devraient voir le jour. Les premiers CEV permettront d'acheminer jusqu'à trois hommes sur l'ISS (version Block-1A), mais aussi des marchandises pressurisées (Block-1B) ou non pressurisées (CDV). Puis viendra la version lunaire capable d'embarquer quatre astronautes (Block-2). Et, qui sait, peut-être une version martienne (Block-3) pour une éventuelle mission en 2030.

« Un Apollo dopé aux stéroïdes »

Le module lunaire (LSAM)

Dans ses grandes lignes, le retour sur la Lune s'effectuera également « à la mode Apollo » : une capsule (le CEV) restera en orbite autour de notre satellite naturel, une autre, le Lunar Surface Access Module (LSAM) permettra de s'y poser. Il s'agit cependant d'un projet plus imposant que celui des années 60-70 : Michael Griffin le décrit lui-même comme un « Apollo qui aurait pris des stéroïdes ». La nouvelle capsule habitable devrait ainsi offrir aux astronautes une autonomie suffisante pour passer quatre fois plus de temps sur la Lune que lors des précédentes missions, soit environ sept jours.

Conséquence de ces changements d'échelle, plusieurs lancements seront nécessaires pour réaliser une mission. Dans un premier temps, un lanceur lourd (2896 tonnes au décollage !) enverra en orbite jusqu'à 124 tonnes de matériel, dont le module d'atterrissage lunaire (le LSAM) et le module de propulsion destiné à assurer le voyage vers la Lune. Dans un second temps, l'équipage sera envoyé en orbite à bord d'un CEV qui rejoindra le LSAM et s'y fixera avant de partir pour la Lune.

Si tout se déroule comme prévu, une première mission test entièrement automatique aura lieu entre 2018-2020, suivie très rapidement par un premier vol habité. Deux missions seront ensuite programmées chaque année.

Aller sur la Lune, mais pour quoi faire ?

Où se poser ?

Au-delà des enjeux purement politiques, le retour sur la lune n'est pas dénué d'intérêt.

En priorité, les astronautes mettront à l'épreuve les technologies et les méthodes permettant de rejoindre, un jour peut-être, la planète Mars. Ils chercheront en particulier dans le sous-sol lunaire les ressources énergétiques et les éléments susceptibles d'être directement exploités sur place. On pense en particulier à l'eau qui est vraisemblablement présente en grande quantité au niveau des pôles (peut-être 10 milliards de tonnes !) : en « craquant » l'eau en hydrogène et en oxygène, il serait possible de fabriquer des ergols pour les fusées. En l'absence d'atmosphère, l'énergie solaire disponible sur la Lune devrait également être facilement exploitable.

La Lune présente également un intérêt scientifique : ce corps n'a pas connu d'activité majeure depuis 3,5 milliards d'années et constitue donc un véritable fossile capable de nous enseigner de nombreuses choses sur l'histoire du système solaire. Par ailleurs, en raison de l'absence d'atmosphère et de pollution lumineuse, la Lune pourrait constituer une plateforme d'observation scientifique particulièrement intéressante.

Budgets critiques

Le coût de ce projet pharaonique : 104 milliards de dollars ! Michael Griffin insiste pourtant sur les économies faites à travers ce projet : « Cela revient à dépenser en treize ans 55% du coût, en dollars constants, du programme Apollo dont la préparation avait duré huit ans ».

Sur cette feuille de route datant de 2004, on constate que les missions habitées (en bleu foncé) prennent le pas sur tous les autres projets.

Malgré cela, des membres de l'opposition démocrate mais aussi de la majorité républicaine se sont déclarés inquiets de l'approche budgétaire de la Maison Blanche pour réaliser ces projets*. Pour le républicain Sherwood Boehlert, il y aura un « trou de quatre à six milliards de dollars d'ici la fin de l'année fiscale 2010 dans le budget de la Nasa ».

Le 3 novembre dernier, face à la commission des sciences de la Chambre des représentants, Michael Griffin a défendu la nécessité pour l'Agence spatiale de sacrifier certains de ces programmes au profit du CEV. « La Nasa n'a tout simplement pas les moyens de faire tout ce qui lui est demandé aujourd'hui », a-t-il déclaré. Outre des recherches en biologie dans l'espace, la Nasa a ainsi gelé un programme sur les techniques d'équipements nucléaires destinés à fournir de l'énergie aux futures installations sur le sol lunaire. « Ce n'est qu'ainsi que la Nasa pourra réaliser le plan d'exploration spatiale annoncé par le président George Bush en janvier 2004 », a déclaré Michael Griffin.

Dans ce contexte budgétaire tendu, un voyage sur Mars est-il toujours envisageable ? Le projet n'est pas abandonné mais il faudra désormais attendre 2020 pour que les Etats-Unis décident, ou non, de se lancer dans cette aventure.

* Pour l'exercice 2006, le budget de la NASA s'élève à 16,45 milliards de dollars, dont 4,5 milliards pour le programme des trois navettes et 1,6 milliard pour l'ISS.

le 14/01/2006