REACH : vers une Europe chimique plus propre ?

Le 1er juin 2007, la réglementation européenne concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des produits chimiques (REACH) est entrée en vigueur. Mais les tests imposés aux industriels pour évaluer la toxicité des substances sont-ils suffisamment fiables ?

Par Lise Barnéoud, le 01/06/2007

REACH, c'est parti !

Pour 86% des substances chimiques sur le marché, les informations relatives à leur toxicité sont insuffisantes voire inexistantes.

Après six ans d'âpres négociations et près d'un millier d'amendements déposés, la réglementation REACH – de l'acronyme anglais qui désigne l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des produits chimiques – est entrée en vigueur le 1er juin 2007. Elle avait été adoptée par l'Europe le 13 décembre 2006.

Le principe de REACH est simple : imposer aux industriels – et non aux autorités publiques – d'évaluer les risques toxicologiques découlant de l'utilisation de leurs produits. Chaque substance fabriquée ou importée en Europe en quantité supérieure à 1 tonne devra ainsi faire l'objet d'un dossier d'enregistrement qui devra être présenté à l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui vient d'être inaugurée à Helsinki en Finlande. À défaut d'enregistrement, le produit ne pourra être commercialisé. En tout, ce sont près de 30 000 substances qui sont concernées.

Les points clés de REACH

Enregistrement

L'enregistrement des substances se fait auprès de l'Agence européenne des produits chimiques basée à Helsinki et comprend les données relatives aux propriétés, aux utilisations et aux précautions d'emploi des produits chimiques.

Le nombre de données à fournir par les industriels est proportionnel aux volumes produits ainsi qu'aux risques liés à chaque substance. Aucune donnée n'est nécessaire pour les substances produites ou importées à moins d'une tonne par an. Pour les substances produites entre 1 et 10 tonnes (environ 20 000 substances), les informations requises sont allégées, à l'exception des plus dangereuses d'entre elles. Les substances produites entre 10 et 100 tonnes pourraient également être exemptées de certains tests toxicologiques, au cas par cas, selon des critères à définir. En revanche, celles produites à plus de 1 000 tonnes doivent être enregistrées dans les trois premières années.

Des exemptions d'enregistrement sont prévues pour certains produits, notamment ceux utilisés dans des médicaments, ceux jugés comme présentant des risques très faibles et les substances destinées à la recherche. Par ailleurs, les produits finis, comme les jouets importés en Europe, ne sont pas concernés par cette réglementation.

Les données relatives à la sécurité doivent être transmises aux entreprises en aval et aux consommateurs.

 

Evaluation

Deux types d'évaluation sont prévus :
Une évaluation des dossiers : elle pourra être menée pour vérifier la conformité de l'enregistrement et sera obligatoire pour toutes les propositions prévoyant des expériences animales.

Une évaluation des substances : les autorités compétentes pourront contrôler elles-mêmes la qualité et la conformité de certaines substances.

 

Autorisation

Les substances « extrêmement préoccupantes » doivent recevoir une autorisation pour être commercialisées. Il s'agit des substances identifiées comme ayant des effets graves et irréversibles sur l'être humain et l'environnement (substances cancérigènes, mutagènes, persistantes, toxiques ou bioaccumulatives).

Lors de la demande d'autorisation, les industriels doivent fournir un dossier sur les alternatives existantes et effectuer une évaluation comparative des risques.

Les autorisations sont délivrées si l'industriel démontre que les risques découlant de l'usage de son produit sont « valablement maîtrisés ». Si tel n'est pas le cas, qu'aucune alternative n'existe mais que l'industriel démontre que les bénéfices socio-économiques de l'usage de son produit sont supérieurs aux risques encourus, une autorisation temporaire peut également être délivrée.

 

Avec AFP

Des réactions mitigées

“Nous sommes déçus de la décision du Conseil de l'Europe“

Pour les ONG actives dans le secteur de l'environnement, le plan qui entre aujourd'hui en vigueur ne représente qu'une version édulcorée du projet initial. « Les États membres de l'Europe ont refusé le principe fondamental de substitution, c'est à dire l'obligation de remplacer les produits chimiques dangereux par des alternatives plus saines à chaque fois que cela est possible », dénonçait déjà le WWF en décembre 2005 dans un communiqué.

Autres points critiqués : la réduction des informations à fournir pour les substances produites en faible quantité, le manque de transparence envers le public et l'absence d'article mentionnant clairement la responsabilité légale des industriels.

Catherine Lequime, responsable management des produits à l'Union des industries chimiques.

Du côté des industriels, on affirme que le système REACH est trop coûteux et qu'il est impraticable. Selon l'Union des industries chimiques (UIC), « REACH aura des conséquences graves sur la compétitivité de l'industrie chimique européenne et par voie de conséquence sur toute l'industrie européenne. »

D'après une étude de la Commission européenne, le coût de REACH pour les industriels serait compris entre 2,8 et 5,2 milliards d'euros sur onze ans, soit entre 0,05 et 0,09% du chiffre d'affaires annuel du secteur.

Mais une étude menée par le cabinet MERCER Management Consulting à la demande de l'UIC (Union des Industries Chimiques) prévoit un impact de 28 milliards d'euros sur dix ans, rien que pour les entreprises françaises, soit 1,6% du PIB (Produit Intérieur Brut), avec une perte de 360 000 emplois.

Quels bénéfices en termes économiques ?

Certaines études ont tenté d'évaluer les bénéfices de REACH sur la santé et l'environnement. Ainsi, selon la Commission européenne, REACH pourrait éviter chaque année 4500 décès liés à une exposition aux produits chimiques, ce qui en termes purement comptables représenterait une économie d'environ 50 milliards d'euros sur 30 ans. Par ailleurs, Bruxelles prévoit des économies pouvant aller jusqu'à 8,9 milliards d'euros d'ici 2041 dans des domaines comme la purification de l'eau potable et le traitement des eaux usées.

Comment tester ces milliers de produits de façon fiable ?

Curieusement, la question paraît loin d'être résolue. REACH prévoit en effet d'analyser des dizaines de milliers de substances mais semble avoir laissé aux industriels le choix des méthodes d'évaluation. Seule restriction : que ces méthodes aient été validées par l'Union Européenne. Pour l'heure, les validations portent essentiellement sur des tests sur animaux.

Claude Reiss, toxicologue moléculaire, président d'Antidote Europe : les biais de l'expérimentation animale.

Or, ces tests coûtent cher (entre 40 à 70 000 euros par substance), demandent une grande quantité d'animaux (environ 4 millions seraient nécessaires pour tester toutes les substances concernées), et ne sont pas toujours transposables à l'homme. Par ailleurs, en fonction du modèle animal choisi, les résultats peuvent être très différents.

« Si REACH veut atteindre son objectif de sécurité sanitaire, il est essentiel que les tests retenus pour évaluer les substances soient fiables, faute de quoi ce ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau », estime Claude Reiss, président d'Antidote Europe, une association créée par des chercheurs issus du CNRS qui fait la promotion des méthodes d'évaluation toxicologique basées non pas sur l'expérimentation animale mais sur cellules humaines.

Trop allégé pour les uns, inapplicable pour les autres, le projet REACH ne satisfait finalement personne. Mais il représente tout de même un premier pas important vers le principe de précaution qui, pour une fois, s'attaque directement au secteur d'activité le plus pourvoyeur de produits toxiques.

La piste de la toxicogénomique

Claude Reiss, toxicologue moléculaire, président d'Antidote Europe

Le souhait de limiter l'hécatombe de cobayes animaux et la recherche de tests toxicologiques moins chers, plus rapides et valides pour l'homme ont conduit les responsables du projet REACH à rechercher d'autres types de méthodologie que l'expérimentation animale. Parmi ces alternatives, la toxicogénomique pourrait s'avérer particulièrement intéressante. Cette technique utilise des cellules humaines en culture pour déterminer la toxicité des substances chimiques présentes dans l'alimentation et l'environnement. Des puces à ADN permettent de révéler les perturbations de l'expression des gènes connus pour être impliqués dans certaines pathologies : cancers, maladies neurologiques, troubles endocriniens…

Ainsi, la fiabilité de cette technique, qui reste toutefois encore à prouver, pourrait s'avérer supérieure à celle des essais classiques sur animaux puisque les expériences sont menées directement sur des cellules humaines et non sur un autre modèle biologique. Par ailleurs, la toxicogénomique présente les avantages d'être moins onéreuse (environ 10 000 euros pour évaluer une substance) et beaucoup plus rapide (quelques jours suffisent pour obtenir un résultat) que les autres techniques d'évaluation. En Europe, elle est soutenue par l'association Antidote Europe.

Lise Barnéoud le 01/06/2007