Homme / Loup : comment améliorer la cohabitation ?

Même si les brebis sont de plus en plus protégées, les attaques de loup ne cessent d'augmenter. Pour les organisations pastorales, réunies lors d'un séminaire les 15 et 16 juin 2006, les systèmes de protection n'ont pas encore fait leurs preuves. Le point sur cet épineux dossier.

Par Lise Barnéoud, le 27/06/2006

De plus en plus de troupeaux protégés…

Evolution du nombre d'éleveurs équipés de systèmes de protection depuis 1999

Depuis que le loup a fait son retour en France en 1992, les éleveurs ont su s'adapter et mettre en place des systèmes de protection contre le grand prédateur.

Selon les organisations pastorales réunies lors d'un séminaire à Aix-en-provence les 15 et 16 juin dernier, près d'un éleveur sur deux en zone à loups serait équipé de chiens de protection, de clôtures électrifiées pour regrouper les brebis la nuit et d'un assistant (ou aide-berger), les trois mesures de défense cofinancées par le ministère de l'Agriculture et la Commission européenne.

Depuis six ans, le nombre de troupeaux protégés augmente d'environ 40% par an. En 2005, ces contrats de protection ont coûté 2,3 millions d'euros.

…mais aussi de plus en plus de victimes

Les pertes dues aux loups sont estimées entre 0,05 et 1,35 % du cheptel présent en zone à loups

Malgré l'augmentation du nombre de troupeaux protégés, les victimes du loup ne cessent de croître. En 2005, il y a eu 968 attaques et 3760 victimes attribuées au loup (dont une cinquantaine de bovins). C'est 30% de plus qu'en 2004.

Cette évolution s'est faite dans les mêmes proportions que l'expansion démographique et territoriale du loup en France. Selon l'Organisme national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le taux d'accroissement de la population de loups varie de 15 à 25 % par an.

D'une dizaine d'individus recensés au milieu des années 90, on estime aujourd'hui à 120 le nombre de loups en France. Et le nombre de communes concernées a également bondi d'une dizaine en 1994, à près de 200 en 2005.

Comment compte-t-on les loups ?

Récolte d'indices du passage du loup

Comme pour tout animal sauvage, et certainement plus encore pour le loup, il est extrêmement difficile, voire impossible, de réaliser un comptage exhaustif des individus.

En France, depuis 1993, le suivi des loups est réalisé au travers d'indices récoltés sur plus de 20 000 km² par les 450 correspondants du réseau Loup. Ce réseau d'observateurs, placé sous la responsabilité de chaque direction départementale de l'agriculture et de la forêt, comprend des professionnels (agents ONCFS, ONF ou des parcs) comme des particuliers. Tout au long de l'année, mais particulièrement durant l'hiver où les indices sont plus visibles, ces correspondants collectent poils, crottes, urines, restes de carcasses et pistent toutes les traces possibles du loup.

Ces observations sur le terrain permettent une première estimation du nombre d'animaux par secteur et déterminent l'effectif minimal. Par la suite, certains de ces indices sont envoyés au laboratoire pour des expertises génétiques afin d'apporter un complément d'information : identification de l'espèce et de sa lignée d'origine, et même identitification génétique individuelle. Ces analyses confirment ou non la présence de l'espèce Canis lupus sur une zone donnée, mais elles permettent également de suivre l'évolution d'une meute ou d'un animal et les processus de colonisation.

Faut-il remettre en question les moyens de protection ?

Le nombre de troupeaux protégés réduit le nombre de victimes par attaque

Si le nombre de troupeaux protégés augmente deux fois plus vite que le nombre de loups (+40% par an contre +20% en moyenne pour les loups), les victimes du grand prédateur se font chaque année de plus en plus nombreuses. Faut-il pour autant conclure à l'inefficacité des systèmes de défense du troupeau ?

« Non, répond Mireille Celdran, chargée de mission au ministère de l'Agriculture. Les systèmes de protection sont à l'évidence efficaces, mais pas à 100% ». Selon les statistiques nationales, un loup qui s'attaque à un troupeau protégé tue deux fois moins de brebis que s'il s'attaque à un troupeau non protégé.

Laurent Garde, chercheur au Cerpam : « Les attaques se déroulent aussi sur des troupeaux protégés »

Toutefois, selon les organisations pastorales, les systèmes de protection classique (chien de garde, parc de nuit avec clôture électrifiée et aide-berger) ont certes limité les pertes, mais présentent de nombreuses limites.

Pour Laurent Garde, chercheur au Centre d'étude et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée (CERPAM), ces moyens de défense sont parfois difficiles à mettre en place, les loups peuvent s'y adapter et certaines pratiques d'élevage s'en trouvent désorganisées (par exemple, les brebis ont moins le temps de brouter et donc s'engraissent moins).

Les systèmes de protection ont-ils un impact sur l’environnement ?

Une équipe de chercheurs de l'Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier s'est intéressée à l'impact des chiens de protection sur la faune sauvage et à l'impact du regroupement d'animaux dans des milieux naturels.

En ce qui concerne les chiens de protection, l'étude montre qu'il n'y a pratiquement pas de prédation sur la faune sauvage, à part quelques marmottes.

En revanche, les résultats sur le parcage (qui se pratique la nuit pour les troupeaux protégés) sont plus problématiques : en raison de la très forte concentration de déjections azotées (3,3 tonnes de déjections en une nuit pour un troupeau de 1200 brebis !), certaines pelouses alpines meurent et des problèmes d'érosion et de pollution de eaux peuvent apparaître. Une pratique qui, selon les auteurs, pourrait entraîner à terme une chute de la biodiversité.

Tuer six loups : une solution ?

« Le loup est largement surprotégé... » Laurent Garde (CERPAM)

Pour gérer au mieux la cohabitation entre le grand prédateur et l'élevage, on peut agir sur les troupeaux ou bien directement sur le loup. Le gouvernement français joue sur les deux tableaux : depuis trois ans, des tirs sélectifs de loups ont été autorisés dans notre pays.

L'année passée, un maximum de six loups pouvaient être abattus dans des conditions très précises. Sur les 12 arrêtés de tirs délivrés, un seul a abouti à l'élimination d'un loup. Ce protocole a nécessité plus de mille jours de travail aux agents de l'ONCFS. Pour la saison 2006-2007, le ministère de l'Environnement persiste dans son intention de tuer un maximum de six loups mais assouplit les conditions de tirs de défense.

Jean-David Abel, France Nature Environnement : «Le tir de loup ne peut être qu’une réponse ponctuelle»

Ainsi, les éleveurs dont les troupeaux sont protégés pourront tirer plus rapidement qu'en 2005 (à la suite de deux attaques et après 7 jours de tirs d'effarouchement, contre 3 attaques et 3 semaines d'effarouchement en 2005). Des dérogations pourront également être accordées par le préfet à des éleveurs dont les troupeaux ne sont pas protégés à condition toutefois que les systèmes de protection aient été jugés « difficilement applicables ».

Selon Jean-David Abel, responsable de la mission Loup de France Nature Environnement, ce nouveau protocole ne discrimine pas assez les troupeaux protégés des troupeaux non protégés et ouvre la voie à une facilitation des tirs.

Les discours ont incontestablement évolué. Il n'est plus question de demander l'éradication de tous les grands prédateurs du côté des éleveurs, ni de protéger à tout prix chaque loup du côté des environnementalistes. Reste à savoir où placer au mieux le curseur pour qu'une cohabitation devienne tolérable sans compromettre l'avenir des loups en France…

Pour une gestion commune dans les Alpes françaises, italiennes et suisses

Luigi Boitani, professeur à l'Université de Rome

Les loups français sont issus de la population italienne, qui colonise depuis quinze ans les Alpes françaises (et plus récemment les Alpes suisses). Gérer le loup pays par pays n'a donc aucune cohérence biologique, explique Luigi Boitani, spécialiste européen des loups. Il milite pour une gestion commune entre l'Italie, la France et la Suisse.

Lise Barnéoud le 27/06/2006