Déforestation et biodiversité : et si les chiffres étaient trompeurs ?

Dans son dernier rapport sur la situation des forêts, la FAO annonce un ralentissement de la déforestation dans le monde. Cette agence de l'Organisation des Nations unies considère que les plantations forestières qui se développent dans certains pays d'Asie pallient la perte des forêts primaires. Mais, sur le terrain, le constat est moins optimiste.

Par Geneviève De Lacour, le 12/04/2007

Les principales conclusions de la FAO

Au Ratanakiri (Cambodge), de vastes zones déboisées jouxtent la forêt primaire

Tous les cinq ans, la Food and Agriculture Organisation (FAO) fait un bilan du couvert forestier dans le monde. Pour la première fois, l'organisation constate, dans son dernier rapport « qu'en Asie et dans le Pacifique, la superficie boisée nette a augmenté entre 2000 et 2005, renversant la tendance des décennies précédentes ». Conclusion optimiste, malgré une très grande disparité d'un pays à l'autre. En effet, en Asie du Sud-Est, plusieurs pays ont perdu sur la même période plus de 1,5% de leur superficie forestière.

Les superficies forestières entre 2000 et 2005

Cette éclaircie est essentiellement due aux opérations de reboisement en Chine et au Vietnam. Pour Patrick Durst, représentant de la FAO à Bangkok, « les plantations peuvent jouer un rôle similaire aux forêts naturelles, en fonction de la manière dont elles sont gérées. Elles peuvent protéger de l'érosion, conserver l'humidité et constituer un habitat adéquat pour la faune sauvage. Dans beaucoup de pays, les plantations forestières sont un complément important aux forêts naturelles en répondant à tous les besoins de la société ».

Des chiffres controversés

Les chiffres de la FAO commentés par Ludovic Frère (Greenpeace).

Une position que ne défend pas Ludovic Frère, chargé de campagne sur la biodiversité pour Greenpeace. Selon lui, plantation n'est pas synonyme de biodiversité bien au contraire. Il conteste également le chiffre de 6 millions d'hectares annoncé par la FAO pour la disparition de forêts primaires. 13 millions d'hectares, ce serait un chiffre beaucoup plus proche de la réalité, la FAO ne prenant pas en compte les 7 millions d'hectares de forêts dégradées chaque année. Dans son rapport, la FAO met également en avant l'augmentation de 32% des zones de conservation forestière, entre 1990 et 2005.

L'exemple du Brésil, par Ludovic Frère

11% de la superficie mondiale serait affectée à la conservation de la biodiversité mondiale. « Ce sont des zones simplement tracées sur le papier répond Ludovic Frère. Aucun moyen supplémentaire n'a été mis à la disposition des États pour protéger les forêts. » Au Cambodge, 21% de la superficie totale des forêts sont affectées à la conservation. Mais la protection de ces zones n'est pas forcément assurée. Dans le Parc national de Virachey, province du Ratanakiri, les coupes illégales ravagent le massif alors que Banque Mondiale et WWF ont financé la protection de ce parc.

Déforestation : le cas du Cambodge

La récolte du latex

Hévéas, noix de cajou, bambou, huile de palme, les plantations au Cambodge sont de plus en plus nombreuses. L'intérêt de ces plantations est évident : l'hévéa (Hevea brasiliensis), l'arbre à caoutchouc, commence à produire du latex au bout de six ans et l'arbre à noix de cajou est encore plus rapide (trois ans). Les droits d'exploitation accordés par le gouvernement cambodgien permettent à des propriétaires privés de s'installer sur des parcelles de forêt primaire qui, légalement, appartiennent à l'État.

Pour des raisons aussi nombreuses que factices, on prélève sans autorisation : chercher de vieux troncs – au passage, on en coupe de nouveaux –, couper du bois pour la fabrication de bateaux ou pour faciliter l'atterrissage des parachutistes de l'armée...

Par ailleurs, certains permis (Economic Land Concessions) autorisent l'exploitation d'essences telles que le tek, l'acacia, le bambou, l'huile et le sucre de palme. Une fois le permis d'exploitation accordé, impossible d'éviter la coupe des essences les plus précieuses qui sont acheminées vers l'étranger. Ces permis sont également accordés à des exploitations minières. D'après le gouvernement cambodgien, le nombre de ces concessions a été multiplié par trois en 2006.

« Ce qui était, dans les années 1990, un système complexe de coupes illégales de bois est devenu un système à grande échelle organisé par les élites politiques... »

Pour Global Witness, association britannique condamnant l'exploitation des ressources naturelles, le Cambodge a perdu 29% de sa forêt primaire entre 2000 et 2005 et se place en troisième position pour son taux de déforestation, l'un des plus rapides au monde. Depuis le milieu des années 1990, 30 à 40 concessions économiques ont été accordées par le gouvernement cambodgien à des entreprises du pays ou étrangères et cela à des fins d'exploitations des plantes ou minières.

Un impact sur l'environnement...

Feu de forêt au crépuscule

En Asie du Sud-Est, et notamment au Cambodge, on constate que les phénomènes d'inondations et de sécheresses sont de plus en plus courants. Les phénomènes de sécheresse sont directement liés aux pertes de massifs forestiers humides, ce qui explique en partie pourquoi la province du Ratanakiri a connu récemment plusieurs périodes de sécheresse. De manière indirecte, la disparition des forêts conduit aussi à une érosion des sols, qui se déversent dans les rivières, perturbant le milieu aquatique et provoquant des inondations.

... et les populations

Les Kreungs voient leur milieu naturel disparaître.

Aux confins du Vietnam et du Laos, la province cambodgienne du Ratanakiri est peuplée de tribus telles que les Kreungs, les Jaraïs et les Leus qui vivent en parfaite harmonie avec la nature. Déjà touchées par la guerre du Vietnam, ces minorités ethniques voient désormais leur milieu naturel disparaître entre feux de forêt et coupes illégales de bois.

Il y a fort à parier que la déforestation n'entraîne pas seulement une perte de biodiversité au Cambodge mais qu'elle conduise aussi à la disparition de peuples autochtones d'une grande richesse culturelle.

Geneviève De Lacour le 12/04/2007