Mauvaise passe pour la forêt amazonienne

Au cours du dernier semestre 2007, la déforestation est repartie de plus belle en Amazonie, accentuant la menace sur cette réserve de biodiversité unique au monde. Mais au-delà, les scientifiques craignent que le recul de la forêt vierge influe sur les équilibres climatiques globaux. Des recherches en cours tentent de préciser la nature de ces liens.

Par Pedro Lima, le 12/03/2008

7 000 km² de forêt perdus en cinq mois

Entre 2002 et 2006...

Les chiffres, rendus public il y a quelques semaines, ont fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le ciel de l'Amazonie. De quoi s'agit-il ? Le 24 janvier, le très sérieux Institut National brésilien de Recherches Spatiales (INPE), équivalent du CNES français, annonçait, sur la base d'images obtenues par son réseau de satellites Landsat, que la forêt amazonienne avait perdu, au cours des seuls mois d'août à décembre 2007, la surface totale de 7 000 km². Une superficie considérable, par exemple équivalente à celle du département français de la Vienne. Mais au-delà, ces chiffres constituent une véritable douche froide pour les autorités brésiliennes, qui ont fait de la lutte contre la déforestation de la forêt amazonienne un cheval de bataille… Et qui se targuaient, depuis 2006, d'avoir fait diminuer régulièrement le nombre d'hectares partis en fumée. Ces incendies sont causés, le plus souvent, par les producteurs de soja et les éleveurs de bétail, épaulés par les industriels du bois, qui vendent dans le monde entier les précieuses essences amazoniennes.

Quelles sont les principales causes de la déforestation en Amazonie ?

La déforestation s'était ainsi élevée à 11 000 km² entre août 2006 et juillet 2007, contre 14 000 km² au cours des douze mois précédents cette période. Brève embellie, donc, entièrement remise en cause par les récentes données de l'INPE. Du coup, la polémique n'a pas tardé à éclater. Blairo Maggi, gouverneur de l'État du Mato Grosso, qui arrive en tête par le nombre d'hectares partis en fumée, reproche ainsi à l'INPE d'avoir comptabilisé des terrains brûlés au cours des années précédentes, ce qui fausserait le bilan final. Un argument repris à son compte par le propre ministre de l'Agriculture brésilien, Reinhold Stephanes, soucieux de préserver les intérêts des grands producteurs de soja, et des bénéfices que représente cette culture, à l'heure où les cours flambent au niveau mondial.

Une colonne de fumée dans le Mato Grosso, près de Juina, due à un incendie volontaire pour du déboisement.

Ces remises en cause ont à leur tour provoqué une levée de boucliers de la communauté scientifique brésilienne, qui vole le 11 février 2008, au secours de l'INPE. Dans une déclaration solennelle, des dizaines de chercheurs rappellent que « contester l'efficacité du système de détection par satellite rend service à ceux qui dévastent illégalement la forêt amazonienne ». Au-delà des querelles de chiffres, et de l'intérêt des lobbies commerciaux, nul ne doute en effet que la déforestation représente une menace majeure sur l'Amazonie. Un drame qui met tout d'abord en danger la réserve de biodiversité unique que constitue la forêt amazonienne. D'une taille de près de 7 millions de km², elle renferme en effet, dans certains secteurs, plus de 600 espèces d'arbres par hectare, la moyenne étant de 300. Des 250 000 espèces de plantes qui vivent sur la planète, on estime que près de 90 000 évoluent dans la forêt amazonienne. Côté faune, on a dénombré 3000 espèces de poissons en Amazonie, et le nombre d'espèces d'insectes est estimé à un million, la plupart restant à découvrir.

Une menace pour l’équilibre climatique global

Un terrain récemment défriché par des colons, dans l’Etat du Mato Grosso, pour la culture du café.

Mais il y a pire. Au-delà de cet enjeu évident en terme de biodiversité, la déforestation en cours fait également craindre des conséquences graves sur l'équilibre climatique global. Dans son rapport Les cercles vicieux de l'Amazonie (pdf), rendu public au mois de décembre 2007, l'organisation mondiale de protection de l'environnement WWF rappelle ainsi, sous la plume de Dan Nepstad, du Woods Hole Research Center dans le Massachusetts, que l'Amazonie agit comme un régulateur de la température de la planète, en limitant son augmentation. « Mais surtout, explique le chercheur, elle stocke une grande quantité de CO2, et constitue une source d'eau douce primordiale, régulant les grands courants maritimes impliqués dans l'équilibre climatique mondial ». Et de conclure que la combinaison des changements climatiques en cours, entraînant entre autres une baisse des précipitations en Amazonie, et de la déforestation, pourrait conduire à la perte de 60% de la forêt amazonienne d'ici 2030 ! Avec, comme conséquence, le rejet dans l'atmosphère de 50 à 100 milliards de tonnes de CO2 durant la même période, entraînant en retour un emballement du réchauffement en cours.

La biodiversité de la forêt amazonienne est un atout, mais aussi un handicap pour les forestiers, qui ne tirent que quelques grumes de chaque parcelle.

Certes, ces chiffres ont de quoi faire frémir. Le problème, c'est qu'ils reposent sur des connaissances partielles, et tiennent surtout de la prédiction. Pourquoi ? Parce que les échanges gazeux entre la forêt amazonienne et l'atmosphère sont encore en grande partie méconnus. « Nous ne savons pas quels processus physiques et biochimiques régulent l'émission par la forêt des énormes quantités de vapeur d'eau qui forment les nuages, régulant à leur tour le cycle hydrologique amazonien. En particulier, nous devons caractériser le rôle des particules aérosols, naturelles ou issues des activités humaines, qui peuvent bloquer la diffusion de la lumière vers le couvert végétal, faire varier la quantité de vapeur d'eau émise, et bouleverser ainsi la dynamique de formation des nuages. Il faudra comprendre et modéliser ces phénomènes pour pouvoir expliquer, puis prédire, comment la région amazonienne peut influer sur le climat global », détaille Paulo Artaxo, de l'Institut de Physique de l'Université de Sao Paulo.

Des tours pour mesurer les émissions gazeuses

Caractériser finement ces échanges gazeux entre la forêt et l'atmosphère, c'est justement l'objet du projet Amaze (Amazonian Aerosol Characterization Experiment), auquel participe le physicien brésilien, en compagnie de plus de cent collègues venus du monde entier.

Une tour Amaze

Pour y parvenir, les scientifiques ont érigé, à cinquante kilomètres au nord de la grande métropôle amazonienne Manaus, une tour en aluminium d'une hauteur de quarante mètres, dépassant l'épais couvert végétal. Depuis le 3 février 2008, ils y réalisent des mesures des émissions gazeuses produites par les végétaux, comme la vapeur d'eau, le CO2 et l'oxygène, ainsi que la concentration de différents types d'aérosols. Une seconde tour sera bientôt érigée, beaucoup plus à l'est le long de l'Amazonie, pour pouvoir comparer les données recueillies.

Le projet Amaze, dont les premiers résultats seront présentés au mois de juillet 2008, va permettre d'affiner les découvertes déjà réalisées dans le cadre d'un autre programme, initié en 1998, le LBA (Expérience à Grande Echelle Biosphère-Atmosphère en Amazonie). Fort de la collaboration de plus de 1500 scientifiques, ce projet a permis de lever un premier voile sur les secrets atmosphériques et climatiques de la forêt amazonienne. Ainsi, les scientifiques ont montré que les incendies volontaires, en diminuant la diffusion de la lumière solaire, réduisent jusqu'à 60% la photosynthèse des plantes, et donc la capacité de la forêt à absorber le CO2 présent dans l'air. Autre résultat obtenu : ces mêmes fumées d'incendie limitent la formation des nuages localement, ce qui entraîne à terme une baisse de la pluviosité sur d'autres régions de l'Amazonie. Enfin, les fumées provoquent, à travers une libération massive d'azote dans l'air, la formation de pluies acides, dégradant fortement les sols.

Quelles pistes pour un développement durable de l’Amazonie ? Hervé Thery (CNRS)

A la lumière des recherches passées, il ne fait plus aucun doute que la déforestation a des effets dramatiques sur l'ensemble de l'écosystème amazonien. Sans attendre que se précisent les probables implications du saccage en cours sur le climat mondial, on ne peut que souhaiter que soient imposées, sur le terrain, les conditions d'un développement rééllement durable de l'Amazonie. Les clés de ce changement sont entre les mains des Autorités brésiliennes, seules capables d'imposer, sur ce territoire souverain, des règles économiques garantissant la survie du poumon de la planète. Les solutions, longuement étudiées et mises en pratiques par des chercheurs, des associations et certaines populations, sont aussi connues que les causes du désastre. Elles passent par l'implication active des vingt millions d'Amazoniens, sans lesquels aucun développement durable de ce vaste territoire n'est possible. Ainsi que par des projets ciblés, modestes, et soutenus économiquement, permettant l'exploitation raisonnée des ressources de la forêt. L'enjeu est à la mesure des mutations sociales et économiques nécessaires : la survie de ce trésor, indispensable pour la planète, que constitue la forêt amazonienne.

Pedro Lima le 12/03/2008