Embryons hybrides homme-animal : Un feu vert pour quoi faire ?

En septembre 2007, la Grande-Bretagne devenait le premier pays au monde à autoriser la création d'embryons hybrides pour la recherche. Les premières applications devraient démarrer cet hiver. Reportage.

Par Lise Barnéoud, le 11/10/2007

Feu vert pour les « cybrides »

« Cybrides » : mode d'emploi

Créer des embryons humains à partir d'ovocytes d'animaux ? L'idée paraît folle, tout droit sortie d'un scénario de science-fiction. C'est pourtant ce que vient d'autoriser la très sérieuse agence britannique chargée d'encadrer les recherches sur l'embryon, la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA).

La Grande-Bretagne devient ainsi le premier pays au monde à autoriser officiellement la création d'embryons hybrides homme-animal. Ou plus exactement la création d'embryons de quelques jours dont le patrimoine génétique est d'origine humaine mais dont l'enveloppe cellulaire est d'origine animale.

Embryon de deux jours.

Ces embryons devront être détruits au plus tard le 14e jour après leur création et ne peuvent en aucun cas être introduits dans un utérus, précise la HFEA. Ainsi, si une nouvelle barrière éthique semble avoir été franchie, on est loin de la création d'êtres chimériques… L'objectif de ces recherches ? Etudier et prélever les cellules souches embryonnaires, ces cellules immortelles capables de fabriquer toutes sortes de tissus. « Il ne s'agit pas d'un total feu vert pour les études sur les embryons hybrides, précise toutefois l'agence britannique, mais d'une reconnaissance que, dans certains cas bien précis, ces recherches peuvent être utiles et bénéfiques ».

En d'autres termes, c'est un feu vert de principe mais chaque laboratoire qui voudra réaliser ce que l'on appelle désormais des « cybrides » (pour hybrides cytoplasmiques) devra en faire la demande auprès de la HFEA.

Une décision attendue

Le laboratoire de Stephen Minger, au King's College

Dans son laboratoire du King's College, Stephen Minger n'en finit plus de donner des interviews et de poser pour les photographes.

Ce scientifique de renommée internationale, originaire de Californie, attend en effet la première licence de la HFEA pour développer des embryons humains dans des ovocytes d'animaux (probablement de vaches ou de lapin). « Pour comprendre toute cette histoire, il faut revenir en arrière », commence doucement le neurologue, tout en fouillant dans ses tiroirs surchargés de publications.

Lorsqu'en 1998, les premières lignées de cellules souches embryonnaires furent obtenues, un champ de recherche particulièrement prometteur s'entrouvrait tout à coup. Ces cellules, capables de se multiplier à l'infini et de se différencier en n'importe quels tissus du corps humain, devinrent bientôt très appréciées des biologistes.

Problème : pour obtenir ces cellules souches, il faut des embryons. On en trouve certes dans les centres de fécondation in vitro mais d'abord, les réserves sont limitées, ensuite, cela pose la délicate question du statut de l'embryon et, enfin, si l'objectif est de greffer ces cellules souches sur un receveur, il y a un problème évident de compatibilité.

D'où l'émergence d'une nouvelle solution pour obtenir ces « cellules magiques » : par clonage d'une cellule adulte dans un ovocyte (voir l'animation ci-contre ou sur le site de l'AFM). Théoriquement, il est en effet possible de développer un embryon en transférant le noyau d'une cellule adulte dans un ovocyte préalablement énucléé.

Stephen Minger, directeur du laboratoire de cellules souches au King's College

On règlerait ainsi le problème de compatibilité, et il deviendrait désormais possible d'étudier le développement d'une pathologie particulière en injectant un noyau porteur d'une maladie.

Cependant, cette technique dite de transfert nucléaire est loin d'être maîtrisée (elle n'aurait encore jamais été réussie chez l'homme) et demande un nombre incalculable d'ovocytes avant de parvenir, après plusieurs centaines de tentatives, à développer des lignées de cellules souches.

Un nouveau problème apparaît alors : comment obtenir des ovocytes en quantité suffisante et de façon éthique ?

Des ovocytes de lapin par milliers

« De cette question est née l'idée d'utiliser non pas des ovocytes de femmes mais des ovocytes d'animaux, poursuit Stephen Minger. Cela nous paraît beaucoup plus éthique ».

Pour l'heure, une seule équipe est parvenue à créer des cybrides et à en obtenir des cellules souches embryonnaires...

Mais peut-on réellement obtenir des cellules souches embryonnaires viables à partir d'ovocytes d'animaux ? « Des collègues chinois y sont parvenus, précise le chercheur dans un sourire. Ils ont obtenu 6 lignées de cellules souches à partir de 28 000 ovocytes de lapin… ».

Toutefois, certains spécialistes restent perplexes car l'opération n'a jamais pu être répétée par un autre laboratoire. Aux États-Unis, une équipe de l'Advanced Cell Technology (Massachusetts) a ainsi tenté à maintes reprises ce clonage particulier, mais leurs embryons restent toujours bloqués au stade de 16 cellules, ce qui ne suffit pas pour pouvoir prélever des cellules souches. Il est probable que le génome mitochondrial de l'animal cesse de « communiquer » avec le génome humain, rendant impossible la maturation embryonnaire, ont expliqué les responsables.

Observer une pathologie dans un tube à essai

Stephen Minger : « Nous espérons découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques pour traiter les maladies neurodégénératives »

Mais Stephen Minger est optimiste : « J'ai visité ce laboratoire chinois, je sais que c'est possible », confie-t-il. Ce jeudi matin, son laboratoire du King's College apparaît bien calme. Les fours et les incubateurs ne ronronnent pas. Seule une jeune chercheuse travaille sur une paillasse particulièrement propre.

« Nous attendons notre licence pour le mois prochain, s'excuse presque Stephen Minger. Notre objectif sera alors d'obtenir à partir de ces "cybrides" des cellules souches caractéristiques de pathologies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer. On pourra en quelque sorte observer au niveau cellulaire le développement de ces maladies et probablement découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques et donc, de nouveaux médicaments, conclut le chercheur, enthousiaste, avant d'ajouter mais ne croyez pas que je travaille pour l'industrie pharmaceutique ! Toutes ces lignées de cellules souches seront accessibles à tous. Il n'y a pas de brevet possible sur ces cellules ».

Une piste prometteuse ?

Marc Peschanski:

Stephen Minger n'est pas le seul au Royaume-Uni à attendre une licence pour créer ces « cybrides ». Lyle Armstrong, de l'université de Newcastle, espère également une autorisation de la HFEA pour féconder des ovocytes de vaches avec des noyaux de cellules humaines. Et un troisième projet, qui porte sur les maladies neuromotrices, devrait aussi être déposé sous peu.

En France, où l'Institut des cellules souches (I-Stem) vient d'être inauguré, on se réjouit de ces nouvelles autorisations. « Ces “cybrides” offrent une perspectives intéressantes, explique Marc Peschanski, chercheur à l'Inserm et directeur de l'I-Stem. Dès que l'on montre qu'ils sont effectivement une source de cellules souches, je demande à travailler avec. »

Toutefois, ces recherches ne font pas l'unanimité dans le milieu scientifique. Certains experts restent perplexes sur l'utilité même de ces recherches. « Personnellement, je suis très sceptique, commente ainsi Stéphane Viville, chef de service de biologie de la reproduction au CHU de Strasbourg. Je ne crois pas que nous parviendrons à obtenir des cellules souches à partir des "cybrides" à cause des problèmes d'incompatibilité entre le génome mitochondrial animal et le génome humain. D'autre part, de récentes découvertes nous laissent entrevoir la possibilité de reprogrammer des cellules adultes en cellules souches embryonnaires, ce qui serait alors beaucoup plus simple et économique ! ».

Entre deux coups de téléphone, Stephen Minger, impassible, répond calmement : « Je ne nie pas le potentiel de la reprogrammation des cellules adultes, mais nous n'en sommes aussi qu'au tout début de l'aventure. Qui peut prédire d'où viendront les progrès ? Essayons le plus de pistes possibles… ». La course aux « cybrides » est donc lancée. Mais tout le monde attend de voir ce qu'il en sortira.

Lise Barnéoud le 11/10/2007