Changement climatique : quelles conséquences pour les glaciers de l’Antarctique?

C'est l'une des principales inconnues des modèles climatiques : comment va réagir l'Antarctique au réchauffement de la planète ? Si le continent blanc se mettait à perdre sa glace, le niveau des mers pourrait s'élever de plusieurs mètres. Sur le terrain, les scientifiques s'activent. Reportage en Terre Adélie sur le glacier côtier de l'Astrolabe.

Par Lise Barnéoud, le 14/05/2008

Balade scientifique sur un glacier d’Antarctique

De la glace, à perte de vue. Depuis l'hélicoptère qui nous emmène sur le glacier côtier de l'Astrolabe, à quelques kilomètres de la base scientifique française « Dumont d'Urville » en Terre Adélie, nous n'apercevons qu'une immense étendue étincelante, entaillée çà et là par de béantes crevasses bleutées. L'Antarctique, la plus grande réserve d'eau douce au monde. Sa plus grande menace aussi… Car si le continent blanc venait à fondre totalement, son énorme couverture de glace éleverait le niveau des mers de plus de 60 mètres ! « Un scénario catastrophe totalement fictif, rassure Emmanuel Le Meur, chercheur au laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement de Grenoble (LGGE). Fort heureusement, nous n'en sommes pas là ! ». Mais si ce scientifique se promène aujourd'hui sur cette terre englacée du pôle Sud, c'est précisément pour mieux cerner le futur de la calotte antarctique. Et donc, de toute la planète.

L’Antarctique, une baignoire gelée qui se vide ?

Eric Rignot, glaciologue à l'Université de Californie

Jusqu'à présent, les scientifiques considéraient le continent blanc comme globalement à l'équilibre. Il recevait, pensait-on, à peu près autant d'eau sous forme de précipitations qu'il n'en perdait sous forme d'icebergs. Mais selon une étude publiée en janvier 2008* par une équipe de chercheurs menée par Eric Rignot, glaciologue français de l'Université de Californie, l'Antarctique aurait en réalité perdu environ 196 milliards de tonnes de glace en 2006, essentiellement au niveau de l'Antarctique de l'Ouest. Cela équivaut à une montée du niveau global des océans de l'ordre d'un demi-millimètre. La hausse peut paraître négligeable pour l'heure. Mais l'ennui, c'est que ces pertes de glace se seraient significativement accrues ces dernières années puisqu'en 1996, le continent ne perdait « que » 112 milliards de tonnes, soit 84 milliards de tonnes de moins qu'en 2006. Le processus d'amaigrissement du continent blanc aurait ainsi progressé de 60 à 140 % selon les régions, en seulement une décennie.

* Eric Rignot et al. Nature Geoscience, janvier 2008

Mesurer les apports et les pertes de glace en Antarctique

Pour connaître le bilan de masse de l'Antarctique, c'est-à-dire savoir si le continent gagne ou perd de la masse, il faut connaître d'un côté, ses apports, et de l'autre, ses pertes. Les apports, ce sont les précipitations sous forme de neige. Dans l'étude d'Eric Rignot, les chercheurs se sont servis de modèles météorologiques pour estimer la quantité globale des précipitations. De fait, aucune mesure directe ne permet de connaître avec certitude l'accumulation de neige sur tout le continent. La marge d'erreur de ces estimations pourrait, selon certains spécialistes, être importante.

Du côté des pertes, l'Antarctique possède au moins un avantage : celui d'avoir des températures si froides que la fonte y est quasi inexistante. Elle représenterait moins de 1% des pertes sur l'ensemble du continent. Les 99% restant partent sous forme d'icebergs, au niveau des glaciers côtiers. Pour connaître ces flux de glace vers la mer, Eric Rignot s'est servi de données satellitaires indiquant les vitesses d'écoulement des glaciers et leur épaisseur au niveau de la côte.

L’appel de la mer

Les glaciers côtiers représentent les évacuations principales de la “baignoire Antarctique“

Comment expliquer que l'Antarctique perde de plus en plus de masse, alors que les températures, même si elles ont bondi de 3°C au niveau de la péninsule Antarctique, restent globalement inférieure à 0°C ? Peu de fonte donc, contrairement au Groenland dont les pertes de glace s'expliquent essentiellement par des températures positives. En réalité, il existe une autre façon de perdre de la masse pour les calottes : via la fabrication d'icebergs, principal exutoire de glace en Antarctique. Or, d'après de récentes études dont celle réalisée par l'équipe d'Eric Rignot, les glaciers côtiers producteurs de ces icebergs glisseraient de plus en plus rapidement vers les mers. Ainsi, certains glaciers à l'ouest du continent auraient accéléré leur course de 40 à 80% en l'espace de dix ans. Un phénomène également observé pour la calotte danoise.

En Antarctique, le réchauffement de l’océan serait le principal facteur de l’accélération des glaciers côtiers ?

Cette accélération de la vitesse d'écoulement des glaciers n'est pas encore très bien expliquée mais aurait plusieurs origines. Les glaces flottantes qui stagnent au pied de ces glaciers pourraient jouer un rôle. Lorsqu'elles se disloquent, elles libèrent l'avant du glacier, qui en profite pour glisser davantage vers la mer. Autre élément susceptible d'intervenir : la température de l'océan. L'eau vient en effet directement grignoter la base des glaciers côtiers. Une augmentation de sa température entraîne alors un grignotage plus important, ce qui diminue l'épaisseur des parties terminales des glaciers. Conséquence : l'eau de mer s'enfonce plus profondément sous les glaciers, lubrifiant ainsi leur contact avec le socle rocheux, ce qui favorise au final leur écoulement. Enfin, dernier élément : les températures de l'air. Si elles dépassent le fatidique 0°C, la surface des glaciers fond et de l'eau peut percoler à l'intérieur de la glace jusqu'au socle rocheux. Il se crée alors un film d'eau qui peut agir comme un lubrifiant et favoriser l'écoulement du glacier.

Quelle conséquence pour le niveau des mers ?

« Les prédictions de l’impact de l’Antarctique sur le niveau des mers varient beaucoup selon les spécialistes »

Dès lors que de la glace passe d'un socle continental à l'océan, il participe à la hausse du niveau des mers. Toutefois, il faut également avoir en tête que les précipitations qui alimentent en neige le continent proviennent des océans et donc participent au contraire à abaisser leur niveau. Ainsi, pour connaître la contribution de l'Antarctique au niveau des mers, il est nécessaire de savoir si le continent perd plus de masse que ce qu'il n'en gagne sous forme de précipitations.

D'après l'étude d'Eric Rignot, les recettes de l'Antarctique en 2000 s'élevaient à environ 1 469 gigatonnes d'eau contre des pertes évaluées à 1 568 gigatonnes. Soit une perte nette d'environ 100 gigatonnes, ce qui représente près d'un demi-millimètre en plus pour le niveau des mers. Si le phénomène devait s'accélérer, la contribution de l'Antarctique pourrait atteindre un mètre d'ici 2100, voire plus, estiment certains experts. Mais d'autres pensent au contraire que le réchauffement entraînera une augmentation des précipitations, une augmentation susceptible de contrebalancer les pertes au niveau des glaciers côtiers…

Quel futur ?

Emmanuel Le Meur : « Il faut des mesures de terrain pour recaler et valider les mesures satellitaires et les modèles. »

Reste à savoir si ces récentes observations sur la dynamique des glaciers côtiers représentent une tendance à long terme ou un cycle passager. « Tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit d'un phénomène généralisé et que nous avons constaté de plus grandes accélérations en 2006-2007 », répond Eric Rignot. Mais plus de données sont nécessaires afin de comprendre ces dérapages et d'en prédire leur évolution. « Voilà pourquoi, sur le terrain, nous cherchons à mesurer le plus précisément possible les flux de glace au niveau de ces glaciers », analyse Emmanuel Le Meur. D'où cette journée consacrée à déposer des GPS sur le glacier de l'Astrolabe. Quelques points de mesures précieux dans cette immense inconnue qu'est l'Antarctique. Quelques informations supplémentaires qui viendront alimenter les modèles sur l'évolution de la calotte du pôle Sud. Avec à la clé, des conséquences sur le niveau futur des mers qui pourraient bouleverser les prévisions du Giec. Son dernier rapport, publié en 2007, prévoit une élévation du niveau des mers comprise entre 18 et 56 cm d'ici la fin du siècle. Mais ces estimations considèrent l'Antarctique comme globalement équilibré. Ce qui pourrait bien ne pas être le cas.

Lise Barnéoud le 14/05/2008