Aéronautique : des avions bientôt moins polluants ?

Face au déclin de l'or noir et à l'exigence européenne de réduire les émissions de CO2, les industriels de l'aéronautique essaient de mettre au point des technologies qui consomment moins, et donc polluent moins. Une vraie gageure.

Par Florence Heimburger, le 03/07/2008

Une obligation de polluer moins

« Plus vert, plus propre, plus calme, plus malin » : le nouveau leitmotiv d'Airbus.

Le transport aérien représente aujourd'hui 2 à 3% des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Or, depuis le début des années 2000, ce trafic croît de 5% par an : à ce rythme, il aura doublé d'ici 2020. Pour endiguer cette hausse, l'Union européenne a lancé, le 5 février 2008, le programme de recherche Clean Sky (Ciel propre). Doté de 1,6 milliard d'euros, il regroupe 86 organisations européennes (des industriels de l'aéronautique, des centres de recherche et des universités), autour d'un même but : rendre le transport aérien moins polluant et moins bruyant.

Jean-Jacques Thibert, directeur de la branche mécanique des fluides et énergétiques de l'Onera.

Il vise, plus précisément, à respecter les objectifs fixés par Acare, le Conseil consultatif pour la recherche sur l'aéronautique en Europe, à savoir : réduire, d'ici à 2020, de 50% les émissions de dioxyde de carbone (CO2), de 80% les émissions d'oxydes d'azote (NOx), et de 50% le bruit perçu, par rapport aux normes de 2000.

Qu'émettent les avions ?

La combustion de kérosène dans les moteurs d'avions produit : du gaz carbonique (CO2), de la vapeur d'eau (H2O), du méthane (CH4), des oxydes d'azote (NOx), des composés organiques volatiles (COV), c'est-à-dire des hydrocarbures, de l'oxyde de carbone CO, du dioxyde de soufre SO2, et des particules solides (suies). Le CO2, la vapeur d'eau et le méthane sont des gaz à effet de serre : ils contribuent directement au réchauffement climatique. Les oxydes d'azote, les COV, l'oxyde de carbone et le dioxyde de soufre augmentent la pollution de l'air. Ce sont des gaz nocifs pour la santé.

Des avions moins lourds, donc moins gourmands

Le B 787 ou « Dreamliner » de Boeing

Plus les aéronefs pèsent lourd, plus ils consomment. C'est pourquoi les avionneurs traquent les kilos superflus. Ils se tournent vers des matériaux plus légers, comme les composites à base de fibres de carbone. Mais pour diminuer la masse de l'avion, il n'y a pas que sa structure que l'on peut mettre au régime. « On peut aussi alléger la masse de tout ce qui est à bord, souligne Rainer von Wrede, directeur environnemental du bureau d'études de la société Airbus. Cela inclut les sièges, les cuisines, les ordinateurs, les câblages, les tuyaux… ».

Rainer von Wrede, directeur environnemental du bureau d'étude d'Airbus.

Mais pas les passagers, qui sont eux-mêmes de plus en plus lourds : en 2005, l'OMS (Organisation mondiale de la santé) estimait à 2 milliards le nombre d'adultes en surpoids ou obèses dans le monde.

Des moteurs qui consomment moins

Des moteurs moins gourmands

Les motoristes cherchent quant à eux à remplacer les alliages métalliques actuels par du carbone ou des matériaux trois à quatre fois plus légers comme les composites à matrice céramique (CMC) ou à matrice titane, originaires de l'industrie spatiale. Si les gains espérés ne sont pas négligeables, l'allégement des réacteurs ne devrait permettre qu'une réduction de 10% de la consommation. C'est pourquoi, les ingénieurs s'attaquent aussi aux principes mêmes de fonctionnement de ces réacteurs. L'Américain General Electric, associé au Français Snecma, avec le soutien de l'Onera et du CNRS, vise la chambre de combustion.

Francis Couillard, directeur des affaires environnementales de la Snecma.

C'est là que le kérosène est brûlé pour donner les gaz chauds fournissant poussée et… émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, vapeur d'eau) et d'oxydes d'azote. L'idée consiste à « appauvrir » la combustion en créant un excès d'air par rapport au carburant, de façon à l'économiser. Cette « combustion pauvre » pourrait encore réduire la consommation de 10 à 15% sur une nouvelle génération de moteurs expérimentés vers 2012.

Des carburants de substitution au kérosène

Autre piste : remplacer le kérosène. Les avionneurs ont déjà réalisé quelques essais fructueux avec des carburants alternatifs. Le 1er février 2008, par exemple, Airbus a fait voler un A380 avec un carburant de synthèse liquide dérivé du gaz naturel, le GTL (Gas To Liquids). L'un des quatre moteurs de l'avion a été alimenté par un mélange de GTL et de kérosène.

En juin 2007, le CFM International* a testé avec succès un moteur CFM56-7B avec un biocarburant de type ester sur le site Snecma de Villaroche (près de Paris).

Problème : il faut autant d'énergie pour fabriquer un litre de carburant avec du gaz naturel qu'avec du pétrole, et en termes de rejets de CO2, le GTL est comparable au kérosène. Seul avantage : il ne contient pas de soufre et émet donc moins d'oxydes d'azote. Ce carburant pourrait être certifié en 2013. L'avionneur américain Boeing a, quant à lui, testé avec succès, fin février 2008, un mélange contenant 80% de kérosène et 20% d'un biocarburant composé d'huile de noix de coco et de noix de babassu (un palmier amazonien). Toutefois, compte tenu des problèmes de déforestation et de concurrence avec la chaîne alimentaire que posent les agrocarburants de première génération, ces derniers ne représentent pas une solution durable, selon de nombreux experts. « Aujourd'hui on cherche des agrocarburants qui n'ont pas ces impacts négatifs sur la chaîne alimentaire », indique le directeur environnemental de l'entreprise Airbus.

Rainer von Wrede, directeur environnemental du bureau d'étude d'Airbus.

Parmi les pistes les plus prometteuses : l'utilisation d'algues, de plantes à haut rendement qui poussent là où rien d'autre ne survit (Jatropha), voire de bactéries ou de levures. Mais les recherches dans ce domaine ne font que commencer.

La pile à combustible : la solution ?

Que pensez-vous de la pile à combustible ?

Une pile à combustible est un dispositif qui convertit l'énergie contenue dans l'hydrogène en électricité, grâce à l'oxydation de l'hydrogène avec de l'oxygène de l'air. Les piles à combustible produisent de l'électricité de façon plus propre, car elles ne rejettent que de l'eau, et plus rentable que les moteurs à combustion. C'est pourquoi l'aéronautique se penche sur ce moyen de fabriquer de l'électricité. De plus, l'eau produite peut être utilisée pour les systèmes d'eau potable et sanitaire de l'appareil, ce qui permet de diminuer la masse d'eau embarquée. Mais les ingénieurs se heurtent à plusieurs problèmes de taille. L'hydrogène n'est qu'une source d'énergie secondaire. Pour la produire à grande échelle, il faut donc une autre source d'énergie, soit du pétrole, du gaz ou du charbon, soit de l'énergie nucléaire, ce qui rend son bilan environnemental nettement plus mauvais que celui du kérosène.

Par ailleurs, pour réaliser la pile, il faut du platine, un métal encore plus rare, donc plus cher, que l'or. Enfin, l'hydrogène est un gaz volatile et hautement inflammable. Le véritable gain d'une pile à combustible réside dans le faible poids du système qui l'intègre : il est plus léger, ce qui contribue à diminuer la masse de l'avion et donc la consommation de carburant. Pour Rainer Von Wrede, la pile à combustible « a un avenir certain », mais « n'est pas encore mâture ».

Des routes plus directes

En 2006, faute de pouvoir utiliser des trajectoires directes d'un aéroport à un autre, les avions de ligne ont parcouru en Europe 441 millions de kilomètres supplémentaires, selon l'Organisme Eurocontrol. Bilan écologique de ces détours : 4,7 milliards de tonnes de CO2. Deux causes à cela : l'émiettement des centres de contrôle aérien, qui gèrent parfois des espaces aussi petits qu'un département, ce qui impose des changements de route ; la réservation par les militaires d'un tiers des espaces aériens. En outre, lorsque l'avion amorce sa descente, il effectue des paliers, afin que les contrôleurs aériens puissent gérer les espacements entre avions et garantir leur sécurité. Or, les paliers augmentent la consommation de carburant, la puissance des moteurs devant être accrue pour maintenir le vol à chaque étape. Une descente continue consomme moins, en plus d'être moins bruyante. Un gros-porteur, par exemple, pourrait réaliser une économie de 500 kg de carburant, soit près de deux tonnes de CO2, en descendant ainsi. Repenser le trafic aérien pourrait donc être la solution, du moins à court terme, pour rendre le ciel plus « clean », en attendant les progrès de l'aéronautique.

Florence Heimburger le 03/07/2008