Acides gras trans : encore dangereux pour la santé ?

Reconnus dangereux pour la santé depuis 1990, les acides gras trans d'origine industrielle sont partout : margarines, pâtes à tarte, biscuits, céréales, viennoiseries, etc. Les professionnels du secteur agroalimentaire français annoncent avoir considérablement réduit la teneur en acides gras trans de leurs produits. Alors, le danger est-il passé ?

Par Kristell Roser, le 18/07/2008

Des industriels rassurants

« Les acides gras trans ne sont plus un problème de santé publique », annonce Gérard Pascal, président du groupe de travail de l'Institut Français pour la Nutrition (IFN) lors d'une conférence de presse organisée récemment par l'IFN.

Configurations cis et trans d'un acide gras

L'association a analysé les compositions en acides gras trans de plus de 600 produits et « les résultats obtenus attestent clairement qu'aujourd'hui en France, la quantité d'acides gras trans est négligeable dans la très grande majorité des produits », confirme Cécile Rauzy, chef de projet Qualité-Nutrition à l'ANIA (Association nationale des industries agroalimentaires). « 96% des références collectées ont des teneurs en acides gras trans inférieures aux recommandations de l'Afssa ».

Dans son rapport de 2005, l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) proposait de fixer la teneur maximale en acides gras trans à 1 g pour 100 g de produit, l'équivalent de 0,4% de l'apport énergétique total. En fait, les produits testés par l'IFN, tous fabriqués par de grandes marques, ne contiendraient en moyenne que 0,28% d'acides gras trans, soit bien moins que la recommandation de l'Agence. « Les éléments dont nous disposons montrent la vigilance d'une partie des industriels quant aux teneurs en acides gras trans de leurs produits, mais tous les produits n'ont pas été analysés », nuance Irène Margaritis, chef de l'unité d'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires à l'Afssa. « De plus, il demeure une grande hétérogénéité des taux selon les produits ».

Des associations de consommateurs nuancées

Comment savoir si un produit contient trop d'acides gras trans ? En menant sa propre enquête, comme l'ont fait les magazines 60 millions de consommateurs en février 2007 et Que Choisir en mars 2008.

Biscuits, pâtes à tartiner, barres chocolatées, viennoiseries... De nombreux aliments renferment des acides gras trans.

Après avoir analysé la composition des graisses contenues dans des goûters fourrés, 60 millions de consommateurs trouve que 15 produits ont des teneurs en acides gras trans faibles ou dépassant à peine le seuil recommandé (0,34% à 1,18%), et 7 qui ont , pour le coup, des teneurs très élevées (12,13% à 15,25%). Parmi les 50 produits testés par Que Choisir, seul un gâteau au chocolat dépasse, avec 2,10% d'acides gras trans, la limite fixée par l'Afssa. Tous les autres aliments affichent des teneurs inférieures à 1% d'acides gras trans.

Reste qu'estimer sa consommation n'est pas évident. « C'est un calcul difficile à faire parce que la teneur en acides gras trans n'est pas étiquetée », souligne Irène Margaritis. En France, l'étiquetage n'est pas obligatoire. Selon l'IFN, « si l'on veut connaître cette teneur, on peut appeler le service consommateur dont le numéro figure sur le paquet, car inscrire la teneur en acides gras trans sur les emballages surchargerait l'étiquetage nutritionnel. »

En effet, aucune étiquette ne fait mention des acides gras trans, ou alors sous une forme déguisée. « En lisant "huile partiellement hydrogénée" sur l'emballage, on sait que le produit contient des acides gras trans d'origine technologique », précise Irène Margaritis. Pâtes à tartiner, barres chocolatées, biscuits salés ou sucrés, viennoiseries, aliments panés, potages en poudre, margarines, confiseries, pâtes à tarte : de nombreux aliments fabriqués avec ces huiles végétales partiellement hydrogénées renferment des acides gras trans.

La législation dans différents pays

Le 1er janvier 2003, le Canada rend obligatoire l'inscription de la teneur en acides gras trans dans le tableau des valeurs nutritionnelles figurant sur les emballages des produits.

Le 11 mars 2003, le Danemark adopte un décret-loi, stipulant « qu'à partir du 1er juin 2003, la teneur en acides gras trans des huiles et des graisses assujetties au décret-loi ne devra pas dépasser 2 g pour 100 g d'huile ou de graisse ». Ceci ne concerne pas les acides gras trans naturels. Selon les autorités danoises, la mesure se justifie pour des raisons de santé publique, qui visent à réduire les risques de maladies cardiovasculaires.

En avril 2005, se basant sur des études scientifiques, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments recommande de réduire la consommation d'acides gras trans et l'étiquetage des emballages. Mais comme cela n'est pas obligatoire, seuls les industriels qui le veulent le font.

Aux Etats-Unis, les autorités de santé de la ville de New York obligent les restaurateurs et les chaînes à éliminer les acides gras trans de tous leurs produits d'ici le 1er juillet 2008. En fait, « tout aliment doit contenir moins de 0,5 gramme d'acides gras trans par portion ».

Peut-on réellement se passer des acides gras trans ?

Produits de la transformation des acides gras saturés sous l'action d'une bactérie dans le rumen (deuxième estomac) des ruminants, ils se retrouvent naturellement dans les produits laitiers et les viandes. Et l'industrie agro-alimentaire en fabrique lors de l'hydrogénation partielle des huiles végétales, procédé utilisé pour solidifier les matières grasses liquides. S'il est vrai que des solutions sont mises en place pour les remplacer, les industriels se heurtent encore aux « contraintes technologiques ». « Certains aliments incorporent des matières grasses solides pour répondre à des exigences particulières telles que l'oxydation, le croustillant, le croquant ou le fondant », explique Odile Morin, de l'Institut des corps gras (ITERG), un centre de recherche chargé d'élaborer des méthodes de fabrication des graisses pour les industriels.

L'hydrogénation des huiles végétales

Inventée en 1901 par le chimiste allemand Wilhelm Normann, l'hydrogénation – opération qui consiste à ajouter de l'hydrogène – permet d'obtenir des matières grasses solides à partir d'huiles végétales liquides à température ambiante. Une fois hydrogénée, l'huile plus riche en acides gras saturés est de ce fait moins sensible à l'oxydation et se solidifie. L'hydrogénation partielle permet d'obtenir des graisses riches en acides gras trans, avec une texture et des propriétés appropriées à la fabrication de certains produits (fermeté, résistance à la cuisson). Si l'hydrogénation est totale, la matière grasse solide qui en résulte ne contient plus d'acides gras trans, seulement des acides gras saturés, avec leurs inconvénients (augmentation du "mauvais" cholestérol, risque de maladies cardiovasculaires).

Avant la mise au point de l'hydrogénation des huiles végétales, les matières grasses utilisées provenaient des animaux, comme le beurre ou le saindoux. Pour des raisons essentiellement économiques, la découverte de Wilhelm Normann révolutionna l'industrie agro-alimentaire. Dès lors, les industriels pouvaient transformer les huiles végétales peu coûteuses en matières grasses transportables, supportant la manipulation et tenant plus longtemps sur les étals.

Quels sont les effets sur la santé ?

Les acides gras trans d'origine naturelle présentent-ils les mêmes risques que ceux d'origine industrielle ?

D'abord considérés comme de bonnes graisses, leurs inconvénients sont reconnus depuis les années 1990. Des études scientifiques* montrent qu'une consommation d'acides gras trans industriels supérieure au seuil de 2% de l'apport énergétique total entraîne une augmentation significative du risque de maladie cardio-vasculaire, plus encore que l'excès de graisses saturées. En fait, leur surconsommation non seulement augmente la quantité de LDL-cholestérol, le "mauvais" cholestérol, dans le sang, mais diminue aussi le HDL-cholestérol, le "bon" qui limite le risque d'obstruction des vaisseaux sanguins.

 

Outre leurs effets sur les artères, les acides gras trans d'origine industrielle pourraient aussi être associés au cancer du sein**. En comparant les taux d'acides gras trans présents dans les échantillons sanguins, prélevés entre 1995 et 1998, de 363 femmes ayant eu un cancer du sein après le prélèvement, il apparaît que « les femmes qui présentent les taux sanguins les plus élevés d'acides gras trans ont le risque le plus élevé de cancer du sein », explique Véronique Chajès, chercheur à l'Institut Gustave Roussy. D'autres analyses, nécessaires pour confirmer ce lien, sont en cours dans plusieurs pays européens. « Les conclusions de cette étude mériteraient d'être discutées car elles se basent sur des analyses de sérums prélevés il y a plus de dix ans, et sur des données de consommation et de composition de produits relativement anciennes », relativise Jean-Michel Chardigny, directeur de l'unité Nutrition humaine de l'INRA.

* D. Mozaffarian et al. New England Journal of Medecine du 13 avril 2006 ; R. Mensink et al. American Journal of Clinical Nutrition de mai 2003 ; W. Willett et al. Lancet du 6 mars 1993
** V. Chajès et al. American Journal of Epidemiology du 9 avril 2008

Kristell Roser le 18/07/2008