Nanoparticules : niveau de danger inconnu

En juin 2006, les ministères de l'Ecologie, de la Santé et du Travail demandaient à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) d'étudier les risques associés à la production de nanomatériaux et nanoparticules pour les travailleurs. Publié deux ans plus tard, le rapport met en exergue un manque de connaissances étonnant sur l'impact sanitaire des nanoparticules.

Par Viviane Thivent, le 05/09/2008

Les conclusions du rapport

Un nanotube de carbone

« On ne peut pas exclure l'existence d'effets sanitaires sur l'homme ni de conséquence sur l'environnement à la suite d'une exposition à des nanomatériaux : au vu des données de la littérature scientifique, l'existence de dangers potentiels pour l'homme et l'environnement liés à la toxicité, l'écotoxicité et au risque d'explosion ne peut être écartée. Ces dangers potentiels sont identifiés pour une exposition par voie cutanée, par ingestion ou, plus fréquemment, par inhalation. » La phrase est tirée du communiqué de presse qui a accompagné, fin juillet, la sortie du rapport Nanomatériaux et sécurité au travail de l'Agence française sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset).

Le rapport est clair : « Au vu des incertitudes quant aux effets sanitaires des nanoparticules, il est plus prudent de déclarer les nanoparticules comme "niveau de danger inconnu" et de les manipuler avec la même prudence que les matières dangereuses.» De l'impact toxicologique des nanoparticules, ces éléments dont la taille est comprise entre 1 et 100 nanomètres, il est vrai que l'on ignore à peu près tout. Et il en va de même pour l'exposition réelle des travailleurs à ces substances.

Un marché en pleine expansion

L'origine géographique des sociétés travaillant dans les nanotechnologies

Loin d'être la chasse gardée des laboratoires de recherche, les nanotechnologies représentent un marché en pleine expansion. D'après le Conseil général des mines, en 2008, il pourrait atteindre les 700 milliards de dollars à l'échelle mondiale, contre 45,5 milliards en 2004. De quoi justifier les financements gigantesques alloués par les industrlels et les instances gouvernementales mondiales pour le développement des nanosciences : 10 milliards d'euros par an.

De fait, ces quinze dernières années, les nanoparticules ont envahi notre quotidien. Selon Nanowerk, le portail sur les nanotechnologies, environ 2 000 nanoparticules seraient d'ores et déjà commercialisées. "D'après le Woodrow Wilson Institute, elles seraient présentes dans au moins 600 produits de consommation," détaille Eric Gaffet, président du groupe de travail qui a réalisé le rapport de l'Afsset.

Et qui dit commercialisation, dit fabrication. En 2005, le Département du Commerce anglais a ainsi répertorié quelque 1 500 sociétés travaillant dans le domaine, dont 80%, de start-up. En France, 7 000 personnes (dont 34% de non permanents) travaillent directement au contact de nanoparticules dans les laboratoires de recherche et 3 270 en milieu industriel.

Quels usages ?

Utilisation ou production de nanoparticules en France (extrait du tableau complet)

La production française concerne essentiellement : le dioxyde de titane (TiO2), 10 000 tonnes par an, utilsé dans le bâtiment et la cosmétique ; le dioxyde de silice, 200 000 tonnes par an, pour renforcer le caoutchouc, comme acidifiant dans l'agroalimentaire ou abrasif dans les dentifrices ; les nanotubes de carbone (NTC), quelques kilos par an pour des applications encore bien floues ; le noir de charbon, 240 000 tonnes par an, utilisé dans les pneumatiques (70%), les encres et le caoutchouc ; les alumines (Al2O3), 500 000 tonnes par an, pour l'éclairage et le polissage ; et enfin les terres rares, surtout utilisées comme catalyseurs.

Pourquoi ces composés sont-ils si intéressants à une échelle nanomètrique ? Tout d'abord parce qu'à d'aussi petites tailles, certains composés (métalliques surtout) voient leurs propriétés physiques – magnétiques, électriques, optiques – changer, ce qui ouvre la voie à toute une gamme d'applications nouvelles. Ensuite, plus une particule est petite, plus son rapport surface sur volume est grand. De fait – et toute proportion gardée –, une nanoparticule est bien plus réactive qu'une congénère microscopique. Un atout de taille qui, paradoxalement, se transforme en gros défaut dès que l'on aborde la question des risques sanitaires. Car, que ce soit dans le corps ou sur l'environnement, les effets de ces petits soldats de l'industrie restent très mal connues.

La découverte de Faraday

A l'échelle nanométrique, un élément peut avoir des propriétés physiques et chimiques très différentes de celles qu'il pourrait présenter sous sa forme macro ou microscopique. C'est Michael Faraday qui, le premier, au XIXe siècle, s'est aperçu de cette étrangeté. Alors qu'il effectuait des dilutions de sels d'or, il obtint des solutions non plus jaune or, mais pourpres ou encore vertes. Et pour cause : en diluant ces sels d'or, il était parvenu à fabriquer des aggrégats métalliques de plus en plus petits, jusqu'à atteindre l'échelle « nano ». Or, à cette taille, les propriétés optiques de l'or changent.

Quels risques sanitaires ?

À cette question, les chercheurs n'ont pas de réponse précise. Tout d'abord, parce que, pendant des années, les études toxicologiques et écotoxicologiques n'ont que très mollement intéressé la communauté scientifique. Selon un rapport de l'OCDE paru en 2007, moins de 1% du budget mondial alloué au développement des nanosciences sont consacrés à ce pan de recherche. En 2005, le nombre d'articles dédiés aux nanotechnologies atteignait les 40 000 publications, contre à peine 500 concernant les effets de ces particules sur l'organisme ou l'environnement.

Des nanoparticules de carbone

Plus compliqué à comprendre, la plupart des résultats obtenus se contredisent les uns les autres. Néanmoins, le rapport de l'Afsset donne quelques résultats récents méritant l'attention. Sur 965 nanoparticules étudiées, 120 ont une toxicité spécifique sur les mammifères et 270 sont toxiques pour les cellules lors d'expériences menées in vitro (S. Hansen et al., Nanotoxicology, 2007).

D'après une autre étude, certaines nanoparticules inhalées peuvent passer la paroi pulmonaire, atteindre la circulation sanguine et s'accumuler dans les reins ou le cerveau (C. Mandin, et al., ERS, avril 2007). D'autres nanoparticules, minuscules – à peine 1,4 nm –, s'accumulent dans le placenta de rates gestantes (W. Kreiling, Journal of Toxicology and Environmental Health, 2007). Les effets sont en fait très variables d'une particule à l'autre. Alarmant ? Difficile à dire. Car, « d'une façon générale, les études toxicologiques (forte dose et effet à court terme) ne reproduisent qu'assez mal les situations d'exposition humaine (parfois aiguë mais le plus souvent chronique, de petites doses sur le terme) », lit-on dans le rapport.

Explosion de nanoparticules

Les nanoparticules manufacturées peuvent être stockées sous forme de poudre. À ce titre, elles peuvent exploser à l'instar de la plupart des produits pulvérulents combustibles. « Des incidents explosifs de ce type – liés au stockage des poudres en tout genre – il s'en produit un par jour sur les sites industriels », apprend-t-on dans le rapport de l'Afsset. « Mais aucun incident de ce type ne s'est néanmoins encore produit avec des nanoparticucles », insiste Eric Gaffet. Pour autant, si de telles « explosions de poussières » ont lieu avec des stocks de nanoparticules, elles pourraient être lourdes de conséquences. D'abord à cause de déflagrations, ensuite à cause de la dissémination des nanoparticules dans l'atmosphère. D'après des études récentes (INERIS, Bouillard et al. 2007), cette explosion devrait être d'autant plus puissante que la nanoparticule est petite.

Quelles expositions pour les travailleurs ?

Là encore, tenter de répondre à cette question sensible relève du casse-tête. Car, sans connaître l'action de ces particules sur l'organisme, comment isoler la fraction susceptible d'être nocive ? S'agit-il des nanoparticules inhalées, ingérées, touchées ? De même, comment établir des seuils de toxicité ? Et même, avec quels appareils de mesure puisque les nanoparticules les plus petites échappent aux détecteurs et filtres classiques ? À défaut de pouvoir trancher, les industriels et les laboratoires de recherches ont mis sur pied des mesures de sécurité très variables. Un constat qui a amené l'Afsset à émettre un « guide de bonnes pratiques » pour améliorer les conditions de travail des salariés. « En France, il s'agit d'une première », explique Eric Gaffet. « Et même, il s'agit certainement du guide le plus complet à l'échelle internationale ». De fait, il préconise à peu près toutes les techniques possibles et imaginables pour empêcher le contact direct entre les nanoparticules et les manipulateurs.

À la suite de ce rapport, l'Afsset a demandé à l'Ineris de se pencher plus particulièrement sur les risques et le niveau d'exposition des populations vivant à proximité des sites de production des nanomatériaux. Les ministères de l'Écologie, de la Santé et du Travail ont, quant à eux, commandité un autre rapport à l'Afsset, cette fois sur les impacts des nanoparticules sur le grand public. À suivre donc.

Viviane Thivent le 05/09/2008