Projet MATE : traquer la dengue depuis l'espace

Un programme de recherches franco-argentin vise à prédire la présence du moustique vecteur de la dengue, Aedes aegypti , à partir d'images du satellite Spot 5. Récemment étendu aux régions frontalières du Paraguay et de la Bolivie, il préfigure les systèmes de lutte contre les épidémies largement pilotés depuis l'espace.

Par Pedro Lima, le 20/10/2008

Prédire les risques d'épidémie

À la fin du mois d'octobre 2008, des spécialistes français de la surveillance spatiale de l'environnement au CNES (Centre national d'études spatiales) se sont réunis, à Buenos Aires, avec leurs homologues argentins de la CONAE (Commission nationale des activités spatiales), et des partenaires venus des pays voisins du Paraguay et de la Bolivie. Objet de cette rencontre : étendre à ces deux pays un projet franco-argentin pilote dans le domaine de la lutte contre les maladies infectieuses… Un projet qui pourrait bien, à terme, faire école dans le monde entier.

Vue satellitaire de Puerto Iguazu en Argentine

« Le programme MATE (Monitoring Argentin en Télé-Epidémiologie) vise à déterminer, pour une région et à un moment donné, le risque de propagation d'une épidémie, en prédisant où vont apparaître les insectes qui en constituent le vecteur, en se basant pour cela sur des informations fournies par le satellite Spot 5 » , explique le biologiste argentin Camilo Rotela, coordinateur du projet MATE avec son collègue Marcelo Scavuzzo. Ce programme, initié en 2005 et appliqué pour l'instant essentiellement à la dengue, se déroule dans plusieurs régions du nord de l'Argentine.

C'est dans la petite ville de Puerto Iguazu (30 000 habitants), située à la frontière du Brésil et du Paraguay et à proximité des célèbres chutes d'eau du même nom, qu'il est le plus avancé. Le choix de la dengue ne doit rien au hasard. Cette maladie infectieuse transmise par les moustiques de l'espèce Aedes aegypti, sévit dans les régions tropicales et subtropicales de la planète, essentiellement dans les zones urbaines ou péri-urbaines. Elle est particulièrement dangereuse dans sa forme hémorragique, plus de 5% des personnes infectées succombant alors à la maladie. Une maladie contre laquelle il n'existe actuellement aucun traitement, la seule arme efficace consistant à éradiquer le moustique vecteur, pour éviter les épidémies.

Un mécanisme de résistance à la dengue mis en évidence

Virus de la dengue et macrophages

Des chercheurs français et américains viennent de mettre en évidence (1) un nouveau mécanisme de résistance au virus de la dengue, expliquant que dans une majorité des cas, cette maladie demeure une infection virale plutôt bénigne, voire n'entraînant aucun symptôme. Et que seule une faible proportion des individus infectés développent un syndrome hémorragique mortel. Les biologistes montrent que des cellules immunitaires humaines appelées macrophages, et présentes dans la peau, sont capables de capturer le virus de la dengue inoculé par le moustique Aedes, l'empêchant de se multiplier. Ce mécanisme pourrait être à la base du développement de nouvelles stratégies de prévention contre cette maladie, actuellement incurable. 

  1. Dermal-type macrophages expressing CD209/DC-SIGN show inherent resistance to dengue virus growth, W-H. Kwan, E. Navarro-Sanchez, H. Dumortier, M. Decossas, H. Vachon, F. Barreto dos Santos, H. W. Fridman, F. A. Rey, E. Harris, P. Despres, C. G. Mueller, P

Les différentes étapes de MATE

Des prélèvements sur le terrain

Les recherches, menées de façon conjointe par les scientifiques argentins et leurs collègues français basés à Toulouse, en particulier Cécile Vignol, du CNES, se déroulent en plusieurs étapes. « Dans un premier temps, explique Camilo Rotela, nos partenaires locaux de la fondation Mundo Sano ("Monde sain") localisent, dans la ville d'Iguazu, les larves du moustique Aedes. Nous intégrons ensuite ces données à des plans du cadastre que nous avons numérisés, et obtenons ainsi des cartes très précises de localisation des foyers d'infection, sur lesquelles figurent chaque construction, cour ou jardin de la ville. » Puis les chercheurs superposent ces données avec d'autres cartes fournies, elles, par le satellite Spot 5 lors de ses passages au-dessus de la zone ciblée.

Les risques pour la ville de Puerto Iguazu

Ces cartes de Spot 5, d'une précision de l'ordre de dix mètres, livrent des informations sur une série de paramètres environnementaux, 21 au total, aussi divers que la présence de sols nus, l'épaisseur ou la concentration en chlorophylle du couvert végétal, ou encore la présence ou l'absence d'eau. La comparaison, par de puissants logiciels informatiques et statistiques, de ces deux types de données, les unes issues du terrain, les autres fournies par le satellite, permet de déterminer quelles variables environnementales sont associées à la présence de larves. Ainsi, les chercheurs de MATE ont démontré que les foyers d'infection se développent préférentiellement dans un environnement fait de sols nus, ou bien d'un îlot de végétation peu dense, comme un bouquet d'arbustes ou d'herbes sauvages.

Vers une détection depuis l'espace

Télédétection de moustiques

Le modèle statistique ainsi obtenu est capable de prédire, sur la seule base des informations satellitaires, les points où sont susceptibles de se développer les larves. Le modèle doit encore être amélioré, en particulier en intégrant des données climatologiques, comme la température, l'humidité ou le vent. Mais son caractère prédictif, que les chercheurs ont déjà vérifié, représente d'ores et déjà un avantage précieux dans l'optique d'une prévention sanitaire d'un genre nouveau, basée sur les cartes de risque épidémique ainsi générées. « En sachant où vont se développer les moustiques, on peut réaliser des opérations de démoustication sélectives, beaucoup moins nuisibles pour l'environnement et les populations que les campagnes actuelles, faisant massivement appel aux insecticides », détaille Jean-Pierre Lacaux, de la structure Médias France, un groupement de plusieurs organismes de recherches engagés dans la recherche sur l'environnement et la santé, et qui intègre le projet MATE.

La dengue en quelques chiffres

On assiste en Argentine, et plus largement sur le continent sud-américain, à un retour de la dengue, qui avait été quasiment éradiquée à partir des années 1950, avant de ressurgir au début des années 1980. Ainsi, près de 200 cas ont été répertoriés en 2007 dans le nord de l'Argentine. Bien peu, certes, comparé aux 560.000 cas recensés au Brésil pour la même période, ou aux 50 millions de personnes infectées chaque année dans le monde, selon l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Mais justement, la présence de foyers infectieux de l'autre côté des frontières, situées à quelques kilomètres de Puerto Iguazu, fait craindre de nouvelles infection.

D'autres projets dans le monde

Qu'apportent les satellites dans le suivi des épidémies ?

Si à Puerto Iguazu il faudra encore attendre quelques mois avant que les autorités locales n'aient accès à un système d'alerte basé sur les travaux de MATE, de tels outils sont déjà en cours d'utilisation ailleurs dans le monde : au total, une dizaine de programmes de télédétection appliquée au suivi des épidémies, essentiellement sur le continent africain. La plupart en sont encore au stade de projet de recherche, comme c'est le cas de MATE, et concernent des maladies humaines, essentiellement la dengue et le paludisme. Les autorités du Paraguay et de Bolivie, quant à elles, ont jugé les résultats fournis par MATE suffisamment encourageants pour étendre le projet au-delà des frontières argentines… en attendant maintenant que le géant brésilien les rejoigne, vraisemblablement au début de l'année 2009. Le plan régional de prévention de la dengue qui verra alors le jour, préfigurera l'avenir du suivi épidémiologique. Un suivi largement piloté depuis l'espace.

Expérience au Sénégal

Dans la région du Ferlo, située au nord-est du Sénégal, un plan de prévention a été mis en place contre la fièvre de la vallée du Rift, une maladie infectieuse touchant principalement le bétail, et transmise par plusieurs moustiques du genre Aedes. Ce plan est géré depuis la capitale, Dakar, au Centre de suivi écologique, qui dépend du ministère sénégalais de l'Environnement. Il a débuté par des travaux de recherche fondamentale, initiés en 2005. « En lien avec des entomologistes français et sénégalais, nous avons tout d'abord décortiqué la dynamique de formation des larves, en étudiant les centaines de petites mares qui se forment lors de la saison des pluies, et établi la distance à laquelle volent les moustiques autour des sites d'éclosion », explique le chercheur Jean-Pierre Lacaux.

Grâce à ce travail préalable, les chercheurs ont pu générer un modèle capable de prédire, à partir de l'analyse des images satellitaires de la région concernée, dans quelles zones allaient évoluer les moustiques autour des mares récemment formées. Dans le cadre du plan d'action, les coordonnées de ces ZPOM (zones potentiellement occupées par les moustiques) sont alors communiquées aux autorités sanitaires locales, qui contactent à leur tour les pasteurs pour que le bétail soit déplacé hors des zones à risque, ou pour que les bêtes menacées soient vaccinées sélectivement.

Pedro Lima le 20/10/2008