Dengue : le moustique étend son territoire

Arrivé en France métropolitaine en 2004, le moustique tigre, Aedes albopictus, vecteur du chikungunya et de la dengue, poursuit sa progression dans le sud de la France et pourrait atteindre la capitale d'ici cinq ans. Itinéraire, vie et mœurs, d'un moustique presque ordinaire.

Par Paloma Bertrand, le 21/10/2010

Septembre 2010, premiers cas autochtones

Après un premier cas début septembre, la ville de Nice vient d'enregistrer un deuxième cas de dengue "autochtone", des personnes tombées malades sans être sorties du territoire. Le premier est un Niçois de 64 ans et le second un jeune homme de 18 ans. Tous deux se connaissent et vivent dans le même quartier. Selon le journal Nice Matin treize autres personnes ont également été placées sous surveillance. Quelques jours plus tard, deux cas "autochtones" de chikungunya ont été diagnostiqués à Fréjus, dans le Var. Pour Didier Fontenille, directeur de l'unité de recherche « caractérisation et contrôle des populations de vecteurs de maladies tropicales » à l'IRD (Institut de recherche pour le développement), « c'était attendu, je suis juste surpris que cela ne soit pas arrivé plus tôt ». Car depuis le mois de mai, toutes les conditions étaient réunies pour que surviennent de tels cas dans la région Paca.

La dengue

La dengue est une maladie virale transmise par la salive du moustique du genre Aedes (Aedes albopictus en France métropolitaine, Aedes aegypti aux Antilles).

Après la piqûre du moustique, la période d'incubation est habituellement de 4 à 7 jours et généralement, la dengue ne provoque que peu ou pas de symptômes. Lorsque la maladie se manifeste, il s'agit essentiellement d'une forte fièvre (le plus souvent supérieure à 39°C, pouvant atteindre 40°C- 41°C) avec des maux de tête et des courbatures. Des symptômes qui durent 2 à 7 jours. La dengue évolue spontanément vers la guérison sans séquelle dans la majorité des cas. Mais parfois (le plus souvent chez des enfants de moins de 15 ans), la maladie peut évoluer vers des formes sévères (dengue hémorragique, atteintes viscérales). Il n'existe aucun traitement préventif ou curatif et il n'y a pas de vaccin.

Le virus de la dengue est un arbovirus dont il existe quatre sérotypes distincts. L'infection par un sérotype donné confère une immunité prolongée mais n'offre pas d'immunité contre les autres sérotypes.

Depuis une trentaine d'années, on observe une extension importante de la répartition géographique et du nombre de cas annuels de dengue. La maladie est maintenant endémique dans plus de 100 pays d'Afrique, des Amériques (y compris les Caraïbes), du Moyen-Orient, de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique. Les deux-cinquièmes de la population mondiale (2,5 milliards de personnes) sont exposés.

Didier Fontenille : “Le moustique progresse de 50 à 100 km chaque année.“

Depuis six mois, les Antilles françaises connaissent en effet la plus forte épidémie de dengue de leur histoire (29 200 cas en Martinique, 36 000 en Guadeloupe, 19 victimes) et 110 cas ont été répertoriés dans les départements du Var, de la Corse, des Alpes maritimes et des Bouches du Rhône. 110 personnes passées par les Antilles ou l'un des pays où sévit la maladie qui pnt été hospitalisées ou diagnostiquées à leur retour de voyage. 

Il suffisait juste que dans l'un de ces départements, un moustique tigre pique l'une de ces 110 personnes pour que le moustique alors infecté transmette le virus à toutes ses futures victimes. Car ce moustique, Aedes albopictus, proche cousin de celui qui sévit aux Antilles, est le vecteur de deux maladies : la dengue et le chikungunya. Implanté sur le littoral méditerranéen depuis 2004, il poursuit d'année en année sa progression dans l'arrière pays. Didier Fontenille fait d'ailleurs le pari que d'ici cinq ans, Aedes albopictus sera aux portes de la capitale.

Un moustique ordinaire…

La femelle Aedes albopictus

A première vue, rien ne distingue Aedes albopictus des 3500 espèces de moustiques décrites de par le monde, excepté les anneaux blancs et noirs qui ornent ses pattes et qui lui ont valu son surnom de moustique tigre. Comme dans toutes les familles de moustique, seules les femelles piquent. Une question de survie pour l'espèce car un « repas de sang », comme disent les entomologistes, est indispensable à la reproduction (les protéines du sang servent à la fabrication des œufs). La femelle Aedes albopictus qui se nourrit aussi bien sur l'homme que sur les autres animaux (chiens, chats, oiseaux…) a ainsi besoin d'effectuer un repas complet tous les 2-3 jours pour pouvoir pondre 50 à 120 œufs. Quant au mâle, sa présence n'est requise qu'une seule fois : un unique rapport sexuel suffit à la femelle pour emmagasiner le stock de spermatozoïdes nécessaires à la reproduction tout au long de sa vie

…mais particulièrement vorace

Larves de moustique

Contrairement aux espèces nocturnes qui se nourrissent en une seule fois sur des proies endormies donc faciles, Aedes albopictus qui vit essentiellement le jour doit souvent s'y reprendre à plusieurs fois pour compléter son repas. Les piqûres sont donc fréquentes. Sachant qu'une femelle peut vivre entre 2 et 4 semaines, un calcul grossier permet d'imaginer qu'elle piquera en moyenne une quinzaine de fois dans son existence. Si elle est devenue porteuse du virus de la dengue ou du chikungunya lors de son premier repas, elle est donc potentiellement capable d'infecter à elle seule une quinzaine de personnes. Et il suffit que d'autres femelles piquent une de ces quinze personnes pour que les contaminations doublent ou triplent en quelques semaines. Les deux cas de dengue diagnostiqués à Nice, dans un même quartier, entre personnes de connaissance, ne sont donc pas surprenants et la contamination reste faible.

Casanier mais capable de voyager

Carte européenne des zones potentiellement favorables à l'installation du moustique tigre

Quand la femelle trouve autour d'elle des conditions satisfaisantes à sa reproduction - du sang pour pondre et de l'eau pour y déposer ses œufs – elle va peu se déplacer. Les zones urbaines et pavillonnaires sont donc pour elle un territoire de chasse idéale. Quelques dizaines de mètres lui suffisent pour trouver de nouvelles proies et de petites nappes d'eau où déposer ses œufs (car contrairement à la majorité des moustiques, la femelle Aedes albopictus ne mets pas tous ses œufs dans le même panier et disperse sa ponte en différents endroits).

Bien qu'originaire d'Asie du Sud-Est, Aedes albopictus supporte facilement des régions plus tempérées. Il procrée entre mai et octobre et lorsque le climat ne lui est plus favorable, c'est-à-dire en début d'automne, les adultes meurent et les œufs pondus entrent en « diapause », attendant les pluies de printemps pour éclore. Le moustique n'a donc pas besoin de migrer vers de nouvelles contrées. Il a pourtant traversé les continents (le commerce international du pneu usagé, réceptacle idéal à des poches d'eau stagnante, a été pointé comme l'un des principaux facteurs de la progression du moustique dans le monde), et il gagne peu à peu du terrain en métropole. Une cinquantaine de kilomètres chaque année, voire parfois des « bonds » d'une centaine de kilomètres. Une dispersion naturelle accentuée par le développement des axes routiers : il suffit qu'une femelle voyage dans une voiture quelques heures pour qu'elle s'approprie, elle et sa progéniture, un nouveau « territoire de chasse ».

Aedes albopictus sous surveillance

Il n'existe aucune méthode pour éradiquer à grande échelle le moustique. En cas de crise grave, certains pays ont parfois recours à un usage massif d'insecticides qui détruit non seulement Aedes albopictus mais aussi toutes les populations d'insectes présentes dans l'environnement. De nouvelles voies d'éradication sont explorées aujourd'hui, comme de lâcher des mâles stériles pour enrayer la reproduction de l'espèce, mais ces travaux en sont encore au stade de la recherche.

Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont mis en place un plan contre la dengue et le chikungunya : un plan du ministère de la Santé réactualisé chaque année qui vise à enrayer la propagation du moustique et à prévenir le risque épidémique. La population est ainsi invitée à rapporter aux autorités la présence de moustiques suspects et à détruire systématiquement les gîtes larvaires potentiels : élimination de l'eau stagnante dans les soucoupes, les vases, les pneus, les gouttières, les balcons et jardins.

Quant au risque épidémique, le corps médical et la population ont été sensibilisés à reconnaître les symptômes de la dengue. Les cas suspects doivent être impérativement déclarés et cette vigilance doit s'accompagner d'une protection individuelle contre les piqûres : vêtements couvrants et usage de répulsifs anti-moustique. Des recommandations qui, pour Didier Fontenille, sont encore peu souvent suivies d'effet tant le risque épidémique paraît encore faible aux habitants des départements concernés. Les premiers cas de dengue autochtone pourraient peu à peu changer la donne.

Paloma Bertrand le 21/10/2010