Para(tétra)plégie : des recherches porteuses d'espoir

Comment réparer une moelle épinière endommagée ? Plusieurs pistes sont explorées par une équipe de Montpellier avec déjà des résultats marquants. Reportage sur place. 

Par Viviane Thivent, le 28/05/2009

Star de labo

Bruits de pipette. Courbée sur sa paillasse, une jeune femme répartit un liquide transparent dans une série de tubes à essai. Elle explique : « je fixe des cellules nerveuses issues d'une moelle épinière. » Son geste a la régularité d'un métronome et sa voix, comme un parfum d'Espagne. « Il y a quelques années, cette jeune femme était actrice de cinéma… mais elle a changé de vie, obtenu des diplômes et maintenant elle travaille pour nous ! » glisse non sans fierté son responsable, Alain Privat, directeur de recherche à l'Inserm de Montpellier. Une actrice de cinéma ? Marisa Teigell esquisse un sourire : « L'histoire de ce laboratoire est encore plus intéressante que la mienne... »

Nous sommes à Montpellier, en face de l'imposant bâtiment historique de l'hôpital Saint-Éloi, au bord d'un parc paisible, dans une sorte de bâtisse baroque qui tranche avec l'ambiance monacale des lieux. C'est ici que l'équipe de « physiopathologie et thérapies des déficits sensoriels et moteurs » de l'Inserm tente de mettre au point des techniques thérapeutiques permettant de réparer des moelles épinières endommagées et ce, avec déjà quelques résultats marquants. En 2003, ce groupe a ainsi fait parler de lui en réussissant à faire remarcher des rats dont la moelle épinière avait été sectionnée. « Mais attention, il s'agissait de souris transgéniques ! » précise Alain Privat.

Trois stratégies pour trois stades

Depuis sa création en 1989, l'équipe de Montpellier a développé trois pistes de recherche pour intervenir à trois stades de développement d'une paralysie liée à une atteinte de la colonne vertébrale.

La première, dite de neuroprotection, vise à réduire l'étendue des lésions secondaires, celles qui se forment juste après le traumatisme. A la suite d'un choc, en effet, les tissus de la moelle se mettent à gonfler, détruisant des cellules nerveuses qui n'avaient pas été touchées au moment de l'accident. « Ces réactions en chaîne aggravent l'état du patient, d'où l'idée d'intervenir en amont, avant que ces lésions ne se forment », insiste Alain Privat. Ainsi, dès les années 1990, l'équipe française a identifié une molécule, la gacyclidine, qui, administrée juste après le traumatisme, empêche la formation des lésions secondaires. Du moins chez les rats.

Car chez l'homme, les choses sont moins claires. Les tests cliniques, conduits entre 1997 et 1999 en partenariat avec l'Institut de recherche sur la moelle épinière et l'ensemble des SAMU de France, n'ont montré aucun effet significatif. « Mais ceci ne signifie pas que la gacyclidine ne soit pas efficace. Dans cet essai, la substance n'était injectée qu'aux personnes présentant des atteintes primaires gravissimes. Or, il est difficile d'espérer une quelconque amélioration à la suite de telles lésions. » Pour en avoir le cœur net, l'équipe espère pouvoir mettre en place un second essai clinique dans les prochaines années.

Autre piste explorée : la régénération. Contrairement à une idée reçue tenace, les cellules nerveuses peuvent se régénérer d'elles-mêmes « à condition que l'on empêche leur cicatrisation », nuance Alain Privat. Il s'explique : dans une moelle épinière, on trouve bien sûr des neurones mais aussi des cellules gliales dont la fonction est, entre autres, de nourrir, de soutenir les neurones… mais ce n'est pas tout. Car lorsqu'un neurone est sectionné, les cellules gliales environnantes se mettent à produire des substances qui isolent le neurone en constituant autour de lui des cicatrices impénétrables. Dès lors, celui-ci ne peut plus se régénérer. C'est la paralysie.

« En partant de cette observation de laboratoire, nous avons créé en 2003 des souris dont les cellules gliales étaient incapables de sécréter ces substances cicatrisantes, » continue le chercheur. Et les résultats obtenus ont été spectaculaires : les souris transgéniques dont la moelle épinière a été sectionnée se sont remises à marcher normalement en quelques jours. « Depuis, nous avons mis au point une technique nouvelle, grâce à laquelle il semble possible d'empêcher la synthèse de ces substances cicatrisantes à l'aide d'ARN interférents. Les résultats de ce travail très prometteur seront publiées incessamment. ».

Des cellules souches contre la paralysie ?

Mais aussi intéressantes soient-elles dans les suites immédiates d'un accident, ces deux premières approches ne peuvent s'appliquer aux personnes déjà para ou tétraplégiques. D'où une troisième piste, basée sur l'étude de cellules dormantes, peu ou non différenciées, et donc capables de donner naissance à toute une variété de types cellulaires : les cellules souches. Depuis la fin des années 1990, on sait que des cellules souches, appartenant à la lignée neuronale, sommeillent dans la moelle épinière et le cerveau de rats adultes. Mais la preuve de leur existence dans la moelle épinière humaine adulte restait à apporter. Et pour cause : une telle observation ne peut se faire que sur des prélèvements particulièrement frais.« Dit autrement, explique Luc Bauchet, neurochirurgien à l'hôpital St Eloi, à deux pas du laboratoire, il nous fallait prélever de la moelle épinière sur des donneurs en état de mort cérébrale. » Ce qui n'est pas sans poser de sérieux problèmes éthiques.

L'aval de l'Institut français des greffes obtenu, les chercheurs de l'Inserm ont établi une collaboration étroite avec les services de neurochirurgie et de prélèvements d'organes de l'hôpital St Eloi. Cela a permis de prélever les moelles épinières de huit donneurs. Les échantillons ont été ensuite transmis et traités en urgence par les chercheurs de l'Inserm. « Les prélèvements pouvaient arriver aussi bien de jour que de nuit. Nous devions être disponibles 24 heures sur 24 pour avoir des chances de trouver des cellules souches vivantes, » se souvient Hélène Guillon, doctorante au sein de l'équipe. « Mais cet investissement humain a payé : non seulement nous avons démontré la présence de cellules souches dans la moelle épinière humaine mais en plus, nous avons réussi à les maintenir en vie afin de les faire se multiplier. » Une première mondiale rendue possible par une mobilisation et une collaboration hors norme.

Pour autant, une longue route reste à parcourir pour espérer une application thérapeutique. Entre autres choses, il s'agit de trouver les facteurs chimiques qui permettront de guider la différenciation de ces cellules souches vers de nouveaux neurones. « De fait, les essais cliniques ne devraient pas débuter avant cinq ans, précise Alain Privat. Néanmoins, autant être clair dès maintenant, cette technique ne redonnera jamais une marche normale aux personnes paralysées. Elle pourrait par contre leur rendre une certaine autonomie, en rétablissant par exemple les fonctions sexuelles et excrétoires. »

Des protocoles qui dérapent à l'étranger

Mais si les cellules souches sont porteuses d'espoir, elles sont déjà sources de dérapages éthiques en Chine ou au Portugal. Deux pays dans lesquels des médecins greffent actuellement des cellules embryonnaires ou des cellules souches (non issues d'une moelle épinière) sur des personnes paralysées. Et ce, sans effectuer le moindre suivi et en ignorant tout des conséquences à court, moyen ou long terme de ces traitements expérimentaux. « Or, de telles greffes peuvent avoir des conséquences dramatiques et déclencher des cancers par exemple, avertit Luc Bauchet qui a pu assister en Chine à des interventions du Dr. Wang. Il faut bien expliquer aux patients que nous sommes dans une période charnière. De nombreuses découvertes fondamentales sont faites ici et ailleurs mais celles-ci mettront encore quelques années avant de déboucher sur des solutions thérapeutiques. »

Viviane Thivent le 28/05/2009