Sinosauropteryx, le dinosaure qui retrouve ses couleurs

Une équipe de paléontologues chinois et britanniques a reconstitué, pour la première fois, la couleur de plumes primitives chez une espèce de dinosaure. Une découverte qui permet de mieux comprendre la fonction du plumage au cours de l'évolution.

Par Pedro Lima, le 09/02/2010

Les proto-plumes se dévoilent

« Jusqu'à présent, lorsqu'il créait un dinosaure grandeur nature pour une exposition, le paléo-artiste avait carte blanche pour la couleur de peau, faute d'informations… Il choisissait généralement le gris ou le marron pour les grands herbivores, en se basant sur la ressemblance avec les éléphants et les rhinocéros, ou le vert pour les carnivores, évoquant plus le lézard ou le crocodile. Désormais, nous disposons d'éléments tangibles pour leur attribuer des couleurs précises, même s'ils sont encore limités », se réjouit le paléontologue Jean Le Lœuff, qui est également directeur du musée des Dinosaures d'Espéraza (Aude).

Le fossile du Sinosauropteryx

Pour la première fois, une équipe sino-britannique, dirigée par le paléontologue chinois Fucheng Zhang, a en effet redonné sa couleur à un dinosaure fossile. Plus précisément au Sinosauropteryx, un petit prédateur bipède qui vivait il y a 130 millions d'années. Exhumé dans les gisements de Jehol (province chinoise du Liaoning), ce dinosaure figurait déjà parmi les plus anciens animaux à plumes connus à ce jour. Des plumes d'aspect primitif, ou proto-plumes, dont on connait désormais la couleur. « La queue et la crête de Sinosauropteryx présentaient une alternance d'anneaux allant du blanc au marron, en passant par l'orangé », détaille Mike Benton, paléontologue à l'université de Bristol et co-auteur de cette étude publiée dans Nature le 27 janvier dernier (1). Les chercheurs ont également analysé le fossile de Confuciusornis, un oiseau parmi les plus anciens connus à ce jour, qui évoluait il y a 125 millions d'années à Jehol. Verdict : il présentait un plumage tacheté de noir, de blanc et de brun noisette…

  1. « Fossilized Melanosomes and the Colour of Cretaceous Dinosaurs and Birds ». Zhang et all., Nature, publication en ligne le 27 janvier 2010

Bactéries fossilisées ou mélanosomes ?

Organites ou phæomélanosomes de la crête dorsale du Sinosauropteryx

Alors, comment les chercheurs s'y sont-ils pris pour retrouver la couleur de plumes fossilisées il y a des dizaines de millions d'années et transformées en pierre opaque et incolore ? Réponse : en découvrant, grâce au microscope électronique à balayage, de microscopiques structures entremêlées dans les barbules (1) qui constituaient les plumes. Or, ces structures, de forme sphérique ou allongée et d'une taille inférieure au micron, évoquent immédiatement aux paléontologues des organites, courants chez les oiseaux actuels, appelés mélanosomes. Ces derniers fabriquent les mélanines, pigments qui confèrent à l'épiderme une protection contre les rayonnements ultraviolets… et qui donnent leur couleur aux organes qui les contiennent, peaux ou plumes.

  1. Crochets minuscules formant un enchevêtrement de filaments qui relient les barbes de plume entre elles.

Fossile de Confuciusornis

Question : les structures révélées au microscope correspondent-elles à des bactéries fossilisées, dont la taille et la forme rappellent celles des mélanosomes ? Non, à en croire l'équipe sino-britannique car, dans ce cas, elles seraient réparties au hasard sur le plumage des deux fossiles. Or, elles n'ont été mises en évidence que dans certaines zones et suivant la même disposition géométrique que dans les plumes d'oiseaux modernes. Conclusion des paléontologues : il s'agit bien de mélanosomes. Plus précisément, d'eumélanosomes et de phaeomélanosomes, connus chez les oiseaux modernes pour générer certaines teintes spécifiques… justement celles avancées par les paléontologues pour Sinosauropteryx et Confuciusornis. Un raisonnement indirect, donc, mais basé sur de solides observations, et qui convainc les spécialistes du domaine. « C'est une étude sérieuse, qui lève un coin du voile sur le mystère des couleurs fossiles », analyse Jean Le Lœuff. Le chercheur rappelle néanmoins que la présence de tels mélanosomes a déjà été montrée, en 2008, dans des plumes fossiles en provenance de gisements brésiliens datant du crétacé. « Mais il s'agissait de plumes d'oiseaux et non de dinosaures. Grâce à ces travaux, le rôle des plumes dans l'évolution des dinosaures va donc pouvoir être précisé. »

Origine et fonction des plumes

Les recherches sur la couleur du plumage sont en effet à replacer dans le cadre plus général de l'origine et de la fonction des plumes. Selon la théorie en vigueur, avancée par les biologistes américains Alan Brush et Richard Prum dans les années 1980, les plumes ont connu cinq stades évolutifs, du plus sommaire au plus évolué. Dans ce scénario, seules les plumes du stade 5, les plus abouties, permettent le vol. Elles sont en effet munies d'un tube central, ou rachis, auquel s'accrochent de fines barbes et barbules ramifiées, s'entremêlant pour former une véritable voilure.

La parade sexuelle (vue d'artiste)

Les paléontologues savent donc depuis longtemps que les plumes ne sont pas apparues en même temps que le vol, mais qu'elles l'ont précédé dans l'évolution… Avant de le rendre possible, chez certains animaux, selon un scénario qui reste à écrire : l'ancêtre des oiseaux courant sur ses membres postérieurs et battant des membres antérieurs jusqu'à s'élever dans les airs, ou bien s'élançant depuis une branche en planant après avoir grimpé aux arbres ! Quoi qu'il en soit, l'antériorité du plumage sur le vol est confirmée par l'étude de Sinosauropteryx, puisqu'il est à la fois muni de proto-plumes, mais ne possède pas d'ailes. Un argument de plus, par ailleurs, pour les tenants déjà majoritaires d'une origine dinosaurienne à tous les oiseaux. Mais alors, à quoi pouvait bien servir un plumage qui ne permettait pas à Sinosauropteryx – et tous ses cousins à plumes – de voler ?

Généralement, les chercheurs avancent deux hypothèses : le rôle dans la reconnaissance entre espèces, voire entre partenaires sexuels à l'intérieur de l'espèce, et la thermorégulation, c'est-à-dire la protection contre le froid ou la chaleur. Et là aussi, l'étude sino-britannique apporte un début de réponse. « Notre étude va dans le sens d'un rôle de reconnaissance et de séduction entre partenaires sexuels, car Sinosauropteryx ne portait des plumes que sur des parties limitées du corps, comme la queue et la crête, ce qui limitait leur action thermorégulatrice », analyse Mike Benton.

Une plume préservée dans l’ambre fossile

Ces résultats, encore très isolés, ouvrent donc de réelles perspectives. « En analysant des individus différents à l'intérieur d'une même espèce et en distinguant leurs sexes, on associera peut-être de grandes plumes colorées à un rôle de parade, comme cela se voit chez les paons, et de plus petites plumes à la régulation thermique », espère Didier Néraudeau, paléontologue à l'université de Rennes 1. En 2008, ce chercheur a révélé la présence, dans de l'ambre fossile des Charentes, de minuscules plumes datant de 100 millions d'années et correspondant à la transition entre les stades 2 et 3 de la théorie de Prum et Brush.

Et les dinosaures sans plumes ?

Fossile d’un Corythosaurus casuarius

Mais au fait, qu'en est-il des dinosaures sans plumes, qui constituaient l'immense majorité (99%) des « terribles sauriens » qui ont peuplé la Terre entre 230 et 65 millions d'années ? Difficile d'apporter une réponse à cette question car le cuir coloré dont ils étaient recouverts ne s'est pratiquement jamais fossilisé. À quelques exceptions près, dans les cas où de la peau a été retrouvée à la surface des ossements.

C'est le cas de quelques spécimens chinois, ainsi que d'un hadrosaure de l'espèce Edmontosaurus, exhumé dans le Nord-Dakota (États-Unis), ou encore, d'un Corythosaurus découvert au Canada en… 1914 ! Ils ne devraient pas tarder à être regardés à la loupe : « Nul doute que la recherche de pigments ou de mélanosomes fossilisés va maintenant se généraliser, en employant les techniques de pointe validées sur Sinosauropteryx », prédit Jean Le Lœuff. Avec, on l'espère, de nouvelles surprises, colorées, à la clé.

Pedro Lima le 09/02/2010