Cuisine cellulaire : des cellules de peau transformées en neurones

Prenez la queue d'un souriceau, prélevez quelques cellules de peau, injectez trois gènes (Ascl1, Brn2, Myt1l), attendez douze jours, et vous obtiendrez des neurones de souris fonctionnels.

Par Paloma Bertrand, le 11/02/2010

Un domaine de recherche en ébullition

Transformation de fibroblastes en neurones

Dans le champ de la reprogrammation cellulaire, chaque semestre apporte son lot de découvertes. Cette fois, c'est une équipe de l'université de Stanford (États-Unis) qui vient de réussir la reprogrammation de cellules de peau, plus exactement de fibroblastes, en neurones. Un succès annoncé dans la revue Nature datée du 27 janvier.

En mars 2008, une équipe de l'université de Harvard avait précédé celle de Stanford en réussissant pour la première fois une reprogrammation d'une cellule du pancréas en une cellule capable de produire de l'insuline. Cette reprogrammation directe d'une cellule spécialisée en une autre cellule spécialisée, sans passer par la case cellule souche, était une nouveauté. Restait à réitérer l'expérience avec d'autres cellules. C'est désormais chose faite.

Reprogrammer le destin d’une cellule

Lorsqu'un organisme se développe, les cellules se spécialisent et donnent naissance à différentes lignées : des cellules de peau, des neurones, des cellules musculaires, etc. On a longtemps jugé ce processus irréversible. Mais depuis les années 1990, les scientifiques savent qu'en identifiant une « clé moléculaire » adaptée, le plus souvent une association de quelques gènes, il est désormais possible de modifier le destin d'une cellule adulte.

Pour quoi faire ?

« Mieux comprendre les pathologies »

L'intérêt majeur de ces reprogrammations est de fabriquer, à partir de cellules facilement disponibles, une grande variété de cellules dont certaines, comme les neurones, sont quasiment indisponibles pour la recherche.

Or, quoi de plus accessible qu'une cellule de peau, même sur un souriceau à peine âgé de quelques jours, et quoi de plus différent d'une cellule de peau qu'un neurone ? L'exercice auquel se sont attelés Marius Wernig et son équipe se présentait donc comme un cas d'école dans le champ encore nouveau de ces reprogrammations.

Une technique qui pourrait être une manne pour la recherche fondamentale et la recherche appliquée en permettant d'étudier le développement de nombreuses cellules et de mieux comprendre, voire de soigner, un large spectre de maladies. Les neurones obtenus au laboratoire pourraient permettre par exemple, d'observer in vitro les mécanismes en œuvre dans les maladies neurodégénératives et de tester, sans danger pour les patients, des molécules susceptibles de prévenir ou de guérir ces maladies.

La recette de l’université de Stanford

La recette de cette transformation parait au final assez simple. Mais l'équipe de Marius Wernig a dû néanmoins tâtonner pour identifier les ingrédients les plus percutants, à savoir les gènes capables d'enclencher cette reprogrammation cellulaire.

La première étape a consisté à sélectionner 19 gènes connus notamment pour leur rôle dans le développement neuronal, puis à les insérer dans un virus capable d'infecter les cellules de peau. Trente-deux jours après, l'expérience est un succès.

Mais 19 gènes, c'est un panel bien large et il restait à découvrir quels sont précisément les gènes responsables de cette transformation et quelle formule est la plus efficace.

Les chercheurs ont alors testé gène par gène, ou par combinaison de quelques gènes, leurs performances respectives. Pour finalement isoler la combinaison idéale : l'association des trois gènes, Ascl1, Brn2 et Myt1l. Avec l'injection de ces trois gènes, 20% des cellules de peau se sont transformées en neurones fonctionnels au bout de douze jours.

« Ce travail est intéressant et encourageant, confirme Anselme Perrier de l'I-Stem, l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies génétiques. Cela apporte la preuve que quelques gènes suffisent pour obtenir un type cellulaire très particulier. Ces résultats devraient accélérer les recherches dans ce domaine. On devrait savoir bientôt si cette expérience est reproductible à des cellules humaines. »

Une nouvelle alternative

Cette nouvelle technique de reprogrammation directe est une alternative aux recherches entreprises sur les cellules souches qui soulèvent encore des interrogations éthiques (pour les cellules souches embryonnaires humaines) ou techniques (pour les IPS ou cellules pluripotentes induites).

IPS, la nouvelle révolution cellulaireIPS, la nouvelle révolution cellulaire

Une technologie a fait son apparition dans les laboratoires de biologie cellulaire : la reprogrammation cellulaire, ou cellules IPS. Son but : permettre de produire à volonté n'importe quel type de cellules sans passer par l'utilisation fortement controversée d'embryons. Le point avec une équipe pionnière à Strasbourg.


Réalisation : Pascal Goblot


Production : Cité des sciences et de l'industrie 2009

La reprogrammation directe dispose de sérieux atouts : elle offre un gain de temps, de moyens et les risques induits de cancer pourraient être moindres (les recherches sur les souris ont montré que, parmi les gènes reprogrammateurs utilisés pour fabriquer des cellules pluripotentes induites, certains pouvaient entraîner des tumeurs).

En revanche, contrairement aux cellules souches et pluripotentes, ces cellules reprogrammées n'ont pas capacité à se multiplier. Dans l'hypothèse encore lointaine où cette technique deviendrait la panacée pour soigner en nombre des malades, il faudrait disposer d'une importante quantité de cellules reprogrammables, voire pourquoi pas, créer des banques du fibroblaste.

Mais la route est encore longue. Plusieurs étapes essentielles restent à franchir, dont la première est d'obtenir des résultats aussi concluants en reprogrammant, cette fois, des cellules humaines.

Paloma Bertrand le 11/02/2010