Diabète : des cellules changent de programme

Modifier, à distance, le destin de cellules fonctionnelles, le tout chez un organisme vivant, c'est ce que vient de réaliser une équipe de l'université Harvard. En injectant trois molécules dans le pancréas de souris diabétiques, elle a transformé certaines cellules du pancréas en cellules capables de produire de l'insuline.

Par Viviane Thivent, le 09/09/2008

Créer les cellules manquantes

La structure d'une molécule d'insuline

Les personnes atteintes du diabète de type 1 sont incapables de réguler leur glycémie. Et ce, parce qu'un type cellulaire leur fait défaut : les cellules bêta, ces usines à insuline qui forment de petits îlots disséminés dans le pancréas.

Or, en travaillant sur des souris présentant ce type de maladie une équipe de l'université Harvard est parvenue à transformer des cellules présentes en grande quantité, même dans un pancréas malade, en cellules bêta*. Une prouesse que l'on aurait crue impossible il y a quelques années seulement.

* Q. Zhou et al., Nature, 28 août 2008

Moins irréversible que prévu

En effet, lorsqu'un organisme se développe, les cellules qui le composent se transforment. Et si elles partagent le même ADN, elles se spécialisent pour donner naissance à différentes lignées cellulaires (neurones, cellules musculaires, cutanées...). Ce processus, appelé différenciation cellulaire, a longtemps été considéré comme irréversible. Pour les chercheurs, c'était même une certitude : un neurone ne pouvait qu'être un neurone, et une cellule pileuse… une cellule pileuse.

Une coupe d'une portion du pancréas avec, au centre, des cellules bêta.

Sauf que voilà, dans les années 1990, des Américains ont montré qu'en identifiant une « clé moléculaire » adaptée, il était possible de modifier le destin d'une cellule adulte. La preuve par l'expérience : en introduisant le gène MyoD dans n'importe quel type de cellule, ils ont obtenu une cellule musculaire. L'idée que l'on pouvait influencer l'expression des gènes venait de naître et avec elle, le concept de thérapie génique.

Reste que pour modifier la mécanique, si bien rodée, d'une cellule adulte, encore faut-il avoir des clés (ou facteurs de transcription) adaptées. L'équipe de Harvard a ainsi examiné quelque 1 100 groupes de ces facteurs de transcription avant de trouver une combinaison capable de transformer une cellule pancréatique exocrine* en cellule bêta. Les trois molécules identifiées ont été insérées dans des adénovirus, vecteurs utilisés en thérapie génique, puis injectées dans le pancréas de souris incapables de produire de l'insuline. Trois jours plus tard, la glycémie des souris diabétiques a commencé à chuter ; des cellules pancréatiques s'étaient mises à sécréter de l'insuline, hormone permettant la consommation du glucose sanguin : elles étaient passées de la lignée « exocrine » à la lignée « bêta ».

* Les cellules exocrines sécrètent des molécules nécessaires à la digestion.

Vers une thérapie ?

Ce résultat peut-il conduire à une solution thérapeutique pour les diabétiques ?

Est-ce à dire, pour autant, que l'on s'oriente vers une solution thérapeutique pour les malades atteints de diabète de type 1. « Pas encore, explique Raphaël Scharfmann, de l'équipe « Développement normal et pathologique des organes endocrines » de l'Inserm. D'abord parce que ce travail n'a été effectué que sur des souris et qu'il n'est peut-être pas reproductible chez l'homme. Ensuite, parce qu'il ne réduit pas assez la glycémie de la souris pour la guérir.»

De plus, le pancréas « corrigé » ne se comporte pas comme un organe normal, non pas à cause de la perte de quelques cellules exocrines mais parce que l'efficacité des nouvelles cellules bêta n'est pas stable dans le temps. « Ceci pourrait être lié à la disposition spatiale de ces cellules. Dans un pancréas normal, les cellules bêta forment de petits îlots qui fonctionnent comme des micro organes. Dans l'expérience, par contre, elles se distribuent de façon diffuse ». Enfin, il est important de préciser que, jusqu'à maintenant, l'utilisation de facteurs de transcription n'a jamais débouché sur de réelles solutions thérapeutiques. « Dans les années 1990, rappelle le chercheur, la découverte du gène MyoD avait nourri d'importants espoirs concernant le traitement des myopathies. Vingt ans plus tard, rien de concret n'a encore émergé. »

Viviane Thivent le 09/09/2008