Station spatiale internationale : le volet scientifique est-il menacé ?

Malgré la récente mission du Français Philippe Perrin à bord de la Station spatiale, l'avenir de ce laboratoire orbital paraît bien sombre. Pour des raisons budgétaires, le volet scientifique de ce projet pourrait bien être sacrifié.

Par Paul de Brem, le 13/08/2002

« Pépé » hors du véhicule

Philippe Perrin lors de la première sortie extravéhiculaire, le 9 juin 2002.

Le 19 juin dernier, Philippe Perrin retrouvait la terre ferme, achevant une mission de douze jours à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Deuxième Français à s'y rendre (après Claudie Haigneré en octobre 2001, désormais ministre de la recherche et des nouvelles technologies), « Pépé » est devenu le premier Européen à y réaliser une sortie extravéhiculaire – EVA pour les Américains.

Ces sorties, réalisées avec Franklin Chang-Diaz, ont conduit Philippe Perrin à installer, sur une poutre métallique extérieure, la base mobile d'un bras robotisé canadien (Canadarm2) et à mettre en place un écran de protection du module de service russe contre les micrométéorites. Au cours de la troisième EVA, l'astronaute a procédé à la réparation d'un autre bras-robot dont une articulation était grippée.

Philippe Perrin, en quoi consiste votre mission à bord de la Station ?

Le spationaute français n'a pas eu le temps de s'ennuyer : endossant successivement les fonctions d'ingénieur de bord au décollage, d'ingénieur de bord principal au moment de l'amarrage de la navette à la Station, il s'est même livré au pilotage du bras robot de la navette pour en extraire un conteneur rempli de matériel à destination des occupants de l'ISS.

Les promesses des stations spatiales

Dans les années 90, les agences spatiales comme la Nasa promettaient la découverte prochaine de nouveaux médicaments et de fabuleux matériaux aux caractéristiques inconnues grâce à l'impesanteur qui règne à bord des stations spatiales. Il a fallu vite déchanter. De telles découvertes auraient-elles eu lieu que la production de ces substances et matériaux dans l'espace aurait été impossible : bien trop chère à réaliser.

Il ne faut pas attendre des stations spatiales comme l'ISS (International Space Station) ou ex-Mir des retombées pratiques immédiates et visibles. Elles sont des plates-formes d'études qui, grâce à leur situation exceptionnelle au dessus de la Terre, permettent par exemple d'en étudier l'environnement, d'en sonder les océans, d'en réaliser des cartes ultra précises pour mieux en comprendre le fonctionnement.

Comme ces stations se trouvent au-delà de l'atmosphère terrestre, à 400 km d'altitude, il n'y a entre elles et les étoiles aucun filtre naturel : l'observation astronomique y est grandement facilitée. Les stations jouissent également de conditions physiques très particulières puisque les objets n'y pèsent rien : grâce à de nombreuses expériences (mécanique des fluides, comportements physiques de flammes…), les chercheurs explorent cette situation d'impesanteur. Autre intérêt des stations orbitales : elles préparent l'homme à de nouveaux voyages dans l'espace par la complexité de leur mise en œuvre, par ce qu'elles nous apprennent du comportement et de la santé des astronautes dans l'espace.

Enfin, l'ISS a ceci de particulier que quinze pays y participent (les Etats-Unis, la Russie, onze pays d'Europe, le Japon et le Canada). Il s'agit de la collaboration la plus importante jamais réalisée à l'échelle internationale en temps de paix. À cet égard, elle exerce un rôle essentiel dans le jeu diplomatique en devenant un symbole de coopération entre les nations.

La science menacée sur la Station

ISS (International Space Station, Station spatiale internationale)

Cela dit, dans ce programme très chargé, un thème est passé à la trappe : la science. Philippe Perrin n'y a consacré qu'une heure au cours de son vol en tout et pour tout. Ce qui ne pèse pas très lourd. Faut-il y voir un présage ? On peut se le demander puisque les activités scientifiques futures à bord de l'ISS risquent bien d'être réduites à la portion congrue. En septembre dernier, Valeri Rioumine, directeur de la partie russe du porjet ISS, demandait à son homogue américain de "suspendre temporairement" l'exploitation de la station spatiale : l'agence spatiale russe n'arrive plus à financer la construction des vaisseaux spatiaux nécessaires au ravitaillement et à l'exploitation du complexe orbital.

Jean-Pierre Haigneré, pourquoi faut-il sept astronautes sur l'ISS et non pas trois ?

Déjà, début 2001, l'administration Bush avait purement et simplement coupé les budgets du CRV (Crew Rescue Vehicle), l'appareil de transport censé ramener les équipages sur Terre en cas d'accident sur la Station. Elle avait également supprimé les fonds destinés au module d'habitation qui devait être installé sur la Station dans les années à venir et où quatre membres étaient censés vivre.

Or, en l'absence de CRV et de ce module d'habitation, seuls trois astronautes au lieu des sept prévus initialement pourront vivre et travailler sur l'ISS. Suffisant pour la maintenir en état, en assurer le fonctionnement, mais trop peu pour se livrer à des expériences scientifiques, ce qui devait constituer pourtant sa raison d'être ! « Nous aurons une Station tout juste bonne à servir de destination de vacances « in » à des millionnaires et des pop stars », s'alarme le sénateur texan Ralph Hall.

Un dépassement de 5 milliards de dollars

X38, un prototype de CRV

La raison de ces coupes sombres ? Un nouveau dépassement de budget imputable à la Nasa. Le budget de la construction de l'ISS, fixé originellement à 17,4 milliards de dollars (Mds$,) avait déjà connu un excès de 7 Mds$. Après s'être fait tancer par le gouvernement, l'agence spatiale américaine s'était engagée à respecter un plafond de 25 Mds qu'elle a vite crevé. Début 2001, elle avouait un nouveau dépassement de 4,8 Mds$ ! Inacceptable pour George W. Bush qui, dès son arrivée au pouvoir, a mis la Nasa à l'épreuve pour deux ans : pendant cette période, elle doit faire la preuve de sa capacité à maîtriser les coûts de ses programmes et en particulier de l'ISS, qui représente 40 % du budget de la Nasa.

Qu'avez-vous dit à l'administrateur de la Nasa ? Alain Bensoussan, président du CNES

L'ancien administrateur de la Nasa avait lui-même prévenu : « Si nous nous imaginons que la petite souris existe, que des montagnes d'argent vont se déverser sur nous, nous allons être déçus car cela ne va pas se produire. » C'est pourtant bien sous sa direction que l'agence spatiale américaine a perdu la maîtrise de son budget. Depuis, Daniel Goldin a été remplacé par Sean O'Keefe en décembre dernier. Au visionnaire qui enflammait les salles avec ses projets d'exploration de l'Univers succède un gestionnaire. Du coup les priorités se déplacent et la formule « Pour quoi faire ? » prend la relève de la devise de Dan Goldin « Mieux, plus vite et moins cher ».

La Nasa en crise...

L'affaire de la Station spatiale internationale (ISS) met en lumière un phénomène qui a commencé en l'an 2000, lorsque deux sondes envoyées consécutivement par la Nasa vers la planète Mars ont été des échecs : la Nasa est alors entrée en crise, une crise de confiance, une crise d'identité qui perdure. La Nasa, qui se trouve à un carrefour dans sa riche histoire, doit aujourd'hui répondre à un certain nombre de questions capitales dont dépend son avenir.

A quoi sert la Station spatiale internationale ? Le nouvel administrateur de la Nasa, Sean O'Keefe, a fait remarquer qu'on avait créé un laboratoire, l'ISS, sans savoir pour quoi il allait être fait et ce qu'on allait lui demander... Il propose maintenant de redéfinir les expérimentations scientifiques qui seront menées à bord avant d'y envoyer de nouveaux outils d'études.

Quel avenir pour les vols habités ? La Nasa n'a pas décidé si elle désirait lancer une ISS2 dans l'avenir. Ou même si elle allait enfin s'engager pour que soient envoyés des hommes sur Mars dans le cadre d'une mission internationale. Le secteur des vols habités est ainsi laissé sans perspectives à long terme.

L'exploitation des vols de navette doit-elle être privatisée, c'est-à-dire laissée à la responsabilité de sociétés privées ? La Nasa renoncerait ainsi à son monopole sur l'accès à l'espace aux Etats-Unis. Ce serait un abandon d'une haute portée symbolique... La Nasa, agence civile, va-t-elle collaborer avec le département de la Défense, comme le souhaitent certains, pour accentuer la lutte contre le terrorisme international ? Là encore, ce serait une mutation majeure...

La Nasa va-t-elle réussir à se réformer ? Pour beaucoup, elle est devenue une grosse machine inefficace. Il est par exemple très difficile de connaître les coûts réels de la Station tant les livres de compte sont mal tenus, s'est inquiété la commission d'enquête CRS (Congressional Research Service) en mars 2002... Ce défaut d'efficacité risque de se payer cher.

« Une décision inacceptable »

En attendant que la Nasa se remette à flot et retrouve son équilibre financier, ses partenaires internationaux rongent leur frein. Parmi eux, l'Agence spatiale européenne (ESA) est particulièrement concernée puisqu'elle collabore au CRV, projet que les États-Unis ont décidé de geler unilatéralement.

Le coût de la Station pour l'Europe

« C'est inacceptable, estime Jörg Feustel-Buëchl, directeur des vols habités et de la microgravité à l'Agence spatiale européenne (ESA). Nous comprenons que les Américains doivent remettre leur maison en ordre, mais pas pourquoi cela doit se faire au détriment de notre accord de coopération signé en 1998 avec les 15 partenaires. » Accord dont Jörg Feustel-Büechl estime qu'il a valeur de traité international puisqu'il a été ratifié par plusieurs parlements.

Si les Etats-Unis persistent dans leur volonté de ne pas fabriquer le CRV, des solutions peuvent tout de même être trouvées afin que six astronautes travaillent sur l'ISS. L'une d'elles, qui a les faveurs de beaucoup, consiste à installer sur la Station deux véhicules de secours Soyouz de fabrication russe. Chacun de ces vaisseaux spatiaux peut emporter trois personnes et, déjà, l'un d'eux est attaché en permanence à la Station.

Paul de Brem le 13/08/2002