Marées noires : une goutte de fioul dans un océan d'hydrocarbures ?

Le 19 novembre 2002 au large des côtes de la Galice (Espagne), le “Prestige“ a sombré alors qu’il transportait 77 000 tonnes de pétrole. Soit plus de la moitié des 150 000 tonnes de pétrole rejetées accidentellement chaque année. Une goutte d’eau comparée au 1,5 million de tonnes d’hydrocarbures relarguées – a minima – lors d’opérations sauvages de dégazage ou de déballastage.

Par Vincent Colas, le 12/02/2003

Dégazage en Méditerranée : dix “Prestige“ par an

Le 5 novembre 2002, le pétrolier “Prestige“ quitte le port de Ventspill (Lituanie)...

Il est très difficile de donner une estimation mondiale du dégazage car les mers ne sont pas surveillées en permanence. En France, cette surveillance est assurée par les avions Polmar, qui volent quelque 500 heures par an. A partir des données qu’ils recueillent, on extrapole pour savoir quelle serait la pollution si la surveillance était continue. Ces chiffres sont donc des estimations par extrapolation, d’où des différences selon les sources.

Selon le WWF, qui a fourni l’étude la plus récente, la quantité de rejets par dégazage représenterait 3 à 4 millions de tonnes par an dont 0,7 à 1,3 million en Méditerranée (rapport WWF sur la pollution marine par hydrocarbures et les dégazages sauvages en Méditerranée, 2003).

Quelle est, au niveau mondial, l'étendue de la pollution pétrolière ? Christian Buchet, historien de la mer...

Néanmoins, la plupart des experts font des estimations plus basses, autour de 1,5 à 2 millions de tonnes pour l’ensemble des océans. Quoiqu’il en soit, le dégazage représente au moins dix fois plus que la pollution par marée noire. Et seulement 1% des infractions constatées sont effectivement sanctionnées.

La pollution par marée noire

A la différence des dégazages qui sont opérés volontairement, les marées noires sont des pollutions accidentelles. Elles procèdent de naufrages de pétroliers en mauvais état qui, faute de réglementation sévère, sont toujours en activité. Entre 1992 et 1999, 77 pétroliers ont été perdus en mer, dont 60 avaient plus de vingt ans. 9,5% des navires étrangers ont été contrôlés dans des ports français, alors que la législation européenne impose un quota de 25%.

L'accident du « Prestige »

Le 5 novembre 2002, le pétrolier « Prestige » quitte le port de Ventspill en Lettonie avec 77 000 tonnes de pétrole.

Le 13 novembre 2002, le capitaine met le bateau à la dérive et arrête les machines car la coque est déchirée sur sept mètres. Les ports espagnols refusent de l’accueillir. Deux remorqueurs le tirent au nord vers le large avant de piquer au sud vers le Portugal.

Le 16 novembre, le « Prestige » perd 50 mètres de coque sous la ligne de flottaison, près de 6 000 tonnes de pétrole se déversent alors dans la mer.

Le 19 novembre, le navire se brise en deux, libérant 6 à 7 000 tonnes de pétrole, et sombre par 3 600 mètres de fond. Pendant trois semaines, le navire laisse échapper plus de 100 tonnes de pétrole par jour, la coque s’étant fissurée sous l’effet de la pression.

Au 28 janvier, 17 des 20 fuites répertoriées sont colmatées grâce à des interventions répétées du « Nautile », le sous-marin de l’Ifremer, et de ses bras robotisés. Les fuites résiduelles sont estimées à 2 tonnes par jour.

L’association espagnole Nunka Mais (Plus Jamais ça) a porté plainte contre le gouvernement espagnol pour « incompétence caractérisée ».

Les conséquences des marées noires

Des plages tapissées de pétrole, des oiseaux mazoutés, des fruits de mer impropres à la consommation… En moyenne, il faut près de dix ans pour éradiquer les effets d’une marée noire. C’est sur le littoral qu’ils sont les plus visibles. Et les plus dévastateurs.

Source : JL. CARSIN et C.CHASSARD-BOUCHAUD,
l’Environnement de la Méditerranée. Paris : PUF, 1998. Que sais-je ?

 

Morgan Le Moigne est médiatrice scientif...

 

Le milieu marin concentre à lui seul 80% de la biodiversité. Et celle-ci se focalise surtout sur les zones bordières. Une partie du pétrole émanant des dégazages se retrouvent sur le littoral. Même s’il arrive sous une forme moins concentrée, ce pétrole nuit à l’environnement marin.

Morgan Le Moigne, Ifremer



“On a un état de référence de la contamination
du milieu qui montre qu’il y a une contamination
de fond par les hydrocarbures...“

Christian Buchet, historien de la mer



“Bien évidemment, ce sont les mers
plus que les océans...“

Au-delà du pétrole

Le pétrole n’est pas le seul polluant à être transporté par voie maritime. Il y a les produits chimiques, les déchets radioactifs… Des substances qui, si elles se répandaient dans la mer, auraient des conséquences sévères pour l’environnement. D’où l’importance d’avoir une législation internationale et des contrôles réellement efficaces. Et pas seulement pour les pétroliers.

Lexique

Dans le langage courant, « dégazage » et « déballastage » sont synonymes, comme dans cet article. En fait, ce sont deux opérations différentes. Le dégazage consiste à enlever les gaz inertes qui sont présents dans les différentes cuves d’un navire, légalement dans un port. Les rejets procédant de déballastages sont effectués par les pétroliers lorsqu’ils doivent naviguer à vide. Ils remplissent d’eau de mer leurs citernes ayant contenu les hydrocarbures afin de maintenir un niveau correct de navigabilité et les vident une fois de retour au port. Ces opérations coûtent cher et certains capitaines les réalisent sauvagement en pleine mer.

Vincent Colas le 12/02/2003