Ressources : la Terre va-t-elle manquer d'eau douce ?

Surexploitées, polluées, ou encore asséchées par la canicule, les réserves d’eau potable sont mises à mal. Ce qui laisse présager une pénurie d’eau d’ici quelques décennies.

Par Marc Bertola, le 02/10/2003

Des nappes souterraines en danger

Eté 2003 : l’Italie souffre de la sécheresse

Comme l'annonce le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dans son bilan publié le 22 septembre 2003, la sécheresse et la canicule exceptionnelles du printemps et de l'été ont entraîné une baisse record du niveau des fleuves et des nappes d'eau souterraines en Europe. Une baisse « particulièrement longue et amplifiée par d'importants prélèvements ».

Même si le récent épisode de sécheresse n'a pas arrangé l'état des nappes d'eau souterraines, celles-ci sont surtout victimes d'une exploitation excessive. Ainsi, dans un rapport publié en juin 2003, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) tire la sonnette d'alarme : les nappes d'eau souterraines, dont dépendent deux milliards de personnes pour l'alimentation et l'irrigation, sont soumises à « une pression de plus en plus intenable ».

Carte des pénuries en eau en 1995 et les prévisions pour 2025

Ces réservoirs naturels, qui renferment près d'un tiers des réserves terrestres d'eau douce, sont surexploités dans certaines régions du monde pour les besoins des grandes villes, de l'industrie et de l'agriculture. Parmi les pays concernés, le PNUE cite l'exemple de l'Espagne, où plus de la moitié des 100 aquifères (réservoirs d'eau souterrains) recensés sont soumis à une exploitation excessive. Au Mexique, le nombre d'aquifères surexploités est passé de 32 à 130 en 25 ans. Dans le Midwest américain, le niveau de la nappe phréatique a baissé en moyenne de trois mètres ces dernières décennies.

Autre problème : la pollution. Pesticides, bactéries, engrais et déchets industriels peuvent contaminer durablement les nappes . C'est le cas des nitrates utilisés en agriculture, qui s'infiltrent dans le sol et polluent les eaux phréatiques.

Point de repère : les différents types d’eaux souterraines

On distingue deux grands types de nappes d'eau souterraines. Les nappes phréatiques sont alimentées en permanence par les eaux de pluie qui s'infiltrent dans le sol. Elles sont généralement situées entre quelques dizaines et quelques centaines de mètres sous la terre. Les nappes d'eaux fossiles, elles, contiennent des eaux de pluie provenant d'époques géologiques anciennes, datant de plusieurs milliers voire de plusieurs centaines de milliers d'années. Elles sont généralement situées plus loin de la surface (jusqu'à quelques kilomètres).

Pénurie annoncée dans certaines régions

Répartition des différents stocks d'eau douce dans le monde.

L'eau douce est une denrée rare et précieuse : elle ne représente que 2,5 % de toute l'eau présente sur terre, le reste étant de l'eau salée. Or, selon l'Organisation Météorologique Mondiale, « une grave pénurie d'eau risque de se produire d'ici 50 ans », conséquence d'une mauvaise gestion des réserves, de la pollution et de la poussée démographique. Déjà, aujourd'hui, plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable. La consommation d'eau dans le monde a été multipliée par six en un siècle.

« Il y a des pays qui sont très en-dessous du seuil de pénurie. »

D'ici 2025, la quantité d'eau disponible par personne pourrait tomber à la moitié du niveau actuel – qui est déjà deux fois plus bas que celui de 1960. D'ici 2050, selon les Nations Unies, entre 2 et 7 milliards d'êtres humains seront confrontés à une pénurie d'eau. Parmi les régions les plus menacées, on trouve notamment le bassin méditerranéen (en particulier l'Afrique du Nord) et la péninsule arabique.

Comment faire face ?

Mieux gérer la demande d'eau est aujourd'hui une priorité : on estime qu'au moins un tiers de l'eau prélevée dans le monde est gaspillée (fuites dans les réseaux d'approvisionnement, irrigation excessive en agriculture…). Dans son rapport, le PNUE préconise notamment de limiter l'activité agricole dans les pays pauvres en eau, et de promouvoir pour l'exportation d'autres activités moins gourmandes en eau « comme la fabrication de briques ou le textile ».

Réchauffement climatique : quelles répercussions sur les ressources en eau ?

Autre problème : l'inégalité des pays devant les ressources en eau. Celles-ci varient de moins de 100 m3 à plus d'un million de m3 par personne et par an, selon la région du monde. Des projets de transfert d'eau entre pays existent, notamment entre la France et l'Espagne (par un canal qui apporterait l'eau du Rhône en Catalogne). Mais ces projets se heurtent souvent à des problèmes géopolitiques.

Enfin, les progrès technologiques permettent aujourd'hui de puiser l'eau là où elle est la plus abondante : la mer. Des usines de dessalement transforment l'eau salée en eau douce consommable. C'est le cas par exemple à Malte (où plus de la moitié de l'eau douce provient du dessalement) et dans les pays du Golfe. Mais le dessalement reste une solution très onéreuse.

Point de repère : comment on dessale l’eau de mer

Les trois quarts de la surface de notre planète sont recouverts d'eau salée et s'il était possible de transformer cette eau salée en eau douce, cela résoudrait les difficultés de pénurie d'eau que connaissent beaucoup de pays. Car nombre d'entre eux ont un accès aux océans, quand ils ne disposent pas d'un littoral maritime conséquent.

En fait, dessaler l'eau de mer de manière à la rendre consommable, c'est possible. On dispose même aujourd'hui de nombreux systèmes dont beaucoup ont atteint le stade industriel. Les deux procédés les plus couramment utilisés sont la distillation et l'osmose inverse. Leur principe est simple.

La distillation consiste à évaporer l'eau de mer, soit en utilisant la chaleur des rayons solaires, soit en la chauffant dans une chaudière. Seules les molécules d'eau s'échappent, laissant en dépôt les sels dissous et toutes les autres substances contenues dans l'eau de mer. Il suffit alors de condenser la vapeur d'eau ainsi obtenue pour obtenir une eau douce consommable.

L'osmose inverse nécessite quant à elle de traiter au préalable l'eau de mer en la filtrant et en la désinfectant afin de la débarrasser des éléments en suspension et des micro-organismes qu'elle contient. Le procédé consiste ensuite à appliquer à cette eau salée une pression suffisante pour la faire passer à travers une membrane semi-perméable : seules les molécules d'eau traversent la membrane, fournissant ainsi une eau douce potable.

Seulement voilà, ces systèmes sont très coûteux, peu rentables et leur utilisation reste donc encore très marginale.

De récents travaux font néanmoins espérer un usage plus répandu dans le futur.

Des systèmes peu coûteux, modulables, très simples à installer et à entretenir, et capables de produire, à un moindre coût énergétique, de 20 à 30 litres d'eau douce à partir de 100 litres d'eau de mer viennent en effet d'être développés par une équipe de chercheurs du CNRS. A voir s'ils seront utilisés…

De l’eau douce au fond de la mer

Le captage des sources sous-marines.

Il existe au fond des mers de véritables sources d’eau douce, issues du jaillissement de rivières souterraines. Ces sources peuvent-elles être exploitées par des pays en manque d’eau ? Une expérience a été tentée avec succès en juillet 2003 à moins d’un kilomètre des côtes françaises et italiennes, au large de Menton et Vintimille. Une société spécialisée, Nymphea Water, a réussi à capter la source de la Mortola, à 36 mètres de profondeur. Le système doit être testé pendant un an. Reste que de telles sources offrent des quantités d’eau modestes à l’échelle des besoins d’un pays (en France, les eaux souterraines marines ne représentent que 1,5 % de l’ensemble des eaux souterraines) . De plus, la technique d’extraction est coûteuse.

Marc Bertola le 02/10/2003