Plan d'action sur le loup : la chasse au grand prédateur est ouverte

Après six mois de réflexion, et deux jours après la mort de 140 brebis suite à une attaque suspectée de loup dans les Alpes-de-Haute-Provence, le gouvernement a finalement autorisé les préfets à procéder à des tirs sur certaines zones. Un virage dans les méthodes de gestion du grand canidé.

Par Lise Barnéoud, le 13/09/2004

« Alléger la pression du prédateur »

Nouvelle attaque suspectée de loup

Le 19 juillet 2004, en autorisant le tir de quatre loups d’ici la fin de l'année dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes, Serge Lepeltier, ministre de l’écologie et du développement durable, rompt avec la stratégie jusqu’alors appliquée.

La proposition de tir sélectif avait bien été formulée lors de la précédente enquête parlementaire sur le loup, mais rien n'avait été mis en oeuvre jusqu'à présent.

Cette décision ouvre ainsi la voie à l’abattage légal du loup, interdit en France depuis plus de soixante-dix ans.

La répartition des loups en France en 2003/2004

« Mes décisions doivent à la fois veiller à maintenir la population de loups sauvages dans un bon état de conservation et en même temps chercher à limiter la pression de ces animaux sur l’élevage ovin », a expliqué le ministre lors d'une conférence de presse.

Désormais, comme le confirme le Plan d'action sur le loup transmis le 8 novembre 2004 par les ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture au groupe de travail, des loups pourront être abattus chaque année d'ici à 2008, Plusieurs restrictions encadrent ce plan d’action : les secteurs en question doivent être équipés de moyens de protection contre le loup (filets, chiens de garde, aide-berger…); les tirs ne pourront être effectués que par des gardes assermentés; et la zone centrale du parc National du Mercantour (06) reste interdite à tous prélèvements.

De plus, s’il s’avère que les trois premiers loups tués sont des femelles, les tirs se limiteraient à ces trois animaux, pour des questions de reproduction.

Cette décision du ministre de l'écologie a été suivie d'un arrêté interministériel, cosigné par le ministre de l'agriculture. 

Extrait du discours du ministre Serge Lepeltier

« Je souhaite donc vous faire part des deux décisions que j’ai prises :

La première est d'autoriser les préfets des départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes à procéder à des prélèvements dans les secteurs où, de manière récurrente, les années passées et cette année, des attaques ont eu lieu malgré les moyens de protection mis en œuvre.
Ces prélèvements ne pourront avoir lieu que dans le plus strict respect des conventions internationales auxquelles notre pays a souscrit, en particulier la convention de Berne.
C’est pourquoi j’insiste sur le caractère récurrent des attaques et sur l’obligation de vérifier préalablement que les éleveurs attaqués du secteur envisagé pour un tir ont bien mis en œuvre les moyens de protections adaptés.
Bien entendu les prélèvements seront effectués par des gardes assermentés. Ces prélèvements ne pourront porter que sur un effectif total de quatre animaux d’ici à la fin de 2004. Ce chiffre correspond à 10% de l’effectif d’animaux certain et à la moitié du taux annuel minimum estimé d’accroissement de la population.
Afin de ne faire courir aucun risque au maintien de cette population dans un état de conservation favorable, je limiterai à trois animaux le maximum autorisé s’il s’avérait au vu des rapports qui me seront immédiatement adressés que les trois premiers animaux tirés sont des femelles.
Par rapport aux préconisations qui m’ont été adressées, j’adopte donc une attitude doublement prudente :
-La première en ne fondant le nombre maximum de prélèvements que sur le chiffre de la population connue (39) et non sur celui de la population estimée (55).
-La seconde, en introduisant une précaution supplémentaire relative au sexe des animaux prélevés.

La seconde décision est de soumettre sans tarder au débat public la question de l’extension du loup au-delà de l’arc alpin.

Il est en effet essentiel que nos concitoyens aient, à l’occasion d’un large débat, la possibilité de découvrir cette donnée nouvelle et d’en évaluer les conséquences de manière contradictoire de façon à dégager par avance les principes d’une bonne gestion de cet événement.
[...]
Il s’agira de continuer le travail d’évaluation de la population de loups, de son dynamisme, de son extension géographique ; ceci afin d’améliorer et de diversifier les moyens de rendre compatible le pastoralisme et la présence permanente du loup.
Il s’agira aussi de préparer les éléments d’un important débat national sur le loup en vue d’un prochain contact avec la Commission Nationale du Débat Public. »

Florent Favier, attaché de communication au ministère de l'écologie sur la question du loup




« Le plan d'action ne satisfait personne
mais ne frustre personne non plus
»

Des réactions mitigées

Olivier Rousseau, directeur de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS)

Mesurette pour les uns, catastrophe pour les autres, le plan d’action sur le loup, qui visait également à apaiser les tensions, suscite finalement des réactions mitigées.

Pour l’Association pour la protection des animaux sauvages (Apsas), cette décision est « totalement illégale ». L’Association entend d’ailleurs saisir la justice et adresser une plainte à l'Europe pour « dénoncer la violation des engagements pris par l'Etat français ».

Yves Raffin, directeur de la fédération des alpages de l'Isère

Du côté des éleveurs, on regrette ce minima de quatre loups et le fait que les tirs ne soient autorisés que sur trois départements.

« Cela ne correspond en rien aux réalités techniques », explique Yves Raffin, directeur de la fédération des alpages de l’Isère, qui rappelle que huit départements sont concernés par la présence du loup.

Les dégâts causés par le loup

Depuis leur retour en 1992, les loups sont en pleine expansion. D’une dizaine d’individus recensés au milieu des années 90, on estime aujourd’hui entre 50 et 60 le nombre de loups en France.

Parallèlement, le nombre de communes concernées n’a lui aussi pas cessé d’augmenter : en 2003, le loup a été détecté sur plus d’une centaine de communes, contre une dizaine en 1994.

Evolution du nombre d'attaques de loup et de communes concernées depuis 1994

Or, tout le monde le sait : le loup tue pour se nourrir. Il aurait besoin de 5 à 10 kilos de viande par semaine ! Ses gibiers, il les prélève dans son habitat naturel (mouflons, chamois, chevreuils..), mais lorsqu’un troupeau de moutons s’offre à lui, il ira prendre son quota de viande parmi les brebis.

Conséquence : le nombre de bêtes indemnisées a grimpé de 192 en 1994 à 2177 en 2003. Et le nombre d’attaques de loup sur les troupeaux est passé d’une centaine en 1994 à 508 en 2003. Toutefois, l'année 2003 aura été moins meurtrière que l'année 2002 : pour la première fois depuis dix ans on constate une légère diminution des dommages dus au loup.

Faut-il y voir des loups moins carnivores, une meilleure défense des bergers ou des variations insignifiantes des chiffres ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les bilans de l’année 2004 sont donc attendus avec impatience pour confirmer on non la légère baisse observée en 2003.

Tous ces chiffres sont bien sûr à relativiser. On compte près d'un million d'ovins en zone à loups : les attaques du prédateur ne touche donc que 0,2 % du cheptel de l'arc alpin. Le problème, c’est qu'elles se concentrent sur certains alpages, ce qui rend difficile l’interprétation de cette moyenne.

Comment compte-on les loups ?

Récolte d'indices du passage du loup

Comme pour tout animal sauvage, et certainement plus encore pour le loup, il est extrêmement difficile, voire impossible, de réaliser un comptage exhaustif des individus.

En France, depuis 1993, le suivi des loups est réalisé au travers d’indices récoltés sur plus de 20 000 km2 par les 450 correspondants du réseau loup. Ce réseau d’observateurs, placé sous la responsabilité de chaque Direction départementale de l’agriculture et de la forêt, comprend des professionnels (agents ONCFS, ONF ou des parcs) comme des particuliers.

Tout au long de l’année, mais particulièrement durant l’hiver où les indices sont plus visibles, ces correspondants collectent poils, crottes, urines, restes de carcasses et pistent toutes les traces possibles du loup. Certains correspondants sont aussi habilités à dresser des constats de dommages sur les troupeaux domestiques.

Ces observations sur le terrain permettent une première estimation du nombre d’animaux par secteur et détermine l'effectif minimal.

Par la suite, ces indices sont envoyés au laboratoire pour des expertises génétiques afin d'apporter un complément d'information : identification de l’espèce et de sa lignée d’origine, et même identitification génétique individuelle. Ces analyses confirment ou non la présence de l’espèce « Canis lupus » sur une zone donnée, mais elles permettent également de suivre l’évolution d’une meute ou d’un animal et les processus de colonisation.

Quelles solutions ?

Comment faire cohabiter l’homme et le loup ? À cette question, certaines associations écologistes avancent que les pays comme l’Italie ou l’Espagne supportent parfaitement la cohabitation, malgré une population de loups bien plus importante qu’en France.

Ces pays, où le loup n'a jamais disparu, ont privilégié l'élevage de brebis laitières, contrairement à la France qui favorise l'élevage de brebis nourrices, pour la filière « viande ».

Or, ces deux types d’élevage sont très différents : dans le premier cas, le nombre de brebis est moins important et les troupeaux sont rentrés tous les soirs ; dans le second, les troupeaux, de plusieurs centaines de têtes, paissent jusqu'à douze mois par an sur les alpages. Les brebis nourrices sont donc des proies plus faciles pour le loup.

Reste qu'il existe des mesures de protection qui, tout n'en étant pas des mesures infaillibles, permettent néanmoins de réduire les dégâts du prédateur. Ce sont notamment les chiens patou et les filets électrifiés. Peu spectaculaire mais efficace.

“Il faut autoriser nos éleveurs à défendre leur troupeau...“ Yves Raffin (fédération des alpages)

 

Entre une position extrême qui préconise d’abattre tous les loups en France, et l’autre attitude, tout aussi excessive qui consiste à rendre le loup intouchable et laisser croître ses effectifs, quelles solutions envisager ?

Lise Barnéoud le 13/09/2004