Controverse autour d'Ida

A New York, une équipe internationale vient d'annoncer la découverte d'un possible ancêtre commun de l'homme et des singes. En réalité, cette annonce est dénuée de toute réalité scientifique et relève d'une opération de communication sans précédent. Itinéraire d'un scandale annoncé.

Par Viviane Thivent, le 20/05/2009

Ida la Belle

Chaînon manquant ou ancêtre des lémuriens ?

On l'appelle Ida,  Darwinius massillae de son nom latin. Il s'agit d'un fossile vieux de 47 millions d'années. Un spécimen rare, si magnifique que depuis sa découverte en 1983, en Allemagne, il est l'objet d'un nombre invraisemblable de convoitises. Scindé, modifié, amélioré pour le bon plaisir des collectionneurs et des musées, le voici propulsé par une équipe internationale au rang de chaînon manquant de l'espèce humaine. Aux dires de ces chercheurs, Ida serait l'ancêtre commun des lémuriens, des hommes et des singes.

Recherchez le chaînon manquant... avec Google !

« C'est comme si nous avions trouvé l'Arche perdue ! », a déclaré le 19 mai, lors d'une conférence de presse, Jorn Hurum, l'un des auteurs de l'article décrivant Ida. « C'est une espèce de pierre de rosette », a renchéri un autre coauteur, Philip Gingerich, non sans un certain sens de l'image… et un certain aplomb. Car à mille lieues de ce que ces chercheurs ont expliqué aux médias, leur étude ne permet en aucune façon de donner à Ida le statut de chaînon manquant. D'ailleurs, si l'on s'intéresse à leur publication, on s'aperçoit qu'à l'écrit, ces scientifiques un peu trop enthousiastes ne disent guère autre chose que ceci : Ida est un très joli ancêtre des… lémuriens.

Pourquoi tricher ?

Les premiers anthropoïdes...

Alors pourquoi tout ce remue-ménage ? Pour une raison en tous points absurde, nous explique Jean-Jacques Jaeger, directeur de l'IPHEP à Poitiers : « Il y a une vingtaine d'années, Philip Gingerich – l'un des coauteurs de cet article – a élaboré une théorie expliquant l'apparition des primates. De son point de vue, les singes et les hommes descendaient d'une branche de lémuriens. »

La phylogénie actuelle et passée, par Jean-Jacques Jaeger, directeur de l'IPHEP à Poitiers

La découverte de nombreux fossiles d'anthropoïdes dans les années qui suivirent a néanmoins infirmé sa théorie. « Il est vite apparu que la branche des lémuriens s'était différenciée de celle des anthropoïdes (singes, homme) bien plus tôt dans l'histoire de l'évolution, il y a environ 55 millions d'années », affirme le chercheur. Même argumentaire pour Marc Godinot du MNHN : « Très tôt, les premiers lémuriens ont développé des adaptations particulières du pied ou de l'oreille interne. Ce alors que les anthropoïdes ont conservé des caractères primitifs pour ces structures. » En d'autres termes, si l'homme descend du singe, il ne descend pas du lémurien. Et encore moins d'un lémurien âgé de 47 millions d'années, donc né 8 millions d'années après la séparation supposée de la branche des lémuriens et de celle des anthropoïdes.

Une publication incomplète

Gros plan sur la mâchoire

Plus dérangeant encore, alors que l'étude du pied ou de l'oreille interne sont des éléments clés pour interpréter correctement la position phylogénique de ce type de spécimen, ils ne sont même évoqués dans la description d'Ida. Oubli qui n'empêche pas les auteurs de s'appesantir sur la détection de quelques traits communs entre Ida et les anthropoïdes (forme de la dentition, absence de griffes). « Ce travail montre qu'il y a quatre traits communs entre ce fossile et la branche anthropoïde, continue Jean-Jacques Jaeger. Ce alors que l'on compte au moins une douzaine de traits communs entre des fossiles non lémuriens et cette même branche. Les caractères similaires relevés chez Ida peuvent résulter d'un simple processus de convergence. »

« Tout le dossier est escamoté. »

« En l'état, cette étude est très incomplète. Ce n'est sans doute pas pour rien qu'elle a été publiée dans PlosOne, une revue dans laquelle les chercheurs doivent payer pour faire paraître leur article. » Reste que cette inconsistance scientifique, lundi 25 mai, un documentaire appelé "le chaînon" et retraçant l'histoire du fossile sera diffusé aux Etats-Unis à une heure de grande audience. De quoi ancrer le nom d'Ida dans l'imaginaire collectif. Car l'histoire de ce fossile est suffisamment romanesque pour frapper durablement les esprits.

La belle légende d'Ida

« Il y a un gros marché du fossile en Allemagne... »

Tout commence par un vol. Par un collectionneur qui découvre en Allemagne, dans d'anciens dépôts lacustres, un fossile d'une beauté extraordinaire. Le spécimen est entier, incroyablement bien conservé, expressif... et en deux parties (recto et verso). Cet amateur de fossile ne s'y trompe pas. Il garde, illégalement, sa découverte et reconstitue les bouts de squelettes manquants à chacune des faces. En 1991, il vend l'une des faces au Wyoming Dinosaur Center. C'est là que Jens Franzen, premier auteur de l'actuelle publication, y a pour la première fois accès. Ce fossile étant une chimère, il lui est néanmoins difficile de conclure quoi que ce soit. Ce n'est qu'en 2007, lorsque l'université d'Oslo réussit à acquérir l'autre moitié du fossile que le chercheur parvient enfin à assembler le puzzle, au moins virtuellement. A défaut d'être le chaînon manquant de notre espèce, Ida est sans l'ombre d'un doute, l'Arche perdue de ce chercheur.

Viviane Thivent le 20/05/2009