Climat : avis de tempête sur les grandes cités portuaires

Selon un rapport de l'OCDE rendu public en décembre 2007, l'urbanisation croissante du littoral et les changements climatiques pourraient multiplier par trois le nombre de personnes exposées à un risque de tempêtes destructrices d'ici à 2070.

Par Lise Barnéoud, le 19/12/2007

150 millions de personnes à risque en 2070

Les images de mégalopoles totalement submergées par les flots vont-elles bientôt devenir banales ? C'est en tout cas ce que suggère un récent rapport, publié en décembre 2007, par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Les principales villes menacées par des tempêtes

Après avoir sélectionné 136 villes côtières de plus d'un million d'habitants, la conclusion des auteurs de l'étude est la suivante : « D'ici à 2070, la population exposée aux inondations côtières pourrait être multipliée par plus de trois, passant de 40 millions à 150 millions de personnes, en raison de l'effet combiné de l'augmentation démographique et de l'urbanisation, du changement climatique (montée du niveau de la mer et intensification des tempêtes) et de l'affaissement des sols ». L'impact financier de ces inondations pourrait alors atteindre 24 000 milliards d'euros, soit 9% du PIB mondial. Les pays du Sud sont évidemment en première ligne.

En 2070, plus de la moitié des personnes dites « à risque » seront concentrées dans dix grandes villes : Calcutta, avec 14 millions de personnes exposées, suivie de près par Bombay, Dhaka, Guangzhou, Ho Chi Minh Ville, Shanghai, Bangkok, Rangoon, Miami et Hai Phong.

Et en France ?

L'étude de l'OCDE a étudié le cas de l'agglomération Marseille/Aix-en-Provence. Résultat : 21 000 personnes seraient concernées par un risque de tempête et d'inondations côtières en 2070 contre 14 000 actuellement. Le coût d'une telle tempête s'élèverait alors à 6,9 milliards d'euros.

A Marseille, des fouilles archéologiques ont permis de savoir que le niveau de la mer s'est élevé de 50 cm environ depuis la période romaine. Par ailleurs, des mesures réalisées depuis 1883 montrent que l'eau s'est réchauffée en moyenne de 0,66°C.

Une tempête destructrice tous les ans ?

Jusqu'à présent, les études de ce genre étaient basées sur des estimations de l'élévation du niveau des mers pour évaluer quelles superficies pouvaient se retrouver sous l'eau, et donc combien d'habitants étaient potentiellement en danger.

Stéphane Hallegatte, co-auteur de l'étude : « Quand la mer monte, les cas extrêmes deviennent plus dangereux »

« Mais cela ne correspond pas à la réalité, critique Stéphane Hallegatte, co-auteur du rapport et chercheur pour Météo France au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED). Généralement, les problèmes surviennent avant d'avoir les pieds dans l'eau, suite à une crue ou une tempête violente comme celle de Katrina à la Nouvelle-Orléans. Les évènements extrêmes représentent donc un meilleur critère que la simple élévation des mers pour appréhender le risque spécifique des populations côtières ».

Les chercheurs ont donc, dans un premier temps, recherché l'ampleur des évènements dits centennaux, c'est-à-dire les crues les plus importantes qui surviennent statistiquement chaque siècle sur toutes les côtes du monde. Ils ont ajouté à cela une hypothèse d'élévation moyenne des mers de +0,50m, d'intensification des cylcones de +10% et des données sur l'affaissement des sols (d'origine naturel et anthropique) allant jusqu'à -0,50m selon les endroits (voir « la méthodologie de l'OCDE »). Puis ils ont intégré dans leur modèle les évolutions démographiques prévues pour les 136 villes sélectionnées. Et c'est ainsi qu'ils ont abouti à ce chiffre de 150 millions de personnes exposées à un risque d'une crue d'ampleur centennale d'ici à 2070 dans ces grandes villes. « Ce chiffre est vraiment impressionnant, commente Stéphane Hallegatte. Sur les 136 villes concernées, on peut parier qu'au moins tous les 2/3 ans, l'une d'entres elles sera touchées par ces évènements extrêmes. Je ne pensais pas que la situation était si grave ».

La méthodologie de l'OCDE

Stéphane Hallegatte: « le dernier rapport du GIEC sous-estime l’élévation future des mers »

Les auteurs se sont basés sur une élévation du niveau de la mer de 0,50 m d'ici à 2070. C'est plus que les estimations du GIEC, qui évoque une élévation comprise entre 18 et 59 cm d'ici à 2100. « Mais ces chiffres ne prennent pas en compte les dernières données scientifiques qui montrent que la fonte du Groenland est beaucoup plus rapide que prévu », précise Stéphane Hallegatte. Les auteurs se basent notamment sur une étude publiée en janvier 2007dans Science qui prévoit quant à elle une élévation comprise entre 0,5 et 1,4 mètres d'ici à 2100. Une étude publiée dans Nature Geoscience en décembre 2007 semble aller dans le même sens.

Pour l'intensification des cyclones et des tempêtes, les auteurs ont opté pour une augmentation de 10%, « ce qui correspond à une hypothèse moyenne », note le météorologue.

Enfin, les chiffres concernant la subsidence (ou l'affaissement des sols) sont issus de différentes études. Pour la subsidence naturelle, une base de données existe (DIVA database). Quant à l'affaissement des sols d'origine humaine (dû au pompage des eaux souterraines par exemple), il s'applique principalement aux villes situées sur des deltas (Tokyo, Shanghai, etc.). Un affaissement moyen de 0,5m a été appliqué pour 37 villes. Ce chiffre correspond aux données de la littérature scientifique. Sur quelques autres villes non deltaïques, un affaissement de l'ordre de 0,25 m a été appliqué au vu des données existantes.

Le réchauffement climatique exacerbe le risque

A l'échelle globale, cette multiplication du nombre de personnes à risque s'explique d'abord par l'évolution démographique du littoral et par son urbanisation croissante.

L'influence des facteurs socio-économiques et des modifications climatiques varient en fonction des villes

De fait, près de 40% de la population mondiale vit dans un rayon de 100 km des côtes. Et environ 634 millions d'habitants habitent à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer, selon l'Institut international pour l'environnement et le développement. Par ailleurs, l'accroissement de la population du littoral explose : en Afrique sub-saharienne, le nombre d'habitants dans les villes côtières sera multiplié par 7 d'ici à 2070, par 5 en Asie. En Thaïlande, on observe une augmentation de la population de 200% dans les villes côtières, contre 40% en moyenne dans le reste du pays.

Mais la démographie et l'urbanisation n'expliquent pas tout : l'élévation des mers et l'intensification des tempêtes dus au réchauffement climatique seraient responsables d'environ 35% de l'augmentation du risque d'inondation. Pour les pays développés où le facteur démographique n'entre guère en compte, les modifications climatiques expliquent jusqu'à 80% de l'augmentation du risque d'inondation.

Quelles solutions ?

Stéphane Hallegatte: « on a vraiment besoin de politiques strictes pour éviter les catastrophes de demain »

L'objectif du rapport était dans un premier temps de pointer du doigt les grandes villes à risque, d'en préciser les zones dangereuses et d'évaluer la hauteur probable d'une inondation d'ampleur centennale. « Ces données permettront déjà d'établir de nouvelles règles d'urbanisme, en interdisant les zones trop exposées et en sachant contre quelle hauteur de mer protéger les autres zones », poursuit Stéphane Hallegatte. Un rapport sur les différentes mesures de protection contre les inondations et leur efficacité devrait être publié dans le courant de l'année prochaine.

Comment protéger efficacement les millions d'habitants des grandes villes portuaires?

Toutefois, l'obstacle principal d'une protection efficace est moins technique que politique. Des villes comme Londres, Amsterdam, Tokyo ou même Shanghai ont investit lourdement dans des systèmes de protection efficace, suite à une vraie volonté politique. A l'inverse, les Etats-Unis, où la responsabilité vis-à-vis des inondations est diluée entre les villes, les Etats et le niveau fédéral, les systèmes de protection ne sont pas à la hauteur des risques encourus. L'exemple de la Nouvelle Orléans en est la preuve.

Par ailleurs, le coût de ces mesures représente un réel obstacle pour de nombreuses villes de pays en développement, notamment au Bangladesh, en Inde ou au Nigeria. En outre, quand bien même des décisions sont prises, la mise en place de protections côtières efficaces peut prendre trente ans, voire plus, préviennent les auteurs. Voilà pourquoi, poursuivent-ils, « les bénéfices des stratégies d'atténuation du réchauffement climatique sont potentiellement importants. Cela ralentira et limitera l'effet exacerbant des modifications du climat sur les inondations, offrant ainsi un laps de temps précieux aux grandes villes pour mettre en place des mesures de protection ».

Lise Barnéoud le 19/12/2007