Organismes de recherche et médias : la nécessité d’une prise de distance

Par Paul Caro, directeur de recherche honoraire au CNRS

Par Paul Caro, le 20/03/2006

Les chercheurs et les organismes de recherche attendent généralement de la vulgarisation scientifique sous toutes ses formes un écho favorable à leur activité. L'une des pratiques de la vulgarisation scientifique, celle qui tente de combler le déficit de connaissances du public, estime que celui-ci est, de nature, enthousiaste à l'idée d'apprendre, qu'il est tout prêt à s'émerveiller devant le savoir et qu'il est très favorable aux chercheurs et aux structures qui les emploient. Ceci est en partie vrai : l'image des chercheurs est plutôt bonne dans l'opinion publique alors que celle des journalistes est très mauvaise…

Beaucoup de CCSTI*, de musées, d'articles de presse (surtout celle de province) adoptent sans hésitation cette perspective et se font les relais fervents des chercheurs et des événements promotionnels organisés par les institutions de recherche. L'admiration pour les chercheurs et leurs découvertes est le moteur « littéraire » (le genre de l'éloge) de ces présentations. Naturellement la coopération directe entre chercheurs et médiateurs est un puissant moyen de diffuser les connaissances. Tant que les sujets traités restent dans le domaine de la mise en spectacle avec des chercheurs héros aventuriers (comme Indiana Jones), c'est-à-dire dans des domaines comme la préhistoire, l'archéologie, la paléontologie, l'exploration sous marine…, il n'y a bien sûr aucune objection à faire à ce genre d'action dans laquelle le public comme les médiateurs et les chercheurs peuvent trouver du plaisir. Le problème se complique un peu lorsqu'il s'agit d'admirer de difficiles exploits techniques, ceux qui sont associés par exemple à la conquête de l'Espace, dans lesquels la composante économique, politique ou sociale peut être la raison profonde de l'action. Proposer à une nation comme idéal de faire la conquête de la planète Mars est une opération politique dont la justification scientifique est mince et le coût énorme.

Une autre pratique de la vulgarisation tente de mettre en place des débats entre ceux qui savent et ceux qui ignorent, en partant du principe que dans une démocratie, tout le monde doit pouvoir faire valoir son opinion, même sans connaissances techniques. La presse a alors une importance considérable par la manière dont elle expose les questions qui font débat. L'organisation de débats est l'un des nouveaux objectifs des grands musées de sciences ainsi que de ceux qui organisent les « cafés des sciences » ou d'autres modes de réunion. Presque toujours ces débats concernent des questions d'actualité. Il est donc extrêmement important pour les organisateurs de s'attacher à réunir et à proposer une documentation pertinente. On n'évitera pas cependant le jugement émotionnel qui, lui aussi, peut s'appuyer sur des éléments mythiques quelquefois inconscients.

La prise de distance avec les informations d'actualité proposées par les organismes de recherche est nécessaire lorsque l'on peut percevoir que des intérêts autres que scientifiques sont en jeu. Il peut s'agir de la survie d'un laboratoire qui, menacé, a besoin de montrer la qualité de son travail en y incorporant un peu de mousse ou alors d'une pression continue exercée par un organisme qui a constamment besoin de justifier son existence. Pour influencer les médias et l'opinion publique en leur faveur, les organismes peuvent organiser des relais plus ou moins sous contrôle (sites internet, musées, ou même CCSTI*) dans lesquels bien sûr la critique et le doute n'ont pas leur place.

Paul Caro
Article paru dans la Lettre de l'OCIM, n°94.

* Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle.

Paul Caro le 20/03/2006