Nouvelle technique : les bactéries se conjuguent au présent

C'est une première : une équipe de l'Inserm a trouvé le moyen de suivre en temps réel les transferts de gènes qui peuvent s'effectuer entre deux bactéries. Une avancée qui pourrait permettre de mieux comprendre un mécanisme clé de l'évolution bactérienne.

Par Viviane Thivent, le 19/03/2008

Une astuce lumineuse

Il flotte comme un parfum de voyeurisme dans les laboratoires de l'Inserm. L'équipe « Génétique moléculaire, évolutive et médicale » de Miroslav Radman vient en effet de mettre au point une technique* permettant de visualiser, en direct, le « coït » des bactéries, ou du moins l'acte qui, dans le monde bactérien, s'en rapproche le plus : la conjugaison.

Par ce mécanisme, une bactérie, dite donneuse, transmet une partie de ses gènes à une bactérie voisine, dite receveuse. Le fragment d'ADN emprunte alors un canal microscopique formé pour l'occasion – le pilus – et se retrouve intégré au génome de la bactérie receveuse. « Ce mécanisme microbien permet de hâter l'évolution génétique des bactéries, insiste Ana Babic, qui vient de terminer sa thèse à l'Inserm. Sans la conjugaison, l'ADN bactérien évoluerait très lentement, par le seul jeu des mutations génétiques ». Découvert en 1946, ce phénomène restait toutefois assez ésotérique puisque personne n'était parvenu à l'observer.

Alors, comment les chercheurs de l'Inserm s'y sont-ils pris pour visualiser la conjugaison bactérienne ? « En fait, nous avons créé deux populations distinctes de bactéries, des rouges et des vertes, en leur ajoutant des gènes codant pour des protéines fluorescentes, rouge ou verte », explique Ana Babic. Outre sa couleur, la protéine verte présente un autre intérêt, celui de se lier très facilement aux méthyles (CH3), ces molécules qui recouvrent l'ADN. « Nous avons donc retiré tous les groupements méthyles de l'ADN des bactéries vertes.» Pourquoi ? Pour libérer les protéines vertes. Parce qu'ainsi, si un fragment d'ADN issu d'une bactérie rouge s'introduit dans une bactérie verte, toutes les protéines vertes se fixent sur ses groupements méthyles et l'ADN entrant devient vert fluo. Et voilà comment il devient possible de suivre en temps réel la conjugaison bactérienne !

* Source : Science, le 14 mars 2008

De près comme de loin, de nouvelles données

Pourquoi s'intéresse-t-on à la conjugaison bactérienne ? Réponse d'Ana Babic

Grâce à ce nouveau procédé, l'équipe a montré* que, lors d'une conjugaison bactérienne, 97% de l'ADN transféré était intégré – sans dégradation – au génome de la bactérie receveuse. Jusque là, on estimait que ce taux n'excédait pas les 20 %. Autre découverte : la conjugaison bactérienne peut se faire à « très grande distance » : 12 micromètres au moins, soit dix fois la taille d'une bactérie. Enfin, le fragment transféré restant fluorescent, y compris après son intégration dans le génome de la bactérie receveuse, il peut être suivi de générations en générations, comme si on l'avait équipé d'une balise GPS ! En attendant ce type d'études, ce protocole permet déjà de mieux cerner la conjugaison bactérienne, un mécanisme qui explique, entre autres choses, pourquoi les bactéries peuvent soudain devenir virulentes ou résistantes à des antibiotiques.

Viviane Thivent le 19/03/2008