Le classement de Shanghai controversé

Depuis son apparition en 2003, le classement de Shanghai, qui compare les performances universitaires à l'échelle mondiale, n'en finit plus d'excéder les têtes pensantes du ministère français de la Recherche. Retour sur un palmarès détourné de sa fonction initiale.

Par Viviane Thivent, le 01/09/2008

Un bonnet d’âne ?

Un classement... sur quels critères ?

Chaque année, c'est la même rengaine : les résultats du classement de Shanghai, qui compare les performances des universités sur le plan mondial, tombent sur la recherche française avec la délicatesse d'un couperet. D'abord en février, avec la mise en ligne de cinq classements thématiques, puis en août, avec la publication du classement général. Les universités et grandes écoles françaises se retrouvent alors inexorablement noyées dans le peloton ou tout bonnement envoyées dans les tréfonds du classement (42e pour l'université de Paris-6, 49e pour celle de Paris-11, 73e pour l'ENS et 200-300e place pour l'École Polytechnique).

De quoi excéder les pouvoirs publics, Nicolas Sarkozy en tête, qui a fixé à Valérie Pécresse la difficile mission de « classer au moins deux établissements français parmi les vingt premiers de ce palmarès ». Mais est-ce un objectif légitime ? Qu'est-ce que le classement de Shanghai, que mesure-t-il et quelle est son importance réelle ?

La France dans le palmarès international 2008

Catégorie
Position
Etablissement
Classement
général
2008
42
Université Paris 6
49
Université Paris 11
73
Ecole Normale Supérieure de Paris
101-151
Université Strasbourg 1
101-151
Université Paris 7
(...)
(...)
Sciences dures
25
Université Paris 11
31
Université Paris 6
39
Ecole Normale Supérieure de Paris
52-76
Université Strasbourg 1
77-107
Université Paris 7
Biologie
76-107
Univ Paris 6
Médecine
76-107
Université Paris 5
Ingénierie
51-75
Université Bordeaux 1
51-75
Université Paris 6
Sociologie
-
-

L'origine d'un classement

« Historiquement, le classement de Shanghai a été établi pour évaluer le niveau international des universités chinoises et identifier les établissements étrangers avec lesquels les Chinois pourraient collaborer », explique Ghislaine Filliatreau, directrice de l'Observatoire des sciences et techniques. Avec cet objectif en tête, en 2003, une équipe de l'université de Shanghai a choisi des indicateurs souvent repris pour évaluer les performances d'une équipe de recherche : nombre de prix Nobel ou de médailles Fields (l'équivalent du prix Nobel en mathématiques) chez les enseignants et les élèves, quantité d'articles publiés dans des revues scientifiques importantes, etc.

Critères
Indicateurs
Poids
Qualité de
l'éducation
Nombre d'élèves ayant remporté un prix Nobel ou une médaille Fields
10%
Qualité de
l'université
Nombre d'enseignants ayant remporté un prix Nobel ou une médaille Fields
20%
Nombre d'enseignants très cités dans la littérature scientifique
20%
Production
scientifique
Articles publiés dans Nature ou Science
20%
Articles dans les autres publications scientifiques importantes
20%
Taille de
l'institution
Performance académique au regard de la taille de l'institution
10%

À l'aide de ces données, l'équipe a établi son classement, confirmant ce que tout le monde pensait tout bas : Oxford, Harvard, Stanford, Berkeley et le MIT sont les plus prestigieuses universités du monde. À la demande de confrères étrangers, le classement a ensuite été publié sur Internet. « Il s'agissait de l'un des premiers classements à visée internationale, ce qui explique son impact, note Ghislaine Filliatreau. Pourtant, ce n'est pas parce qu'il repose sur des données objectives qu'il est lui-même objectif. » Ainsi, considérer le nombre de prix Nobel favorise les établissements anciens ; choisir de donner un poids plus important aux articles publiés dans Nature et Science favorise les équipes anglo-saxonnes qui publient plus facilement dans ces deux revues. D'ailleurs, les auteurs du palmarès l'admettent eux-mêmes : « À cause des particularités de leur système de recherche (CNRS, INSERM ou Marx Planck Institute), les Allemands et les Français sont particulièrement défavorisés dans notre classement. »

Une obsession subjective

Mais alors, si ce classement ne peut juger du niveau de la recherche française, pourquoi les Français, chercheurs et politiques confondus, y portent-ils autant d'intérêt ? « Entre autres, à cause d'un hasard des calendriers, explique Ghislaine Filliatreau. Il se trouve que le premier classement de Shanghai a été publié au début du mouvement "Sauvons la recherche". De fait, il a été particulièrement repris par la presse », traumatisant une bonne fois pour toutes la communauté scientifique française. Et en premier lieu, ses dirigeants. Nombre d'élites sortent en effet d'écoles certes très reconnues dans l'Hexagone mais coiffées d'un bonnet d'âne dans le classement de Shanghai. Une pilule difficile à avaler.

Et voilà comment un lointain classement mis en place en Asie pour faciliter certains choix des universités chinoises s'est retrouvé mêlé aux débats concernant le système de recherche français. Ici, il est brandi pour prouver qu'à l'université, trop d'étudiants sont en échec, là pour démontrer qu'il est urgent de réformer, pêle-mêle, les universités ou les instituts de recherche.

D’un classement à l’autre

Le classement de Shanghai aurait-il néanmoins fait son temps dans l'Hexagone ? Valérie Pécresse a en effet annoncé sa volonté de créer son « Shanghai européen ». Les critères possibles, comme le calendrier, sont à définir. Sans attendre la naissance de ce nouveau palmarès, il y a six mois, l'École des Mines a mis en place son propre classement mondial des établissements supérieurs en fonction du nombre d'anciens élèves parvenus à la tête de multinationales. Évidemment, à ce jeu-là, l'École des Mines (10e), l'École Polytechnique (4e) ou l'ENA (9e) s'en sortent beaucoup mieux que dans l'exercice de Shanghai…

De son côté, début juillet, à la suite d'une enquête menée auprès des universités, le sénateur Joël Bourdin a préconisé la création d'un classement à la carte des universités. Disponible sur Internet, celui-ci mêlerait des données factuelles (taux de réussite, publications…) et des indicateurs d'opinions (bibliothèques, relations avec les professeurs…) et devrait permettre à chaque élève ou enseignant d'identifier son université idéale. Selon l'expert de l'Observatoire des sciences et des techniques, Ghislaine Filliatreau, « il nous faudra bientôt des systèmes d'évaluation pour évaluer les systèmes d'évaluation ! »

Viviane Thivent le 01/09/2008