Génétique : mouches-lièvres et mouches-tortues

Une équipe américaine a obtenu des mouches moins performantes après avoir manipulé une partie de leur ADN. Une expérience qui apporte une nouvelle fois la preuve du rôle essentiel joué par l'ADN mitochondrial.

Par Viviane Thivent, le 21/07/2008

Sauvages : 1 – Mutants : 0

Trois… deux… un… Partez ! Dans des tubes à essai séparés, deux équipes de drosophiles, les « sauvages » et les « mutants », s'élancent vers la ligne d'arrivée. Chaque concurrent court, galope, trottine du mieux qu'il peut. Le tout devant un public tendu, composé de trois chercheurs de l'université de San Francisco. Quelques secondes plus tard, le premier « sauvage » passe la ligne rouge, puis un second. Les « mutants », eux, sont loin derrière. Ils se traînent tellement que le meilleur d'entre eux est battu par le plus lent des « sauvages ». En réaction, le public exulte : la piètre performance des mutants apporte la preuve irréfutable que les chercheurs sont parvenus à manipuler l'ADN mitochondrial (H. Xu et al., Science, 25 juillet 2008).

De l’ADN non nucléaire…

Car, on aurait presque tendance à l'oublier, l'ADN ne se trouve pas seulement dans le noyau des cellules, mais aussi dans des petites structures appelées mitochondries. Celles-ci fournissent l'essentiel de l'énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule. Comment ? En fabriquant de l'ATP (Adénosine triphosphate), qui intervient dans le processus de respiration cellulaire.

Si le nombre de mitochondries varie en fonction des espèces, on estime qu'en moyenne une cellule animale contient des centaines de milliers de copies de l'ADN mitochondrial. Celui-ci, transmis par la mère uniquement, permet, entre autres choses, de fabriquer les différents maillons de la chaîne de production de l'ATP.

… mais essentiel

Le cycle de production de l'ATP dans une mitochondrie

Malgré tout, l'ADN mitochondrial reste assez énigmatique. Contrairement à l'ADN nucléaire, il ne possède pas de mécanismes de réparation. De fait, des mutations peuvent s'y accumuler, causant un certain nombre de maladies neurodégénératives ou de myopathies. Tout du moins, c'est la théorie. Car dans les faits, il est très difficile de modifier le génome mitochondrial pour vérifier les différentes hypothèses. D'où l'intérêt de cette étude américaine.

En utilisant des protéines - des enzymes de restriction - capables de couper l'ADN en certains points, les trois chercheurs de l'université de San Francisco, sont parvenus à créer des drosophiles mutants, dont l'ADN mitochondrial a été modifié. Elles sont, de fait, incapables de produire l'un des éléments de la chaîne de production de l'ATP (le cytochrome C, « cyt C » sur le schéma). Résultat : chez ces lignées moins performantes au plan énergétique, les chercheurs ont observé un retard de croissance, des yeux anormaux ainsi que des difficultés à se mouvoir. D'où la cuisante défaite des mouches mutées face aux sauvages. Quoiqu'il en soit, cette technique, appliquée à d'autres espèces animales, pourrait permettre de mieux explorer les relations entre l'ADN mitochondrial et la survenue de certaines maladies héréditaires.

Viviane Thivent le 21/07/2008