Un rhinocéros laineux peut en cacher un autre

Est-ce à cause de l'arrivée de l'hiver ? De la sortie annoncée pour 2009 de "L'âge de glace" opus 3 ? Quoi qu'il en soit, les grands mammifères, de préférence laineux, et qui arpentaient, il y a plusieurs centaines de milliers d'années nos contrées, ont le vent en poupe en cette fin d'année. La preuve par deux publications.

Par Viviane Thivent, le 28/11/2008

Le puzzle délaissé

Le crâne de rhinocéros allemand assemblé

Au début du XXe siècle, tout près de la ville allemande de Bad Frankenhausen, des paléontologues découvrent 53 fragments d'os dans des sédiments vieux de 460 000 ans. Ils considèrent le puzzle de loin, relèvent quelques caractéristiques connues et déclarent qu'il s'agit d'un crâne de rhinocéros laineux.

C'est tout. Ils n'iront pas plus loin. Ni ils n'assembleront le crâne, ni ils ne publieront leur découverte. Fut-ce le plus vieux crâne de rhinocéros laineux jamais exhumé dans cette partie de l'Europe, il ne s'agit, somme toute, que d'un os de rhinocéros laineux, une espèce complexe à étudier et plutôt moins glamour que certains de ses contemporains comme le mammouth laineux. De fait : à peine déterrés, les os rejoignent  les collections de la station de recherche sur la paléontologie quaternaire de Weimar, sans autres formalités.

Ralf-Dietrich Kahlke, de l'Institut Senckenberg, et Frédéric Lacombat, du musée Crozatier.

Ils y resteront près d'un siècle, jusqu'à ce que deux chercheurs, un Français et un Allemand, entendent parler de ces fragments en 2005. Intéressés par l'histoire de ce rhinocéros, ils assemblent le puzzle et découvrent que, n'en déplaise à leurs ainés, ce crâne n'appartenait pas à un Coelodonta antiquiitatis (un rhinocéros laineux) mais à un mammifère encore plus antique que celui-ci, le rhinocéros de Tologoi* (Coelodonta tologoijensis). « En clair, il s'agit de l'ancêtre du vrai rhinocéros laineux ! », s'enthousiasme Frédéric Lacombat, paléontologue au musée Crozatier du Puy-en-Velay.

* R.-D. Kahlke et F. Lacombat, Quaternary Science Reviews, novembre 2008

Deux migrations et non une

Une vue d'artiste du rhinocéros laineux.

Mais pourquoi, diantre, ce résultat est-il si important ? « Parce qu'il montre que, lors de l'âge glaciaire, la migration du rhinocéros s'est faite en deux temps », explique Frédéric Lacombat. Il y a 460 000 ans, une première vague de rhinocéros de Tologoi serait descendue de l'est-asiatique vers l'Europe. Ce n'est qu'ensuite, il y a environ 200 000 ans, que le vrai rhinocéros laineux, lui aussi originaire de Chine, aurait conquis le vieux continent. Ces deux espèces auraient alors cohabité avant que le vrai rhinocéros laineux, mieux adapté à son environnement, ne supplante définitivement son ancêtre.

La reconstruction du squelette à partir de la morphologie du crâne.

Un aïeul pourtant assez réactif. Car en analysant encore plus précisément ce crâne, les deux chercheurs ont montré que le spécimen allemand était d'un point de vue morphologique assez différent des rhinocéros de Tologoi chinois. « Son port de cou est plus bas, signe que ce rhinocéros se rassasiait surtout en broutant, » constate Frédéric Lacombat. Or, en Asie, cette espèce consommait plutôt des feuilles d'arbres ou d'arbustes. Le régime alimentaire du Tologoi s'est donc adapté aux changements environnementaux, « ce qui montre la grande plasticité de ces animaux. »

La réplique du mammouth

Mais alors, l'heure de la revanche aurait-elle enfin sonné pour le rhinocéros laineux ? Cette espèce trop longtemps délaissée allait-elle enfin faire parler d'elle au sein de la communauté scientifique ? C'était sans compter sur la renommée mais aussi sur les atouts de son contemporain de mammouth laineux... Car non content d'être déjà une star de cinéma, le voici qui s'étale à la une des plus grands journaux scientifiques. On aurait séquencé 70% de son ADN, annonce-t-on dans Nature (20 novembre 2008). Les scientifiques rêvent même de marier son contenu génétique à celui d'un éléphant. Autant dire que, du coup, les adaptations du rhinocéros laineux n'intéressent plus grand monde. A croire que se faire brouter les rameaux de la gloire sous le pied relève d'une sorte de destin chez cette espèce curieusement mal-aimée.

Viviane Thivent le 28/11/2008