La pêche au chalut avec un répulsif à dauphins

Chaque année, plusieurs centaines de dauphins périssent accidentellement, victimes de la pêche au chalut pélagique. Une société travaillant avec l'Ifremer devrait prochainement commercialiser un système efficace pour éloigner des filets plus de la moitié de ces mammifères.

Par Vahé Ter Minassian, le 07/05/2009

Les dauphins victimes des chaluts

Le dauphin commun à bec court

C'est une question sensible et un chiffre à manipuler avec précaution. Selon une estimation extraite d'un récent rapport du ministère de l'Agriculture et de la Pêche (1), 346 dauphins – dont 239 « dauphins communs à bec court » (Delphinus delphis) – sont morts en France en 2007, victimes des chaluts pélagiques. En s'approchant trop près des navires, ces animaux se seraient pris dans les mailles du filet et auraient péri asphyxiés.

Les captures accidentelles

Le problème des captures accidentelles ne se limite pas aux dauphins et aux chaluts pélagiques. Selon la technique utilisée et les zones de navigation concernées, d'autres espèces peuvent subir des désagréments à cause de la pêche. Les « palangres », ces lignes munies d'hameçons constituent, par exemple, fréquemment des pièges mortels pour les oiseaux, attirés par les appâts. De même, il n'est pas rare que les marins ramènent dans leurs filets « dérivants » et « ancrés » des dauphins et, pour ce qui concerne la Mer du Nord, des marsouins. Des cétacés se laissent également de temps à autres surprendre par les « sennes », ces filets rectangulaires permettant d'encercler le poisson. Enfin, les phoques comptent parmi les victimes involontaires de l'industrie de la pêche. Par ailleurs, dans les régions tropicales où ils sont utilisés pour la pêche à la crevette, les chaluts génèrent des captures accidentelles de tortues marines. C'est pourquoi la réglementation impose qu'ils soient équipés d'un dispositif laissant une chance à ces animaux de s'échapper : le TED (Turtle Excluder Device).

Du côté des marins-pêcheurs, on déplore d'autant plus ces accidents qu'ils se répètent chaque année. Et pas seulement pour des considérations morales de protection des animaux. Même s'ils ne remettent absolument pas en cause la survie de ces espèces non protégées dont la population est estimée à 240 000 individus en Europe, ces décès ternissent l'image de la profession.

Le répulsif acoustique Cetasaver

En outre, ils ont un impact financier. En se débattant pour se libérer, les mammifères pris au piège détériorent le matériel et génèrent par conséquent des pertes économiques.

En partenariat avec la société IXSEA, l'Ifremer teste actuellement un dispositif inédit destiné à éloigner ces animaux des chaluts. Si les essais se révèlent concluants, ce répulsif à dauphins communs (2) appelé « Cetasaver » devrait être commercialisé d'ici la fin de l'année.

(1) Rapport national de la France pour l'année 2007, dans le cadre de l'article 6 du règlement (CE) 812/2004 du Conseil du 26 avril 2004 établissant des mesures relatives aux captures accidentelles de cétacés dans les pêcheries, ministère de l'Agriculture et de la Pêche et Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), mai 2008. (2) Les autres espèces de dauphins ne sont pas éloignées par ce répulsif acoustique sans que les chercheurs ne comprennent pourquoi.

Quel impact sur les populations de cétacés ?

Qu’appelle-t-on des captures accidentelles ?

L'impact global des activités de pêche sur les populations de cétacés est l'objet de vifs débats parmi les spécialistes. En 2005, Greenpeace estimait à 10 000 le nombre de ces animaux tués chaque année dans les seules zones de Manche, Mer Celtique et de baie de Biscay [pdf]. Par une extrapolation tirée d'observations effectuées en Angleterre au cours des deux années précédentes, l'organisation écologique évaluait alors à 2600 le nombre de dauphins capturés par les seuls chaluts pélagiques français.

Dans son rapport final de 2006 réalisé sur la base de données provenant de 952 opérations de pêche [pdf], le programme européen « Pretacet » a depuis, remis ces chiffres en question. La conclusion de ce document précise même qu'il est « invraisemblable que les pêcheries au chalut pélagique représentent une menace significative ou immédiate pour la population des dauphins communs » au moins en Mer Celtique, Manche et Golfe de Gascogne.

Selon les estimations du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 346 dauphins dont 239 dauphins communs (Delphinus delphis) auraient été victimes en France en 2007 de ces navires. Par ailleurs, 590 marsouins auraient péri à cause des filets fixes.

Un manque de solutions adaptées

Le « chalutage en bœufs »

Il existe deux types de chaluts pélagiques : simples ou « en bœufs ». Le « chalutage en bœufs » est une technique de pêche consistant à tirer, entre deux eaux, un filet à l'aide de deux bateaux naviguant de concert. L'ouverture de ces pièges couvre parfois une surface de 100 mètres sur 200. Un espace bien trop grand pour les dauphins qui, attirés par le poisson ou désireux de jouer, se laissent surprendre, payant de leur vie cette erreur.

Que dit la réglementation européenne relative aux captures accidentelles de cétacés ?

Par le passé, plusieurs sociétés ont commercialisé des systèmes censés faire fuir les cétacés des lieux de pêche par l'émission de signaux acoustiques dans l'eau. Testés dans le laboratoire de l'Ifremer à Brest, puis évalués en mer sur un site situé aux alentours des îles Glénan dans le cadre d'un programme européen de recherche appelé Necessity  (2005-2007), ces instruments se sont avérés presque tous inadaptés aux dauphins communs.

À chaque espèce et type de pêche son répulsif

Exemple de pinger, destiné à éloigner les marsouins et dauphins des filets ou chaluts

Les répulsifs acoustiques, ou « pingers » en anglais, ne sont pas une nouveauté même si leur usage est encore peu répandu dans le monde. Depuis les années 90, bon nombre de ces dispositifs ont, en effet, été testés et commercialisés. Ressemblant généralement à une capsule, d'une quinzaine de centimètres de long, en matière plastique ou métallique, ces engins sont conçus pour émettre, à intervalles réguliers, une série de « bip » de forte intensité à une fréquence audible pour l'homme. En étant désagréable à l'oreille des cétacés, ces signaux sonores sont censés les éloigner des zones de pêche.

En pratique, l'efficacité des pingers est variable selon les animaux marins et la technique de pêche utilisée. Plusieurs campagnes scientifiques menés aux États-Unis et en Europe ont prouvé que lorsqu'ils équipaient – tous les 150 mètres – des « filets calés », ces répulsifs permettaient de réduire significativement (jusqu'à 80 %) le nombre de captures accidentelles de marsouins. Malheureusement, les plans d'observation réalisés depuis 2004 dans le cadre de la réglementation européenne (Règlement 812/2004 du CE du 26 avril 2004) semblent montrer que, dans le nord-est Atlantique, les chaluts pélagiques ne piègent pas des marsouins mais des dauphins – principalement des dauphins communs. Or, sans doute en raison d'un seuil d'audition plus élevé, ceux-ci sont beaucoup moins sensibles aux bruits des pingers actuellement commercialisés, dont la plupart ont été conçus pour les marsouins. D'où l'intérêt du projet Cetasaver qui vise à développer un système d'alerte spécifique aux dauphins communs et aux chaluts.

Précisons qu'en raison des différences de sensibilité auditive entre cétacés, la mise au point d'un répulsif adapté à tous les animaux marins est délicate. Un répulsif sonore efficace avec les dauphins risquerait d'augmenter de façon démesurée l'aire d'exclusion des marsouins autour des engins de pêche. De quoi perturber leurs habitats !

Le répulsif à dauphins

Un filet équipé du système Cetasaver

D'où la décision de l'Ifremer de développer, avec l'équipementier IXSEA, un répulsif dirigé spécifiquement contre les dauphins communs, principales victimes des captures accidentelles. Simple d'utilisation et monté dans une bouée extrêmement robuste, le Cetasaver est un haut-parleur aquatique qui émet un faisceau conique directif. Produisant des signaux aléatoires dans la gamme des ultrasons d'une puissance suffisamment élevée pour être désagréable à l'ouïe exercée des dauphins, l'appareil disperse ainsi les bancs de mammifères ou les oblige à changer de direction à mesure de l'avancement des navires. « Et cela sans perturber leur habitat ou affecter la qualité de la pêche, explique Yves Le Gall, ingénieur de recherche au département "Acoustique et sismique" de l'Ifremer à Brest. Nos tests en bassins d'aquaculture et sur les navires commerciaux ont montré que le comportement des poissons comme le bar ou le thon n'est pas affecté par l'emploi du Cetasaver dont ils ne perçoivent pas le son. »

Pourquoi le Cetasaver fait-il mieux que les répulsifs acoustiques commerciaux ?

Après des essais réalisés par le Centre de recherche sur les mammifères marins (CRMM) à La Rochelle à l'aide de zodiacs, des prototypes ont été déployés en 2007 et 2008 sur des bateaux voguant en Atlantique et sélectionnés par le Comité national des pêches maritimes. Les premiers résultats, portant sur la comparaison de 250 traits de chaluts, mettent en évidence une diminution de plus de 70 % du nombre de décès de dauphins communs lorsque le navire est équipé du répulsif. Un succès d'autant plus intéressant qu'une réflexion est en cours pour adapter ce système aux filets calés, afin de limiter aussi les captures accidentelles de marsouins. Avant de prendre la décision de commercialiser ce procédé, une troisième phase d'expérimentation doit être menée prochainement.

Vahé Ter Minassian le 07/05/2009