Seine-Maritime : 70 poissons sur écoute

Au fil des décennies, anguilles, flets et mulets, des espèces naturellement présentes dans la Seine, ont déserté le cours du fleuve pour se réfugier dans l'estuaire et survivre. La qualité des eaux permet-elle aujourd'hui à ces poissons de reconquérir le terrain perdu ? Cet été, des chercheurs du Cemagref ont « recruté » 70 poissons pour répondre à cette question.

Par Paloma Bertrand, le 28/07/2009

En direct depuis Oissel

21 juillet 2009, quelques journalistes ont rendez-vous sur un ponton à Oissel, paisible bourgade de Seine-Maritime, pour rencontrer deux chercheurs du Cemagref * cantonnés en ces lieux tout l'été. Depuis quelques semaines, ici, ils dressent l'oreille, à l'écoute de 70 habitants des eaux de la Seine : mulets, flets et anguilles. Discrets par nature, ces poissons ont été pêchés fin mai, anesthésiés, équipés d'émetteurs d'ultrasons puis relâchés dans les eaux où ils avaient trouvé abri. Dans le même temps, pour enregistrer les déplacements des poissons, 50 hydrophones ont été placés au fil du fleuve sur une portion de 45 km allant du port de Rouen au barrage de Poses. Actifs sur un rayon de 300 mètres, chaque hydrophone conserve la trace acoustique du passage des poissons. Le but de l'expérience est d'étudier le comportement de ces trois espèces afin de répondre à une question qui tarabuste les riverains : les eaux de la Seine sont-elles redevenues propices au développement de la faune traditionnelle ?

* L'expérience est conduite par l'unité de recherche Écosystèmes estuariens et poissons migrateurs amphihalins du Cemagref, Institut de recherche pour la gestion durable des eaux et des territoires.

De Oissel à l'embouchure de la Seine


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Vous avez dit thalassothoques ?

L'anguille, le flet et le mulet sont trois espèces de poissons thalassothoques, c'est-à-dire qu'à l'inverse des saumons, ces poissons se reproduisent en mer puis colonisent les eaux fluviales pour y accomplir leur croissance. Ces espèces migratrices, qui supportent de vivre dans des eaux de qualité médiocre, sont susceptibles d'être les premières à coloniser les cours d'eau si les conditions environnementales s'améliorent.

Un objectif : grandir !

Les 70 poissons sujets de l'expérience sont âgés en moyenne de 2 à 3 ans et trouvent à Oissel un cadre de vie qui devrait les combler : aucun obstacle majeur pour remonter depuis l'estuaire et une diversité d'habitats offerts par le chenal principal, des bras secondaires, des bras morts et de petites îles centrales. À ce stade de leur développement, ces poissons dont l'espérance de vie est d'une dizaine d'années, n'ont qu'un objectif : grandir, donc se nourrir en effectuant si possible un minimum de déplacements.

Un poisson satisfait de son cadre de vie déménagera peu de l'habitat qu'il s'est choisi et trouvera à proximité la nourriture dont il a besoin. Les déplacements qu'il effectue sont donc un signe de la qualité du milieu et font ainsi l'objet de l'attention des chercheurs. Car après la période critique des années 1970 où la Seine connaissait des périodes d'anoxie – raréfaction de l'oxygène dans l'eau –, la qualité de l'eau s'est améliorée. Mais est-elle aujourd'hui suffisante pour autoriser un retour massif des espèces traditionnellement présentes en ces lieux ? Le comportement des poissons cet été apportera un premier élément de réponse.

Retour en Seine et en Gironde

Passé le stress de l’anesthésie générale nécessaire à l’implantation des émetteurs acoustiques sur chacun des 70 poissons (les anguilles et les flets sont restés immobiles plusieurs semaines, les mulets ont quitté les lieux pour n’y revenir que très récemment), les poissons semblent avoir adopté des comportements que les chercheurs jugent plutôt satisfaisants. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer. L’expérience s’achèvera à la fin de l’été et les résultats ne seront connus qu’à l’hiver 2010. Ils seront alors comparés à une expérience semblable menée l’année dernière en Gironde et dont les résultats sont aussi attendus cet hiver.

Paloma Bertrand le 28/07/2009