Des odeurs pour venir à bout du paludisme ?

En identifiant l'influence de récepteurs olfactifs sur le comportement de l'anophèle, le moustique vecteur du paludisme, une équipe américaine ouvre la voie à de nouvelles pistes de lutte contre la troisième maladie la plus meurtrière au monde, après le sida et la tuberculose.

Par Viviane Thivent, le 05/02/2010

Mener les moustiques par le bout du nez

Le vecteur du paludisme, Anopheles gambiae, est toujours une femelle.

« Qui maîtrisait les odeurs, a écrit Patrick Süskind dans "Le Parfum", maîtrisait le cœur de l'humanité », et celui des moustiques, pourrait-on ajouter aujourd'hui. Une équipe américaine vient en effet de décoder le langage olfactif de l'Anopheles gambiae (1), le vecteur du paludisme en Afrique. Une découverte qui, à terme, pourrait permettre d'influencer le comportement des moustiques pour les faire fuir à tire d'ailes ou pour les empêcher de pondre.

Cruel, pensez-vous ? Inespéré plutôt. Car en matière de lutte contre le vecteur du paludisme, maladie qui tue de 1 à 3 millions de personnes chaque année, les scientifiques commencent à manquer de cartouches, l'insecte ayant développé des résistances contre une grande partie des insecticides connus. D'où l'émotion suscitée par ce travail qui promet de faire perdre la tête aux femelles A. gambiae.

  1. A. Carey et al., Nature, 4 février 2010

Guide de conversation olfactive...

Pourquoi s'intéresser à l'olfaction d'Anopheles gambiae ?

Et c'est bien ce qui le rend intéressant. Car, chez les moustiques, seules les femelles piquent et ce, pour obtenir le sang nécessaire à la ponte. Et pour repérer l'homme (ou l'animal) qui leur servira de proie, elles utilisent un peu la chaleur dégagée et beaucoup les fragrances qu'il répand dans l'air. Des molécules volatiles qui peuvent être captées par ce qui sert de « nez » au moustique : les neurones olfactifs ; des cellules nerveuses tapissées de 79 récepteurs distincts qui agissent comme autant de capteurs permettant de disséquer l'information olfactive environnante et d'agir en fonction.

Le principe est connu depuis les années 2000. La nouveauté, c'est que l'équipe américaine est parvenue à constituer une sorte de mini-dictionnaire olfactif recensant l'impact de 110 molécules sur 72 récepteurs olfactifs de l'anophèle... et sur les comportements – tenez-vous bien –, non pas de l'anophèle, mais d'une mouche mutante possédant les récepteurs olfactifs de l'anophèle. Car, l'idée va paraître tordue mais le fait est que, d'un point de vue expérimental, il est plus simple et plus efficace de transférer les récepteurs de l'anophèle sur des neurones olfactifs d'une drosophile – la « mouche de laboratoire » – que de les étudier in vivo dans l'anophèle.

Pourquoi certaines personnes attirent-elles tous les moustiques ?

Pourquoi certains individus sont-ils plus piqués que d'autres ?

Sans doute pour la même raison qu'un chien reconnaît son maître à l'odeur. De chaque individu émane une cohorte de molécules olfactives. Or, il se pourrait que certains effluves attirent ou repoussent davantage les moustiques. D'un point de vue scientifique, la réponse à cette question n'est néanmoins pas tout à fait tranchée car ces molécules restent à identifier.

... à l'usage des hommes

Zones de paludisme dans le monde

Et le résultat enthousiasme Christian Mitri, biologiste à l'Institut Pasteur : « Grâce à ce travail de fourmi, cette équipe a identifié toute une batterie de molécules éventuellement exploitables. Certaines sont beaucoup plus répulsives que celles utilisées jusqu'à maintenant. D'autres sont très attractives ou agissent sur le cycle biologique du moustique... » Des propriétés qui pourraient, à terme, se révéler très intéressantes pour créer de nouveaux types de piège ou, carrément, empêcher la ponte en ajoutant du répulsif dans les flaques d'eau.

« Il ne faut néanmoins pas s'attendre à des applications immédiates, continue le chercheur. Il reste encore à montrer que ce qui a été observé chez la drosophile mutante est analogue à ce qui se passerait chez l'anophèle. » Ensuite, il faudra transposer ces résultats du laboratoire aux conditions réelles. Le paludisme sévit en effet principalement en Afrique sub-saharienne, région du monde où il fait très chaud et où les molécules volatiles sont encore plus volatiles qu'ailleurs. Quid de leur stabilité dans cet environnement extrême ? Quid de leur action sur les récepteurs olfactifs à de telles températures ? La liste des problèmes à résoudre avant de passer à une éventuelle application est encore longue. À suivre donc.

Viviane Thivent le 05/02/2010