Paléogénétique : un petit doigt qui en dit long

Une phalange de petit doigt, retrouvée dans une grotte au sud de la Sibérie, pourrait avoir appartenu à une espèce humaine encore non identifiée. C'est en tout cas ce que porte à croire l'analyse de son ADN.

Par Paloma Bertrand, le 01/04/2010

Faire parler des indices minuscules

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L'Institut d'anthropologie évolutive Max-Planck en Allemagne s'est fait une spécialité du séquençage d'ADN ancien : homme de Neandertal, mammouth, Inuk âgé de 4000 ans… Une technique susceptible d'apporter des éclairages nouveaux sur l'histoire encore mal connue de l'humanité : comprendre les filiations entre différentes lignées humaines ou animales, reconstituer leur évolution, dresser des portraits robots d'êtres que l'on n'a jamais vus ou dont on ne détient que d'infimes fragments… Car l'avantage de l'ADN est aussi de faire parler des morceaux d'os, un cheveu, une dent, des indices extrêmement parcellaires.

Un cas pratique, presque banal

En étudiant l'ADN d'une phalange trouvée en 2008 sur le site de Denisova, au sud de la Sibérie, une région riche en traces de peuplements préhistoriques, Johannes Krause et son équipe pensaient répondre à une question simple : dire si ce bout de doigt avait appartenu à un homme de Neandertal ou à un Homo sapiens, les deux espèces humaines susceptibles d'avoir vécu dans cette partie du monde il y a 40 000 ans, âge de ce petit bout de doigt. Un travail de fourmi au sein d'une entreprise plus vaste visant à dresser, à terme, une carte des peuplements humains et de leur évolution au fil du temps.

L'ADN fossile est délicat à extraire et à interpréter car il est souvent en partie détruit et pollué par l'ADN des organismes vivants qui l'ont approché : champignons, vers, mais aussi par les archéologues eux-mêmes… Mais, usant d'une méthode désormais éprouvée, Johannes Krause s'est emparé des 30 milligrammes de poudre d'os dont il disposait, pour identifier une séquence complète d'ADN mitochondrial (ADNmt). La situation géographique de la grotte, le sud sibérien, était favorable au succès de l'entreprise car les zones tempérées ou fraîches sont les seules à pouvoir conserver aussi longtemps les traces d'ADN.

Un nouveau venu dans la famille humaine ?

La vue au-dessus de la grotte de Denisova, dans le massif de l'Altaï, au sud de la Sibérie

La surprise vint ensuite, lorsqu'avec son équipe, il compara la séquence obtenue à celles déjà connues de 54 humains contemporains (dignes représentants de l'Homo sapiens dont nous descendons tous), de six Néandertaliens, d'un homme de 4 000 ans, d'un bonobo et d'un chimpanzé. Les différences étaient telles, que le propriétaire du doigt ne pouvait avoir appartenu à aucune de ces espèces et que la lignée dont il était issu était très ancienne puisqu'estimée à 1 million d'années. L'unique candidat restant était Homo erectus, le premier groupe humain à avoir migré d'Afrique en Eurasie il y a 1,9 million d'années, mais là encore, les données recueillies ne collaient pas.

La conclusion logique d'un tel résultat est que le propriétaire du petit doigt serait l'unique représentant d'une espèce appartenant au genre Homo, inconnue jusqu'à présent. Or, aujourd'hui n'ont été identifiés dans cette partie du monde (l'Eurasie) que deux, voire trois espèces humaines : l'Homo sapiens, l'homme de Neandertal et, éventuellement, l'homme de Florès découvert en 2003.

Pour l'instant les chercheurs se gardent bien de parler d'une nouvelle espèce, les preuves sont encore insuffisantes. Mais il n'en est pas moins sûr que la publication de ce résultat dans la revue Nature a fait grand bruit.

L'enquête continue

Le séquençage de l'ADN nucléaire du même petit doigt est en cours et les résultats devraient tomber d'ici quelques mois. Avec ses quelque 3 milliards de paires de bases, l'ADN du noyau devrait fournir plus d'informations que l'ADN mitochondrial qui ne comprend, lui, que 16 000 paires de bases.

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Il faudra aussi étendre l'analyse à d'autres fragments pour identifier un plus grand nombre d'individus. Un homme seul ne peut pas définir une nouvelle espèce, encore moins quand il s'agit d'un unique petit bout d'os. Mais les chercheurs semblent optimistes : plusieurs sites en Asie Centrale répondent à des conditions idéales de conservation de l'ADN, et sont riches en fragments humains que la paléontologie traditionnelle n'avait pu investiguer. Des échantillons que la paléogénétique va pouvoir interroger. Des squelettes plus complets seraient certes nécessaires, mais là, c'est une autre paire de manche !

En attendant, cet Homo inconnu n'a pas de nom et, entre eux, les chercheurs l'ont appelé XWoman, sans même savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, car la séquence d'ADN mitochondrial ne permet pas de le déterminer.

Reste que cette découverte renforce l'idée que des groupes humains génétiquement différents auraient coexisté sur une longue période en Eurasie. Car à 100 km de la grotte de Denisova, des traces d'ADN de l'homme de Neandertal ont été identifiées, ainsi que des traces d'Homo sapiens.

Quant à savoir pourquoi toutes ces espèces, exceptée l'Homo sapiens, ont disparu de la planète, l'énigme reste entière…

Paloma Bertrand le 01/04/2010