Comment un grain de sel a-t-il pu bloquer l'Eurostar ?

Un réseau ferroviaire complètement immobilisé, 37 500 foyers privés d’électricité… Les difficultés rencontrées dans le nord de la France à la fin du mois d’octobre ont une cause insolite : le sel marin déposé sur les lignes électriques.

Par Olivier Boulanger, le 26/11/2002

Pour traverser la Manche le lundi 28 octobre dernier, il valait mieux s’armer de patience ou privilégier un autre moyen de transport que le train : entre Paris, Londres et Bruxelles, une quinzaine d’Eurostar étaient soudainement immobilisés sur les voies en raison de problèmes d’alimentation électrique.

À vrai dire, la liaison transmanche n’était pas seule en panne. La quasi-totalité des lignes ferroviaires du Nord-Pas-de-Calais étaient également hors service, ainsi qu’une grande partie du réseau EDF. La cause de ces dysfonctionnements soudains ? Une situation météorologique très particulière...

Tempête « sèche »

Le dimanche 27, une tempête particulièrement violente touche le nord-ouest de l’Europe. La vitesse des vents est telle (près de 140 km/h) que les embruns, et donc du sel, sont transportés jusqu’à 50 kilomètres à l’intérieur des terres.

Caténaires et sel marin font mauvais ménage...

Le phénomène n'est pas rare. Ce qui l’est beaucoup plus, c’est que la tempête a très vite fait place à un régime anti-cyclonique : sans pluie, à l'exception d'une très légère bruine.

Or, en l’absence de précipitations, les cristaux de sel qui se sont déposés sur les installations électriques n’ont pas pu être « lavés » comme ils le sont habituellement. Fait aggravant, humidifiés par la bruine, ils sont devenus particulièrement conducteurs. Les isolateurs recouverts de sel ne jouant plus leur rôle, de nombreux courts-circuits ont ainsi causé la disjonction des lignes électriques.

« C’est une situation exceptionnelle, hors norme, plaide la SNCF. Un phénomène qui ne s’était pas produit depuis douze ans, et qui n’a jamais eu une telle ampleur. »

Une note salée…

Pour la société Eurostar, chaque journée d’immobilisation a représenté un manque à gagner évalué à 2,3 millions d’euros pour les trois réseaux, français, britannique et belge. Sur ce total, la part de la SNCF qui a effectué les plus gros investissements dans cette ligne à grande vitesse représente environ les deux tiers, le restant étant imputé à Eurostar UK et à la SNCB belge.

À ce chiffre, il faut ajouter le coût de la prise en charge des voyageurs bloqués mardi, estimé à 760 000 euros.

Pour les deux journées de paralysies, le coût total devrait ainsi atteindre environ 5,5 millions d’euros.

En attendant la pluie...

“Wagon-laveur“ sur la ligne Eurostar...

Pour remédier à ce blocage, la SNCF a dû faire appel à trois de ses wagons laveurs : des véhicules munis de lances à eau destinés habituellement à nettoyer les résidus de la pollution qui se sont déposés sur les caténaires.

La tâche est lourde puisqu’il s’agit de vérifier et laver 10.000 isolateurs en verre répartis sur 200 kilomètres de lignes… à la vitesse de 8 kilomètres par heure ! Près de 500 personnes se sont ainsi relayées pour rendre les lignes opérationnelles le jeudi 31 octobre.

Pour EDF, l’ampleur de la tâche est autrement plus vaste. Une grande partie la région Nord-pas-de-Calais étant privée de courant, il paraissait inenvisageable de tout nettoyer dans des délais suffisants. Malgré tout, 700 personnes dépêchées sur le terrain ont pu réalimenter la plupart des foyers grâce à la mise en place de 240 groupes électrogènes et au nettoyage des principales lignes victimes de courts-circuits. Quant aux autres, une pluie salvatrice s'est chargée de leur dessalage à partir du mercredi.

Olivier Boulanger le 26/11/2002