Quand Pacman prend vie

En reprenant des classiques du jeu vidéo – Pong, Pacman et autres antiquités – une équipe de l'université de Stanford aux États-Unis vient de créer les premiers jeux biotiques. Des jeux où les micro-organismes tiennent le premier rôle.

Par Paloma Bertrand, le 11/02/2011

Contrôler du vivant plutôt que des pixels

Le jeu vidéo entre-t-il dans une nouvelle ère ? De jeunes chercheurs en bio-ingénierie de l'université de Stanford l'affirment. Dans un article récemment publié dans la revue Lab on a Chip, ils annoncent la naissance des jeux biotiques. À première vue, ces jeux biotiques ressemblent étonnamment aux ancêtres des jeux vidéo que sont le Pacman ou le Pong. Sauf que la partie se déroule sous un microscope et que les joueurs agissent en temps réel sur des êtres vivants, essentiellement des micro-organismes unicellulaires appelés paramécies.

Equipés, selon les jeux, d'un joystick ou d'une simple seringue, les joueurs tentent de diriger le déplacement de ces micro-organismes vers un ballon, une zone d'embut, le terrain de l'adversaire ou à travers un labyrinthe, en influençant leurs trajectoires par des stimuli électriques ou des produits répulsifs. Une opération sans douleur d'après les chercheurs, puisque les paramécies n'ont pas de cerveau.
 

Du côté des joueurs, l'introduction du vivant changerait sensiblement la donne : les participants sont d'abord tenus de composer avec des comportements biologiques parfois imprévisibles. Et le fait d'interférer avec du vivant peut générer chez certains joueurs un sentiment de malaise : manipuler du vivant n'est pas aussi anodin que d'agir sur de simples pixels. Cerise sur le gâteau : les jeux biotiques pourraient élargir la palette des sens mis en jeu avec, par exemple, l'introduction des odeurs (un des jeux créé par l'équipe met en scène des levures dans un scénario qui fait appel à l'odorat des joueurs).

Un potentiel encore en friche

L'ordinateur EDSAC sur lequel tournait le premier jeu vidéo OXO

Ingmar Riedel-Krus, le jeune patron de l'équipe de Stanford, s'enthousiasme : « Les huit jeux biotiques que nous avons créés montrent déjà que les parties sont jouables avec une gamme assez large d'entités biologiques [paramécies, levures ou brins d'ADN]. Si l'on fait le parallèle avec les jeux vidéo, qui aurait imaginé la Wii en découvrant en 1958 le premier jeu vidéo 'OXO' [un jeu de morpion]. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour que les scénarios et les interfaces deviennent ludiques, ergonomiques et qu'elles touchent le grand public. Avec cette publication, nous espérons que d'autres laboratoires vont s'intéresser à ces jeux biotiques et développer la discipline dans un temps qui sera très certainement beaucoup plus rapide que pour les jeux vidéo. »

Ingmar Riedel-Krus collabore désormais avec Rhiju Das (biochimiste et développeur du jeu EteRNA) et Daniel Schwartz (professeur en science de l'éducation à Stanford) et tous trois viennent de créer un « Bio-X Game Center ».

Décoder les enjeux de demain

Joël de Rosnay, plutôt sceptique !

Cette interaction entre le réel et le virtuel, qui semble à ce stade anecdotique, est pour les chercheurs pleine d'avenir. Les jeux sont connus pour être des outils d'apprentissage et de formation performants (cf l'essor des Serious Games, et l'entrée de ces jeux biotiques à l'école pourrait, selon leurs concepteurs, stimuler les élèves dans l'appréhension des micro-organismes et plus largement des enjeux liés aux biotechnologies.

« Beaucoup d'experts actuels des technologies de l'information ont été des enfants passionnés de jeux vidéo. Les jeux biotiques pourraient créer des vocations et plus largement sensibiliser les générations à venir aux biotechnologies. Et dans ce domaine, les questions posées au citoyen, individuellement ou collectivement, sont nombreuses et controversées. Les OGM, les cellules souches, les nanotechnologies, par exemple, sont des sujets complexes, difficiles à appréhender sans un minimum de connaissance, et les jeux biotiques pourraient participer à familiariser le public à ses enjeux. » Plus prosaïquement, les chercheurs concluent leur publication en espérant que, pour les joueurs, le « fun » sera au rendez-vous.
 

Paloma Bertrand le 11/02/2011