Entre art et science, Tripwire interroge le temps

Du 1er au 9 octobre, l'espace CentQuatre, à Paris, accueille une œuvre dont la physique surprend. Des élastiques en rotation forment des nœuds et des fuseaux, c’est Tripwire.

Par Anaïs van Ditzhuyzen, le 05/09/2011

Dans l’immense salle noire, un cadre aux dimensions de la pièce supporte un « écran » peu ordinaire : 24 élastiques blancs tendus à la verticale. La lumière s’éteint. Les élastiques éclairés entrent en rotation, dessinant dans l’espace des formes fuselées. Ces sinusoïdes produisent une illusion de volume aussi envoûtante que les sons ténébreux qui emplissent l’espace. Un spectateur s’approche, l’élastique oscillant accélère et passe par un stade chaotique, comme un voile au vent.

L’œuvre, fruit du travail de Jean-Michel Albert, étudiant au Fresnoy à Tourcoing, et de Ashley Fure, compositrice à l’Ircam, entre en interaction avec le public. « Chacun fait de la science à son insu », estime Jean-Michel Albert. Après quelques minutes de féérie, la lumière se rallume. Assoupi, le public redécouvre la forme initiale de cette œuvre d’art nommée Tripwire.

A l’origine, un cours de physique

Expérience de Melde

« Lorsque j’étais en terminale L, je n’étais pas très bon élève mais une expérience m’a marqué, celle de la corde de Melde. » Dans les années 1850, le physicien allemand Franz Melde étudie les ondes. Un moteur crée une perturbation à l’extrémité d’une corde qui se propage et rebondit à l’autre bout. Deux ondes progressent alors en sens inverse. Portées à la même vitesse, elles s’annulent en formant des nœuds et des ventres. Elles semblent statiques, ce sont des « ondes stationnaires ».

Onde stationnaire

« En utilisant un stroboscope, notre professeur a pu figer la sinusoïde. C’était très beau, s’émerveille encore, dix ans plus tard, Jean-Michel Albert. Et l’année dernière, j’ai repris contact avec mon professeur de physique. Il a pu me donner les détails permettant de reproduire cette expérience. Je la trouve particulièrement intéressante car au travers des ondes elle permet de manipuler le temps. »

Illusion de temps dans l’espace

Les scientifiques représentent généralement le temps à l’horizontale, sur l’axe des abscisses. « Pour moi, il doit être à la verticale, explique Jean-Michel Albert. Cela permet de le dissocier du sens de lecture. Le temps n’a pas de sens, ni de droite, ni de gauche. »

Jean-Michel Albert s’est attaché à travailler dans les trois dimensions en projetant par exemple des images en arrière-plan. C’est le cas de cette grille blanche qui quadrille l’œuvre et suggère une représentation de l’espace-temps.

« Je voulais que le visiteur puisse interagir avec l’œuvre. » Pour cela, il a caché des capteurs reliés aux moteurs dans le socle. Ils détectent par infrarouge la venue d’un spectateur. « Avec Ashley Fure, nous avons choisi de synchroniser le son, les images et la vitesse des moteurs par ordinateur. » Chaque scène a été pensée par les deux artistes. Ainsi, lors de la venue d’un spectateur le fuseau se déforme, la spirale s’emmêle et la musique gronde. C’est le chaos. Sur les élastiques statiques, des points lumineux dégoulinent doucement. Comme le générique de Matrix... au ralenti. « Pour moi, la vitesse est un mal symptomatique de notre société. Cette illusion d’immobilité dans un mouvement si rapide me parait apaisante. D’ailleurs, lors des premières journées d’ouverture au public début mai, des gens sont restés allongés dans la salle une heure. »

L’histoire ne dit pas si la version finale de l’œuvre sera projetée face à un tapis matelassé, proposant au public un petit somme artistico-scientifique...

Anaïs van Ditzhuyzen le 05/09/2011