Les temples de Karnak édifiés loin du Nil

Une étude menée par une équipe française remet en question la théorie selon laquelle les temples de Karnak ont été construits au bord du Nil.

Par Romain Lejeune, le 20/07/2011

Le Nil était à… 500 mètres

Vue des temples de Karnak

Le Nil ne passait pas au pied des temples de Karnak au moment de leur construction, lors de la XIIe époque dynastique (environ 2000 avant J.-C.). Jusqu’ici, une fresque retrouvée dans une tombe (TT 49 – Neferhotep) de la Vallée des rois datant d’environ 1300 avant J.-C, laissait penser que ces monuments avaient été édifiés au pied d’un bassin relié au Nil. Une source jugée insuffisante par Matthieu Ghilardi et son équipe du Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement (CEREGE) qui, avec l’aide des archéologues du Conseil suprême des antiquités d'Egypte et du Centre franco-égyptien d'étude des temples de Karnak, a pu étudier précisément l’évolution hydrodynamique du Nil. Selon ces travaux, publiés dans la revue Journal of Archaelogical Science, les temples de Karnak ont été édifiés sur une levée sableuse appelée Gézirah (mot arabe qui signifie « île »), située à environ 500 mètres du Nil. Ce n’est que quatre cents ans après leur édification, soit vers 1600 avant J.-C, que ces monuments ont été rattrapés par les eaux.

Comment le Nil a-t-il évolué ?

Coupe stratigraphique

La mobilité hydrologique du Nil est en partie conditionnée par l’apport de sédiments provenant du plateau éthiopien, situé en amont et drainé par un affluent, le Nil Bleu. Ces dépôts de tailles diverses sont transportés par le fleuve et favorise l’élévation de son lit. La cause majeure de ces apports sédimentaires massifs ? La déforestation menée depuis plus de quatre mille ans et les changements climatiques. Au fil du temps, le transport des sédiments par voie fluviale a contribué à déplacer les eaux du Nil vers les temples de Karnak. Une reconstitution des transits sédimentaires au sein du bassin versant du Nil a été rendue possible grâce à une série de carottages et de forages, atteignant une profondeur maximale de 25 mètres, au pied du premier pylône de Karnak (aujourd’hui l’entrée principale des temples). Cette technique de forage consiste à récupérer des échantillons de sédiments localisés en profondeur, puis à les dater par la méthode du carbone 14. Cette dernière étape a permis « d'obtenir une chronostratigraphie précise des phases de sédimentation du Nil, permettant de suivre l'évolution des paysages situés aux alentours au cours des dix derniers millénaires », rappellent les chercheurs. Ces derniers ont alors pu observer que la position géographique des temples n’était pas la même que celle du Nil, alors situé plus à l’ouest.

Une fresque et des questions

« Découverte il y a 1300 ans, une fresque montrait les temples de Karnak édifiés au pied d’un bassin relié au Nil. Nous avons donc prudemment comparé les paysages représentés avec ceux observés actuellement, puis nous avons estimé que ce bassin ne devait pas avoir existé », explique Matthieu Ghilardi. Les études géomorphologiques l’ont ensuite prouvé. « Aucune évidence sédimentologique de ce bassin n’était présente dans les archives sédimentaires étudiées – un bassin correspond à des eaux calmes, sans sables grossiers. Or, nous avons essentiellement retrouvé des sables parmi nos échantillons ». Cependant, même si les textes anciens et les sources cartographiques peuvent parfois induire en erreur, ils servent tout de même de base de réflexion à plusieurs disciplines. « Pour la première fois à Karnak, poursuit le chercheur du CEREGE, des géographes, des archéologues et des égyptologues se sont associés autour d’un objet archéologique et ce, à la lueur de nouvelles techniques. À l’avenir, cela pourrait entraîner de nouvelles prospections paléo-environnementales et contribuer à plus de prudence quant à l’interprétation des documents anciens. »

Romain Lejeune le 20/07/2011