Marchand de couleurs, il y a 100 000 ans

Suite à l'étude de vestiges découverts en 2008 dans la grotte de Blombos, en Afrique du Sud, des archéologues reconstituent la méthode des hommes préhistoriques, il y a 100 000 ans, pour élaborer et stocker des pigments.

Par Olivier Boulanger, le 26/10/2011

La grotte de Blombos

En 2008, dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud, le préhistorien Christopher Henshilwood tombait sur une découverte inattendue.

Dans la paroi, une coquille d'ormeau contenant de l'ocre rouge.

Dans les couches remontant à 100 000 ans, le chercheur et son équipe mettaient au jour des coquillages contenant des pigments, ainsi que des restes d’outils ayant servi à leur élaboration. Du jamais vu. Ces éléments montrent que, bien longtemps avant Chauvet (30 000 ans) ou Lascaux (17 000 ans), Homo sapiens savait fabriquer et stocker des matières colorantes.

Trois ans ont passé et, après avoir étudié ces vestiges, notamment deux coquilles d’ormeaux contenant une couche de pigments rouges, une équipe internationale comprenant des chercheurs du CNRS estime pouvoir reconstituer la recette mise en œuvre par les hommes préhistoriques pour fabriquer ces matières colorantes.

Les deux ormeaux étudiés. Le premier était encore recouvert de son galet protecteur.

Les pigments étaient tirés de roches riches en hématite et en goethite, des oxydes de fer assez répandus dans la région. Grâce à des outils en quartzites – des roches constituées de cristaux de quartz –, ils les abrasaient et les réduisaient en poudre. La présence de nombreux os spongieux en partie carbonisés suggère que de la moelle osseuse était alors utilisée comme liant. Le pigment était ensuite stocké dans une coquille d’ormeau dont on avait préalablement bouché les orifices. Des traces colorées circulaires retrouvées sur les parois de la coquille – comparables à celles laissées par une tache d’aquarelle – laissent supposer que le pigment était liquide au moment de sa préparation. Étape finale, le coquillage était recouvert d’un galet pour en protéger son contenu.

Sous le galet protecteur, une couche de pigment rouge.

Un os allongé, retrouvé à proximité, était visiblement utilisé pour mélanger ou appliquer la préparation. Mais à quoi pouvaient bien servir ces pigments ? Étaient-ils appliqués sur le corps, sur la roche ? Servaient-ils d’ornement ou étaient-ils considérés comme des médicaments ? Quel qu’en fût l’usage, la complexité des techniques utilisées démontre les capacités cognitives de ces premiers hommes. Entre la recherche de matériaux, leur préparation, la maîtrise du feu, et le stockage des pigments en vue d’une utilisation future, c’est un pan méconnu de la vie de nos lointains ancêtres qui se révèle à nos yeux.

Ces travaux font l'objet d'une publication dans la revue Science du 14 octobre 2011.

Olivier Boulanger le 26/10/2011