La datation des peintures rupestres de la grotte de Coliboaia, en Roumanie, a livré un âge très ancien (36 000 ans), identique à celui de la grotte Chauvet. Révélant l’existence, à cette période reculée, de pratiques culturelles et spirituelles communes à tout le continent européen.
2 000 km, c’est la distance qui sépare Vallon-Pont-d’Arc, en Ardèche, des monts Apuseni, dans le centre de la Roumanie... Et pourtant, sur ces deux sites très éloignés, des hommes ont réalisé il y a 36 000 ans des œuvres de même facture. C’est ce que vient de prouver la datation au carbone 14 des peintures de la grotte de Coliboaia par une équipe franco-roumaine*.
* « Un art très ancien en Roumanie. Les dates de Coliboaia », Clottes et al., Revue INORA, octobre 2011.
Leur découverte remonte à septembre 2009, quand des spéléologues roumains franchissent pour la première fois la rivière souterraine qui barre l’accès d’une salle reculée de cette cavité. En mai 2010, des préhistoriens se rendent à leur tour sur les lieux pour une expertise scientifique. Ils attestent alors de l’ancienneté de cet art, en se basant sur la comparaison de style avec des peintures connues et datées et sur la présence d’un léger voile de calcite recouvrant certains traits. Ils identifient surtout une vingtaine de figures avec, entre autres, deux rhinocéros, un bison noir, un équidé, deux têtes d’ours, une silhouette rappelant la forme d’un mammouth et une figure indéterminée.
Même si on est loin des 425 animaux dessinés à Chauvet, la découverte est importante : « On ne connaissait pas de grotte ornée significative en Europe centrale, l’art pariétal paléolithique étant surtout concentré dans la zone dite franco-cantabrique, entre le sud de la France et l’Espagne », analyse le spécialiste de l’art pariétal Jean Clottes, qui a étudié ces peintures.
Les animaux dangereux privilégiés
Tout aussi intéressant, le choix du bestiaire représenté à Coliboaia – rhinocéros, ours et, plus généralement, animaux considérés comme dangereux – la rapproche de la grotte Chauvet. Similitude renforcée par le style de certains animaux, comme la forme du dos des rhinocéros et l’emploi des reliefs naturels pour faire ressortir leur anatomie… Sans oublier la technique employée, dans les deux cas, du dessin au fusain de charbon de bois.
Dernier fait troublant : l’association d’un os planté dans la paroi de la grotte roumaine avec un crâne d’ours dessiné, qui rappelle le crâne d’ours de la cavité ardéchoise déposé sur un « autel » rocheux et les ossements qui y ont été fichés dans la pierre par les artistes.
Avec les deux dates obtenues récemment au laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement de Gif-sur-Yvette, cette proximité culturelle est confirmée. Les deux charbons prélevés à Coliboaia – l’un, sur la tête d’un des animaux indéterminés (félin ou cheval portant des traces de griffades de chauve-souris), l’autre, au pied d’un panneau peint – ont livré, respectivement et après calibrage de la courbe du carbone 14, des dates de 35120 à 36780 ans pour l’un et de 31450 à 32820 ans pour l’autre. Soit, à quelques décennies près, les mêmes fourchettes chronologiques que celles obtenues à Chauvet et correspondant à la culture aurignacienne… Dans les deux cas, les peintures ont été réalisées dans le cadre de croyances et de mythes qui structuraient puissamment les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui en étaient les auteurs.
Pour Jean Clottes, « cela prouve que des groupes humains partageaient les mêmes croyances et pratiques culturelles, depuis le sud de la France jusqu’à l’Europe centrale. Ces nomades, habitués à suivre le gibier dans ses migrations saisonnières, voyageaient avec leurs idées ». À l’heure où l’Europe s’interroge sur son avenir, la découverte d’une telle unité culturelle sur l’ensemble du continent ne constitue-t-elle pas un signe fort, venu de notre lointain passé ?