Tomate : à la reconquête du goût

En privilégiant des tomates à la couleur uniforme, les producteurs ont depuis des décennies sélectionné, sans le savoir, un gène qui diminue la photosynthèse et donc la saveur du fruit.

Par Paloma Bertrand, le 06/07/2012

« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », celui où les tomates avaient du goût. Cette complainte qui revient comme une litanie aux oreilles des producteurs de tomates a porté ses fruits : selon Christophe Rothan, directeur de recherche à l’Inra, « d’énormes efforts ont été entrepris au niveau génétique pour introduire des gènes de qualité, notamment par des croisements avec des variétés anciennes ». Le traumatisme des années 1980 et 1990 qui ont vu fleurir en tête de gondole des tomates uniformément rouges, rondes, fermes et sans goût, est donc en passe d’être révolu. « Les sélectionneurs travaillent à élaborer de nouvelles variétés qui gagneraient en goût tout en conservant les qualités des tomates actuelles. C’est-à-dire des tomates à haut rendement, résistantes aux maladies, avec une longue durée de vie du fruit, et adaptées à des modes de culture variés », précise Christophe Rothan.

Gène dominant ou récessif : comparatif

L’article publié le 29 juin dans la revue Science intervient dans ce contexte de regain de qualité. L’équipe, constituée de biologistes américains, espagnols et argentins, vient de montrer qu’un caractère génétique récessif conférant à la tomate une couleur uniforme s’était imposé au détriment de la version dominante du même gène qui favorise, elle, la photosynthèse. Or, si la photosynthèse s’affaiblit, le fruit peine à se gorger de lumière. Il devient moins rouge et moins sucré. Cette sélection ne date pas d’hier puisque selon les chercheurs, cette couleur uniforme a été sélectionnée depuis 70 ans. Christophe Rothan le confirme : « Les variétés anciennes de tomates sont plus colorées là où se trouve l’attache, et plus pâles au bas du fruit. Si ce trait de caractère rare a été sélectionné dans les variétés que l’on trouve aujourd’hui, c’est parce que les consommateurs réclament des fruits aux couleurs uniformes. C’est exactement comme pour les agrumes : alors que la couleur naturelle des mandarines est un panaché de vert et d’orange, celles que l’on trouve aujourd’hui sont unicolores ».

Tous les goûts sont dans la nature

Le consommateur serait ainsi indirectement responsable de la baisse de qualité qu’il déplore aujourd’hui. La production se serait adaptée à ses desiderata comme de pouvoir manger des tomates uniformément rouges, en toute saison. Des tomates susceptibles de se conserver plus d’une semaine avant d’être mangées et vendues à bas prix au supermarché.

Une enquête publiée par Mathilde Causse (directrice de recherche, Inra Avignon) en 2010 a d’ailleurs montré que l’apparence du fruit était un critère significatif pour les consommateurs. Menée en France, en Italie et aux Pays-Bas, cette enquête a dressé quatre profils types de consommateurs : les « gourmets » qui aiment les tomates gustatives et juteuses, les « traditionalistes » dont la préférence irait aux tomates anciennes, aromatiques et à la chair fondante, les « classiques » qui prisent les tomates fermes, rondes mais sucrées, et les « indifférents » qui n’ont pas d’avis marqué et ont tendance à rejeter les nouveautés.

Il n’y a donc pas un, mais des consommateurs aux goûts différenciés et, d’après Christophe Rothan, cette diversité est désormais prise en compte : « Comme pour la pomme de terre, les sélectionneurs français s’orientent vers une production de niches avec des variétés comme la cœur de bœuf, la tomate cerise, la noire de Crimée. Il est de toute façon impossible avec nos coûts de production de jouer à armes égales avec les pays du Sud sur les mêmes variétés. Donc les sélectionneurs français ont tout intérêt à diversifier leur production et l’on trouve désormais en grande distribution des tomates cocktail à des prix abordables ».

Toutefois, le goût insipide de la tomate n’est pas qu’une affaire de variété génétique. Elle dépend aussi et surtout du mode de culture : récoltée l’été en plein champ, elle est à son sommet !

Paloma Bertrand le 06/07/2012