Sur la piste des petites galaxies sombres

Deux équipes d’astronomes ont retrouvé la trace des galaxies naines qui se sont formées durant le premier milliard d’années après le big bang. Ces avortons cosmiques, véritables fossiles des âges sombres, peuplent aussi bien notre banlieue galactique que les confins de l’Univers.

Par Yaroslav Pigenet, le 17/07/2012

Comme les êtres vivants, les galaxies ont une histoire faite de naissances d’étoiles et de fusions avec d’autres galaxies ; mais pour certaines protogalaxies, l’évolution s’est arrêtée il y a presque 13 milliards d’années. Deux nouvelles observations astronomiques indépendantes, réalisées à l’aide du télescope spatial Hubble et du Very Large Telescope (VLT) du Mont Paranal (Chili), viennent de retrouver leur trace, non seulement aux origines de l’Univers mais également à proximité de notre Voie Lactée. L’étude de ces structures cosmiques prédites par le modèle standard de la cosmologie, mais jusqu’ici difficiles à observer en raison de leur très faible luminosité, va permettre de mieux comprendre l’enfance de notre Univers. Ces travaux permettent également de résoudre le « problème des galaxies naines », où le nombre de galaxies naines prévue par les simulations informatiques dépasse de plusieurs ordres de grandeur le nombre effectivement observé.

Des embryons galactiques quasi-invisibles

Vue d'artiste d'un quasar

Selon le modèle standard de la cosmologie, les premières galaxies se sont formées par la condensation de l’hydrogène formé lors du big bang. Bien que riches en gaz et en matière noire, certains de ces embryons galactiques étaient très peu, voire pas du tout, productifs en étoiles. Faute d’étoiles, ils n’émettent presque pas de lumière, ce qui les rend quasiment invisibles, d’où leur nom de galaxies sombres.

« Notre stratégie de détection des galaxies sombres a consisté à les observer alors qu’elles étaient éclairées par une lumière intense, explique Simon Lilly, astronome et co-auteur d’un article à paraître dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Nous avons cherché le rayonnement fluorescent émis par le gaz de ces galaxies alors qu’elles étaient éclairées par un quasar voisin. En effet, la lumière du quasar fait briller ces galaxies sombres selon un mécanisme similaire à celui qui permet aux textiles blancs de « s’allumer » sous les lampes ultraviolettes des boites de nuit. »    

Des naines peu productives

Cliché du ciel dans la région du quasar HE0109-3518

Grâce à la grande sensibilité du VLT, Simon Lilly et ses collègues ont pu détecter le faible rayonnement fluorescent émis par les petites galaxies primordiales situées à proximité du quasar HE 0109-3518. Ils ont ainsi pu identifier avec certitude une douzaine de ces galaxies sombres, les premières à avoir été observées dans l’Univers primitif. L’équipe a également pu déterminer certaines de leurs propriétés, par exemple leur capacité à engendrer des étoiles. Ils ont ainsi estimé que leur « taux de fécondité » stellaire était réduit d’un facteur 100 par rapport aux galaxies « normales » (ce qui veut dire que ces objets mettent, en moyenne, 100 milliards d’années à convertir leur gaz en étoile).    

D’où viennent les étoiles ?

Les étoiles se forment par l’effondrement d’un nuage de gaz dense sous l’effet de sa propre gravité, ce qui enclenche la réaction de fusion nucléaire des atomes d’hydrogène. Les facteurs déclenchant cet effondrement ne sont pas complètement élucidés, mais on soupçonne par exemple que l’onde de choc consécutive aux explosions de supernovae pourrait y contribuer.

Voisines cachées

Caractérisation des étoiles de la galaxie naine Leo IV

Bon nombre de ces galaxies naines ont évolué et contribué à l’édification des galaxies brillantes que l’on observe aujourd’hui : que ce soit en fusionnant avec elles et/ou en leur apportant leur gaz. Mais une proportion non négligeable d’entre elles n’ont jamais évolué et sont restées tapies dans l’ombre depuis plus de 12 milliards d’années. Grâce à Hubble, une autre équipe d’astronomes vient tout juste d’en repérer quelques unes situées dans la banlieue immédiate de la Voie Lactée. En l’occurrence Hercule, Leo IV et Ursa Major, distantes de 330 000 à 490 000 années-lumière de la Terre. Ces observations, publiées dans la revue The Astrophysical Journal Letters, permettent notamment de mieux comprendre ce qui a transformé ces corps en avortons galactiques.

Beaucoup de matière noire, peu d’éclat

Genèse des galaxies naines

Détectées grâce aux clichés du Sloan Digital Sky Survey, ces galaxies naines et très peu brillantes étaient jusqu’ici très mal connues. En braquant sur elles l’Advanced Camera for Survey de Hubble, les astronomes ont pu analyser les caractéristiques des rares étoiles qu’elles contiennent. Ceci afin de déterminer leur structure, leur âge, mais aussi leur histoire.

La population stellaire de ces galaxies naines – dont le diamètre n’excède pas 2000 années-lumière contre près de 80 000 pour la Voie Lactée – se compose de quelques centaines d’étoiles plus petites et moins brillantes que notre Soleil. En revanche, ces galaxies contiennent jusqu’à 100 fois plus de matière noire que de matière « visible », une proportion qui n’est que de 1 pour 5 dans les galaxies « normales ».

Pour déterminer leur âge, les chercheurs ont analysé la couleur et l’éclat de leurs étoiles. Puis ils ont comparé ces caractéristiques à celles des étoiles de l’amas globulaire M92, une structure vielle de 13 milliards d’années. Ceci a permis de démontrer que les galaxies naines avaient un âge comparable. « Ces galaxies sont toutes très anciennes et ont toutes le même âge, ce qui indique que quelque chose est tombé comme un couperet de guillotine et a bloqué au même moment le processus de formation d’étoiles » explique l’astronome Tom Brown, principal auteur de l’étude. « L’explication la plus probable est que ce couperet fut la réionisation ».     

Big bang, âges sombres et réionisation

L'Univers depuis le Big Bang

Les noyaux d’hydrogène et d’hélium qui remplissent l'Univers actuel ont tous été créés quelques fractions de seconde après le big bang. L'Univers se refroidissant, ces noyaux se sont recombinés avec des électrons, 380 000 ans plus tard, pour former des atomes neutres.

Cet événement, appelé « recombinaison » est à l’origine du fond diffus cosmologique (CMB) qui continue de baigner le cosmos et qui a été observé, entre autres, par le satellite WMAP. A cette occasion, l’Univers, qui était jusque-là rempli d’un plasma totalement opaque est devenu transparent. Une période appelée « âges sombres » a succédé à la recombinaison. Durant cette période, l’Univers était transparent mais, en l’absence d’étoiles, il n’était éclairé que par le fond diffus cosmologique.

Ces âges sombres qui ont duré près de 400 millions d’années, se sont achevés par la « réionisation », lorsque les toutes premières étoiles se sont formées à partir de l’hydrogène primordial créé lors du big bang. Le rayonnement UV émis par ces étoiles géantes était en effet si intense qu’il a transformé une partie de l’hydrogène galactique en plasma ionisé opaque.

 

« En permettant l’analyse de l’histoire de la formation d’étoiles dans ces galaxies naines, Hubble a confirmé les prédictions théoriques qui postulent que les plus petites galaxies auraient vu leur évolution stoppée par la réionisation », précise Jason Tumlison, co-auteur de l’étude. Le gaz contenu dans ces galaxies naines aurait en quelque sorte été soufflé par le rayonnement intense qui a baigné l’Univers lors de cet épisode. Faute de suffisamment de gaz, la formation d’étoiles s’y serait donc définitivement arrêtée par la suite.

Yaroslav Pigenet le 17/07/2012