À chaque têtard sa grenouille !

Une étude comportementale révèle que le comportement d'une grenouille dépend de l'expérience acquise par le têtard. La métamorphose du batracien a beau être spectaculaire, la grenouille hérite bien de l'histoire personnelle de la larve qu'elle était.

Par Gautier Cariou, le 14/08/2012

Grenouille femelle de l'espèce Rana ridibunda

L’adolescence peut être une période de changement brutale, mais elle n’est rien comparée à la métamorphose que subissent certains animaux. De fait, un enfant qui devient adulte reste peu ou prou le même individu et conserve certains traits de caractère de son enfance tout au long de sa vie. En revanche, pour les grenouilles ou les papillons, les choses se corsent. Piégés dans un nouveau corps et soumis à des contraintes inédites, conservent-ils le souvenir de leur vie de têtard et de chenille ou deviennent-ils de tout nouveaux individus ? Alexander Wilson, écologue du comportement à l’Institut de Leibniz, à Berlin, s’est penché sur la question dans une étude à paraître ce mois-ci dans la revue Behavourial Ecology.

Têtard hyperactif, grenouille bondissante

Dans des bassins situés à proximité de la capitale allemande, Alexander Wilson a étudié le comportement de 75 têtards sauvages avant et après leur métamorphose. Au programme : une batterie de tests dans l’eau pour peindre un portrait de chaque animal. « C’était compliqué de trouver des tests adaptés à la fois aux têtards et aux grenouilles, qui sont deux animaux bien distincts », explique le scientifique. Le premier test a consisté à évaluer la tendance du batracien, avant et après métamorphose, à explorer son environnement. Après l’avoir placé dans un nouveau bassin, le chercheur a mesuré le temps pris par l’animal avant de commencer à bouger pour sonder les lieux. Pour le deuxième test, l'auteur de l'étude a chronométré les phases d’activité du batracien, avant et après transformation, sur des périodes de dix minutes.

Résultat : les têtards les plus actifs, explorateurs dans l’âme, conservent ces traits comportementaux et deviennent des grenouilles d’autant plus dynamiques et curieuses de leur environnement. « C’est vraiment surprenant, constate Alexander Wilson, les deux individus sont complétement différents dans leur phase juvénile et adulte… Et pourtant certains comportements restent constants ! »

Têtard tétanisé, grenouille tranquille

Pour autant, tous les comportements ne se transmettent pas de la larve à l’adulte. C’est ce qu’a remarqué le chercheur en simulant une attaque de prédateur par un jet d’eau. Cette dernière expérience révèle qu’un têtard immobilisé par la présence d’un hypothétique prédateur, ne devient pas une grenouille plus peureuse que les autres.

Pour Michael Taborsky, écologue à l’Université de Bern, qui a commenté l'étude dans la revue américaine Science, « ce travail pourrait aider à clore le débat sur la raison sous-jacente de la personnalité ». En effet, certains scientifiques estiment que le comportement d’un animal n’est qu’une manifestation de l’instinct de survie et que le caractère n'est que la conséquence de l' adaptation à l’environnement. Dans le cas de la grenouille, contrainte à s’adapter rapidement à son nouveau corps, cette hypothèse exclurait que l'expérience acquise par la larve puisse se transmettre à l'adulte. Or, l’étude de Wilson démontre l'inverse. L'histoire personnelle de la grenouille s'inscrit dans la continuité de celle du têtard. Exit l'adaptation comme seule explication des comportements animaux... La métamorphose n'efface pas l'enfance !

Gautier Cariou le 14/08/2012