Le baptême infernal des satellites de Pluton

Kerberos et Styx, tels sont les nouveaux noms attribués aux deux derniers satellites de Pluton découverts à ce jour. Baptiser des objets célestes constitue l'aboutissement d'un long processus, encadré par des règles strictes... qui n'interdisent pas une certaine poésie. 

Par Bernard Nomblot, le 10/07/2013

« L’Union astronomique internationale (UAI) a le plaisir de vous annoncer qu’elle a nommé Kerberos et Styx les quatrième et cinquième satellites de Pluton, précédemment connus sous les noms de P4 et P5 ». Ainsi débute le communiqué de l’UAI du 2 juillet 2013, conférant ainsi leur pleine identité aux satellites de Pluton découverts par le télescope spatial Hubble en 2011 et 2012.

Pluton : cinq satellites désormais

La nomination d’un satellite est le fruit d’un parcours long et réglementé. Lors de sa découverte, un satellite ou un astéroïde sont anonymes. Plus tard, lorsque son existence est confirmée, l’astre se voit attribuer un numéro qui sert à l’identifier. C’est seulement dans un deuxième temps qu’il reçoit un nom propre. La commission de nomenclature de l’UAI est l’arbitre en la matière. Une mission à la charge symbolique forte. Albert Camus ne disait-il pas que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

Les enfers dans le Ciel

Dans le cas présent, les deux objets célestes ont été catalogués comme « P4 » et « P5 », ce qui correspond aux quatrième et cinquième rangs de découverte de ces satellites de Pluton. Le responsable des découvreurs, Mark Showalter (institut Seti) a demandé au public de sélectionner des noms sur un site Internet dédié. Ceux-ci devaient nécessairement s’inspirer de la mythologie classique et faire référence aux enfers, où se rendent les âmes des défunts après leur mort, afin de respecter la thématique des noms déjà portés par Pluton et ses satellites.

Trois noms sont arrivés en tête : Vulcain, Cerberus et Styx, dans cet ordre. Le groupe de travail de la nomenclature des planètes a écarté Vulcain, un nom sans lien avec l’enfer grec. En outre, ce nom a déjà été attribué au XIXe siècle à une hypothétique planète située entre Mercure et le Soleil. Cet astre n’existe pas, mais le terme de « vulcanoïde » désigne toujours les astéroïdes à l’intérieur de l’orbite de Mercure. 

Il a par ailleurs préféré retenir l’orthographe grecque Kerberos plutôt que Cerberus afin d'éviter toute confusion avec un astéroïde du même nom baptisé en 1865. Dans la mythologie grecque, Kerberos (Cerberus) est le chien à trois têtes qui garde la porte des enfers. Mais c'est finalement le troisième nom sur la liste, Styx, la déesse qui règne sur le fleuve des enfers, qui a été choisi.

Des Romains aux Mélanésiens

Io, satellite de Jupiter

Cette procédure de nomination des satellites de Pluton s'applique également aux autres objets célestes, mais avec des thématiques de plus en plus larges. 

Jusqu’aux débuts de l’exploration spatiale, les mythologies grecque et romaine constituaient la source d’inspiration la plus courante. Deux exceptions à cette règle : les satellites d’Uranus, qui tirent leurs noms des œuvres littéraires de Shakespeare et Pope ; et les cratères lunaires, qui portent des noms de scientifiques ou de philosophes.

L'usage a surtout retenu les noms attribués par les Romains : Uranus, Neptune et Pluton ont ainsi été baptisés par leurs découvreurs en 1781, 1846 et 1930. Depuis sa création en 1919, c'est l'UAI qui est responsable de la nomenclature des astres (et avalise parfois le choix du découvreur, comme pour Pluton en 1930). 

À partir des années 1960, les découvertes spatiales ont conduit à nommer non seulement les objets célestes, mais aussi les reliefs découverts sur les planètes. C’est ainsi que sur Mercure, consacré aux arts, se trouvent les cratères Mozart, Tolstoï ou Delacroix. Sur Mars, les petits cratères portent les noms de villes ou villages terrestres, notamment Bordeaux, Bristol et Tombouctou.

Quant aux satellites des planètes géantes, nombreux et souvent saturés de cratères, ils sont chacun consacrés à un seul thème. Sur Ganymède, satellite de Jupiter, les cratères et chaînes de montagnes sont associés aux dieux et héros de la Mésopotamie. Autre satellite de Jupiter, Io est couvert de volcans aux noms de divinités et héros du feu, du soleil, du tonnerre ou des volcans. Sur Téthys, satellite de Saturne, les accidents du relief sont nommés d’après les noms cités dans L’Odyssée d’Homère ; et sur Japet, un autre satellite de cette même planète, d’après les noms tirés de La Chanson de Roland.

Comme chaque année apporte son lot de découvertes, l’UAI s’ouvre désormais aux mythologies moins connues, comme celles des Inuits ou des Mélanésiens.

Bernard Nomblot le 10/07/2013