La géo-ingénierie sous l’œil de l'Académie

Utiliser des technologies à grande échelle pour contrecarrer le changement climatique, telle est l'ambition de la géo-ingénierie. Fin juin, l'Académie des sciences s'est penchée sur ces solutions très controversées, histoire d'évaluer leur validité scientifique et leur éventuel intérêt dans la lutte contre le réchauffement.

Par Roxane Tchernia, le 23/07/2013

Si l’Homme a pu modifier le climat par inadvertance, pourrait-il corriger ses erreurs en le modifiant à nouveau, mais de manière contrôlée ? L’idée n’est pas nouvelle et, depuis la fin des années 80, les projets les plus divers de « géo-ingénierie » ont été proposés : tendre une bâche réfléchissante dans l’espace, injecter des particules dans l’atmosphère ou modifier la chimie des océans… la communauté scientifique a, dans son ensemble, toujours été très critique vis-à-vis de ces solutions hasardeuses, voire irréalistes.

Pourquoi l’Académie des sciences s’intéresse-t-elle aujourd’hui à la géo-ingénierie ? La réponse de Hervé Le Treut

Pourtant, depuis quelques années, le contexte a un peu changé. Malgré les efforts liés au protocole de Kyoto, les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, le taux de CO2 dans l’air franchissant même la barre symbolique des 400 ppm durant le mois de mai (contre 300 ppm à la fin du XIXe siècle). Autant de données laissant présager une augmentation des températures de 2,4 à 2,8 °C d’ici 2100.

Face à ces perspectives de réchauffement, l’ingénierie climatique planétaire apparaît à certains comme la solution de la dernière chance. Une solution suffisamment mise en avant par les médias pour que l’Académie des sciences décide de s’y intéresser à travers une séance publique organisée le 25 juin 2013. « Il était important que la communauté scientifique se saisisse de ce dossier afin que ces idées soient étudiées de manière factuelle », souligne Hervé Le Treut, climatologue et membre de l’Académie des sciences.

Ensemencement atmosphérique

L’une des approches envisagées consiste à limiter l’effet de serre en réduisant la quantité de rayonnement solaire pénétrant dans l’atmosphère. La technique de « l’ensemencement atmosphérique » propose ainsi de pulvériser dans la stratosphère du gaz ou des petites particules chimiques capables de réfléchir ou d’absorber les rayons solaires, engendrant à terme une baisse des températures.

De grandes éruptions volcaniques, comme celle du Pinatubo (Philippines) en 1991, peuvent entraîner un refroidissement climatique.

Un processus très comparable peut être observé lorsque des éruptions volcaniques projettent dans l’atmosphère des cendres ou du dioxyde de soufre. D'ailleurs, parmi les particules ou les gaz envisagés figurent le sulfure d’hydrogène ou des aérosols d’acide sulfurique, capables tous deux de rediffuser une partie du rayonnement solaire vers l’espace.

L’utilisation d’aérosols marins pourrait conduire à un effet similaire. En envoyant des sels marins dans la basse atmosphère, la vapeur d’eau pourrait être condensée dans les nuages maritimes et ainsi augmenter leur pouvoir réfléchissant. Reste que ce mécanisme plus complexe est pour le moment moins bien connu et très consommateur d’énergie. Au contraire, les estimations indiquent que les aérosols atmosphériques seraient beaucoup plus efficaces et que le refroidissement généré compenserait très largement l’énergie nécessaire à leur pulvérisation.

Venu présenter ces approches, Olivier Boucher, du Laboratoire de météorologie dynamique, un laboratoire commun à l'École polytechnique, l'ENS et l'université Pierre et Marie Curie, reste malgré tout très prudent : « Toutes ces techniques de gestion du rayonnement solaire n’existent que sur le papier, et il n’y a aucune expérimentation de ce type en cours ». Aussi le seul moyen de les évaluer est-il de recourir à des simulations numériques et d'étudier des analogues naturels ou des pollutions causées par l’Homme. Or ces méthodes d'évaluation montrent que les effets collatéraux sont innombrables. La baisse de température s'accompagnera, par exemple, d'un changement du régime des pluies, avec notamment une baisse des précipitations dans les zones tropicales et les continents de l'hémisphère nord. Mais pour Olivier Boucher, « le plus grand risque demeure le rattrapage climatique qui s’opérera le jour où des techniques d'ingénierie climatique seront interrompues ». Effectivement, après un arrêt brutal des pulvérisations d’aérosols au terme de cinquante ans d’utilisation, la Terre se réchauffera brutalement à des taux trois à quatre fois supérieurs à ce que l’on aurait observé en l’absence complète de pulvérisations.

Fertilisation océanique

Une approche alternative vise à amplifier les phénomènes de captation du CO2 par les réservoirs naturels. L’océan constitue l’une de ces réserves et augmenter son rôle de « pompe à carbone » pourrait permettre de réduire le taux de CO2 dans l’atmosphère.

Du phytoplancton visible depuis l'espace

Stéphane Blain, de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), décrit le procédé envisagé, connu sous le nom de fertilisation océanique. Le phytoplancton présent en surface consomme du CO2 atmosphérique par photosynthèse. En mourant, il tombe au fond des océans et y fixe alors le carbone durablement. Or le fer est l’un des éléments essentiels à la croissance du phytoplancton. En fertilisant les espaces océaniques où ce nutriment fait défaut, il serait donc possible de stimuler la photosynthèse du phytoplancton et donc la consommation de CO2.

À l’origine de cette idée figure l’océanographe américain John Martin, qui déclarait à la fin des années 1980 : « Donnez-moi un demi-tanker de fer et je vous donnerai un âge glaciaire ». Depuis 1993, une douzaine d’expériences contrôlées de fertilisation artificielle ont été menées sur de très petites échelles. Elles démontrent effectivement que l’ajout de fer permet d’amplifier le transport du CO2 de l’atmosphère vers l’eau de surface. « Mais ça ne suffit pas pour que ce soit durable, explique Stéphane Blain, il y a de grandes incertitudes sur les quantités réelles de carbone transférées en profondeur ». 

Certains effets secondaires sont quant à eux avérés. En mai 2010, par exemple, une publication de la revue PNAS indiquait que dans les zones fertilisées, une microalgue capable de produire un neurotoxique était en augmentation. D’autres études montrent qu’avec la fertilisation, les fonctionnements biologiques entraînent la diffusion d’un autre gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote. Or ce gaz a un impact thermique 300 fois supérieur au dioxyde de carbone. Son émission annulerait donc les bénéfices obtenus par la fertilisation.

Capturer et stocker le dioxyde de carbone

Captage, transport et stockage géologique du CO2

Alors que les dispositifs précédents tablent sur l’intensification de processus naturels, le stockage géologique du CO2 s’inscrit dans une autre logique : injecter artificiellement du dioxyde de carbone dans le sous-sol. Deux lieux peuvent être appropriés à la réception de ce gaz : les aquifères salins profonds et les réservoirs pétroliers qui ne sont plus exploités. Olivier Vincké, de l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN), explique aux membres de l’Académie le fonctionnement de la filière capture et stockage du CO2 (CSC) : « Les réservoirs pétroliers contenaient de l’huile et du gaz, ils nous ont donné la preuve de leur étanchéité durant des milliers d’années ».

L’objectif est donc de récupérer le gaz produit, en sortie des cheminées d’usines par exemple, de le transporter jusqu’aux sites de stockage et de l’injecter en profondeur. Il s’agit finalement plus d’une atténuation préventive que d’une réduction du dioxyde de carbone existant. Avec cette initiative, « on produit mieux, on produit plus », résume Olivier Vincké.

C’est d’ailleurs ce qui est souvent reproché à cette solution : plusieurs ONG craignent que le CSC devienne un prétexte pour poursuivre l’exploitation pétrolière. Selon l’IFPEN, les obstacles sont plutôt les risques environnementaux encourus et un coût excessif. « Mais les technologies deviennent plus matures. On va donc réussir à baisser le coût de la capture », répond le spécialiste. Reste que pour l’heure, seules quelques expériences-pilotes de moins de 100 000 tonnes ont vu le jour.

Un système climatique trop complexe

Quelles solutions face au réchauffement climatique ? Le point de vue de Hervé Le Treut

Ensemencement atmosphérique, fertilisation marine, stockage du CO2… pour l’académicien Hervé Le Treut, intervenir sur un appareil aussi complexe et aussi mal maîtrisé que la machine climatique demeure une entreprise risquée : « L’ingénierie climatique n’est certainement pas une solution universelle et probablement pas une solution du tout. Il y a une grande difficulté à agir sur un système qu’on n’est pas capable de prédire ». Il souligne également l’importance de la préservation de la biodiversité. Sur ce point, il rejoint Robert Dautrey, membre de la section Sciences mécaniques et informatiques : « Tous ces remèdes sont faits pour sauver les hommes, mais pas le vivant. Il faut intégrer les écosystèmes et surtout leur dynamique ». 

Roxane Tchernia le 23/07/2013