Champignons et insectes, racines de la biodiversité

La diversité des forêts tropicales interroge depuis longtemps les écologistes. Une équipe britannique démontre pour la première fois comment des champignons et les insectes contribuent à maintenir cette biodiversité : une théorie établie il y a plus de quarante ans mais qui restait à démontrer.

Par Véronique Marsollier, le 29/01/2014

Les forêts tropicales d’Amérique centrale et du Sud peuvent abriter plus de 200 espèces d'arbres par hectare. Comment expliquer une telle diversité ? Pourquoi, comme on l’observe dans les pays tempérés, certaines espèces ne dominent-elles pas les autres ? Une équipe du département de zoologie d’Oxford semble avoir trouvé une réponse. Elle démontre, à travers une expérience menée dans une réserve forestière du Belize, que les insectes mais aussi des champignons contribuent de façon décisive au maintien de la diversité des plantes et arbres tropicaux. Les résultats de cette étude sont parus dans un article de Nature  du 24 janvier.

Une théorie de la biodiversité

champignon pathogène
Un champignon (Dictyophora sp.) dans la forêt tropicale du Belize

Jusqu’à présent, quelques modèles ont tenté de démontrer l’origine de cette diversité, comme celui très populaire dans les années 1970 et 1980 de Janzen-Connell. Cette théorie explique pourquoi une espèce particulière ne peut se développer aux dépens des autres.

L'idée est que plus une espèce d’arbre est abondante, plus elle est attaquée par les agents pathogènes : insectes herbivores, champignons, bactéries, virus... Les espèces dominantes sont ainsi maintenues à un niveau stable, et la place libérée est disponible pour d'autres espèces.

La théorie de Janzen-Connell

En 1970 et 1971, les écologistes Daniel Janzen et Joseph Connell proposent une théorie expliquant la diversité des forêts tropicales d’Amérique centrale et du Sud. En s’attaquant aux graines d'une espèce, les ennemis naturels ou agents pathogènes (insectes herbivores, champignons, bactéries, virus) ne font pas que les détruire. Ils rendent également la zone environnante inadaptée à la survie de jeunes pousses : seules les plantules les plus éloignées survivent. L'espacement ainsi créé permet alors aux arbres et végétaux de s'implanter. Conséquence : une diversité d’espèces et une limitation de l’action des agents pathogènes. Un autre mécanisme est étroitement associé à cette hypothèse, celui de la « densité-dépendance négative ». Lorsqu’une espèce d’arbre ou de graine est trop abondante, elle devient la cible privilégiée des insectes et des agents pathogènes. Ce qui provoque une augmentation de leur mortalité : les espèces plus rares résisteraient donc mieux que les espèces plus communes.

Le rôle négligé des champignons

D'autres hypothèses favorisant la diversité dans les forêts tropicales selon Sébastien Barot (audio)

La théorie de Janzen-Connell a beau être séduisante, elle n’avait jusqu'à présent jamais été démontrée in situ. En réalisant leur expérience, les chercheurs britanniques espéraient bien la mettre à l’épreuve. Dans la forêt de Chiquibul, au Belize, ils ont ainsi testé l’influence des insectes et des champignons sur la biodiversité. Des expériences comparables ont déjà été menées par le passé sur les insectes, mais c’est la première fois que le rôle des champignons est évalué.

Graines germées
Des graines germées au pied d'un arbre, au Belize

Pendant 17 mois, les chercheurs se sont ainsi intéressés à des parcelles de 1 mètre carré comportant des graines et des jeunes plants, traitées respectivement avec un insecticide et un fongicide. Résultat : l’insecticide a eu peu d’impact sur la biodiversité. Les scientifiques ont seulement observé une altération de l’abondance de certaines espèces. En revanche, le fongicide a provoqué une baisse de la diversité des espèces de 16 %.

Cette étude établit donc très nettement un lien entre un groupe d’ennemis naturels (insectes, champignons) et la diversité des espèces d’arbres de la forêt tropicale humide. Elle montre surtout que les champignons pathogènes sont des facteurs déterminants dans le maintien de cette biodiversité. Pour Pierre-Michel Forget, maître de conférence en écologie tropicale au Muséum d’histoire naturelle, « le rôle des insectes ou des vertébrés sur la survie des graines et des plantules a souvent été testé, mais jamais celui des pathogènes [comme les champignons, NDLR]. Cette étude devrait ainsi faire référence ».

Au Belize, l’équipe britannique prévoit d’étendre ses expériences à d’autres régions. Menacée par les destructions humaines ou le changement climatique, la biodiversité des forêts humides tend à décroître. Pour les chercheurs, comprendre ses mécanismes les plus subtils permettra sans nul doute de mieux la protéger.

Véronique Marsollier le 29/01/2014