Un cerveau reconstruit post mortem

Le cerveau modélisé de Henry Molaison, un homme décédé en 2008 et célèbre pour l'amnésie particulière dont il souffrait, permet de mieux comprendre le rôle de certaines zones de l’hippocampe liées à la mémoire.

Par Véronique Marsollier, le 21/02/2014

Le cerveau lésé d'Henry Molaison, un célèbre patient décédé en 2008, continue de livrer ses secrets. La cartographie détaillée de son cerveau, reconstitué en 3D dans le cadre du projet The Brain observatory, prouve qu’Henry Molaison avait conservé une partie de son hippocampe contrairement à ce que l’on pensait de son vivant. Le rôle que joue cette zone du cerveau sur le fonctionnement de la mémoire, sans être remis en cause, va donc être affiné. C’est ce que révèlent les chercheurs de l’Observatoire du cerveau de San Diego, en Californie, dans une étude parue dans Nature communication le 29 janvier 2014.

Un cerveau pour la science

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Le cerveau d'Henry Molaison

Le cerveau de Henry Gustav Molaison est sans doute l'un de ceux qui ont été le plus étudiés dans l’histoire des recherches sur la mémoire. Et ce, en raison d'une chirurgie expérimentale aux conséquences inattendues. En 1953, cet homme subit une opération destinée à soigner une grave épilepsie. Lors de cette intervention, on lui enlève de petites parties des lobes du cerveau. Le chirurgien lui retire notamment une grosse partie de l'hippocampe dont on connaît mal le rôle à l’époque. À l’issue de cette opération, ses capacités intellectuelles, sa personnalité, ses compétences linguistiques et perceptives demeurent intactes, mais il souffre d’une amnésie particulière. S'il se souvient de sa vie antérieure, il est dorénavant incapable de stocker des informations dans sa mémoire à long terme.

Henry Molaison se prêtant volontiers aux expériences scientifiques, il a contribué à une meilleure compréhension du fonctionnement des différentes mémoires de l'Homme. Grâce à sa collaboration étroite avec les chercheurs, les scientifiques constatent que si l'hippocampe ne fonctionne pas ou est supprimée, il est impossible d’engranger de nouveaux souvenirs. Grâce à lui également, ils découvrent que l’amnésie n’empêche pas certains types d’apprentissage. Un test mis au point par la neuropsychologue Brenda Milner démontre que la mémoire procédurale d’Henri Molaison est préservée. Il est donc possible pour lui d’apprendre, mais sans en avoir conscience. Cette expérience révèle donc que la mémoire à long terme (procédurale) et celle à court terme (déclarative) sont distinctes. « Ces mémoires sont compartimentées, associées à des processus cognitifs différents », explique Suzanne Corkin, neuroscientifique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui a aussi étudié le célèbre patient. Mais les techniques d’exploration du cerveau, jusqu'il y a peu, n’étaient pas assez puissantes pour définir les limites exactes des lésions du cerveau de Henry Molaison.

Révélation post mortem

En léguant son cerveau à la science à son décès en 2008, Henry Molaison a permis la poursuite des recherches. En décembre 2009, une équipe du Brain observatory à San Diego (Université de Californie) découpe le cerveau congelé à -40°C en 2401 tranches très fines de quelques microns, à l’aide d’un microtome. Photographiées puis numérisées, ces images sont utilisées pour créer un modèle 3D microscopique de l’ensemble de son cerveau. Cette modélisation d’une grande qualité permet aux chercheurs de mieux appréhender les conséquences de sa lobotomie. Mais surtout de lier ses problèmes de mémoire à des zones spécifiques du cerveau. C’est d’ailleurs cette dissection virtuelle qui a révélé aux chercheurs qu’une partie importante de son hippocampe était encore en place contrairement à ce qu’on pensait jusqu’à maintenant. Suite à cette découverte, une réévaluation du rôle de certaines zones de l’hippocampe doit être envisagée selon l’équipe californienne. Mais d’après Francis Eustache, spécialiste de la mémoire, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études et à L’INSERM-EPHE-Université de Caen ”c’est surtout une étude remarquable, un véritable travail d’orfèvre, qui permet de compléter et d’affiner les connaissances de ce cerveau emblématique”.

Un cerveau post-mortem est vraiment utile si vous pouvez lier l’anatomie au comportement réel d’une personne. C’est de cette manière qu’il est possible de faire des liens entre ce qu’est un cerveau et qui nous sommes”, explique Jacopo Annese, directeur du The Brain Observatory. C’est l'apport irremplaçable, au-delà de la mort, du cerveau d’Henry Molaison.

Véronique Marsollier le 21/02/2014