OGM : gare aux chiffres

Les superficies de plantes génétiquement modifiées se seraient étendues de 3 % dans le monde en 2013, selon le rapport annuel d'un organisme de référence dans le domaine, l'ISAAA. Signe d'un développement continu ? Pas si simple.

Par Véronique Marsollier, le 13/03/2014

C’est dans un contexte européen troublé par les dissensions en matière d’autorisations de cultures de maïs OGM – notamment le TC1507 de Pioneer et le MON810 de Monsanto – qu’est sorti, le 13 février, le dernier rapport de l’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA), un organisme à but non lucratif réputé favorable au développement des biotechnologies végétales. 

D'après ce rapport, les cultures de plantes génétiquement modifiées à travers le monde sont en pleine expansion : leur superficie mondiale a atteint, en 2013, 175,2 millions d’hectares, soit une croissance de 3 % par rapport à 2012.

En 2013, 27 pays en cultivaient : 19 pays en développement et 8 pays occidentaux. Ce qui signifie que plus de la moitié de la population mondiale (60 %), soit 4 milliards de personnes, vit dans un pays cultivant des OGM. Des chiffres assez éloquents a priori pour démontrer le succès croissant des plantes transgéniques sur le marché mondial de l’agroalimentaire.

Pour l’ISAAA, les cultures transgéniques devraient d'ailleurs continuer à progresser, surtout dans les pays en développement (Burkina Faso, Soudan…) ou en émergence. Le Brésil, par exemple, est à l'origine des deux tiers de la progression enregistrée en 2013.

Carte mondiale des pays de cultures biotechnologiques
Carte mondiale des pays de cultures biotechnologiques

Question de point de vue

Pourtant, ces chiffres peuvent être analysés d’une toute autre manière. Selon Inf’OGM, une association d'expertise opposante aux OGM, qui doit publier une contre-expertise du rapport, la tendance serait ainsi plutôt à une « décélération de l’augmentation » des surfaces dédiées aux cultures transgéniques à travers le monde. En effet, entre 2010 et 2011, les surfaces mondiales cultivées avaient augmenté de 8 %. L'augmentation n’était déjà plus que 6 % entre 2011 et 2012. Avec seulement 3 % de hausse, 2013 représente donc la croissance la plus faible depuis 1996.

En outre, cette augmentation globale des superficies dissimule un autre phénomène : le nombre de pays cultivant des plantes transgéniques diminue lentement, mais inexorablement : 29 en 2011, 28 en 2012, 27 en 2013. L’an dernier, l’Égypte a ainsi suspendu ses cultures commerciales d’OGM, comme l’ont fait plus tôt l’Allemagne, la Suède et la Pologne.

Autre point notable : les cultures d’OGM restent très concentrées, puisque quatre pays se partagent à eux seuls 83,2 % des surfaces de cultures transgéniques mondiales. Arrivent en tête les États-Unis, suivis par le Brésil, l’Argentine et l’Inde. Les États-Unis restent sans conteste le leader du groupe avec 70,1 millions d’hectares cultivés. En revanche, le Mexique, le Canada et l’Australie voient leur production régresser ou stagner. En Europe, le Portugal, la Tchéquie et la Slovaquie ont restreint leurs plantations de maïs transgéniques en 2012, tout en maintenant leur production en 2013. D’autres se limitent (8 pays au niveau mondial) à cultiver des surfaces très réduites : moins de 0,1 million d’hectares comme la Slovaquie (environ 100 ha).

En Europe, Espagne et Portugal en tête

Selon Inf’OGM, en 2013, un seul OGM a été cultivé en Europe : le maïs insecticide Monsanto MON810. Il a été semé sur 148.628 ha et affiche une progression de 15 % par rapport à 2012. Cette progression est due à l’Espagne (+18 %), le plus grand producteur de maïs OGM de l’Union européenne (l’Espagne et le Portugal représentent 95 % de la production de MON810). Elle compense la diminution (-13,4 %) des surfaces cultivées dans trois autres pays (Portugal, Slovaquie, République tchèque). Les OGM sont cultivés seulement dans cinq pays sur 27 de l’Union européenne : Espagne, Portugal, Roumanie, République tchèque et Slovaquie. Cela représente 0,8 % de la surface agricole de l’Union européenne. Six pays – la France, le Luxembourg, la Grèce, la Bulgarie, la Hongrie et l’Autriche – ont adopté des moratoires sur la culture du maïs MON810 et certains pour la pomme de terre Amflora.

Une marge de progression limitée

Expert d’Inf’OGM, Christophe Noisette doute que les cultures d’OGM continuent à s’étendre. En effet, la plupart des pays producteurs ont atteint un niveau de saturation. Aux États-Unis, par exemple, 90 % des cultures de maïs, de soja, de colza et de coton transgénique sont génétiquement modifiées. « Même s’il y a saturation du marché pour certains pays, il resterait une marge de manœuvre, analyse Christophe Noisette : les nouvelles plantes. Or ce n’est pas le cas ».

En effet, les nouvelles variétés transgéniques – destinées à l’alimentation humaine, cette fois – sont boudées. À l’exemple d’un haricot transgénique résistant aux virus, expérimenté au Brésil. En effet, ce grand producteur de soja et de maïs transgéniques ne semble pas disposé à l’autoriser. Le riz doré mis au point en 2001 – en dépit de quelques essais en champ en 2013 aux Philippines, mis en avant dans le rapport de l’ISAAA – n’est toujours pas sur le marché. « Des déceptions commerciales comme pour la pomme de terre Amflora, autorisée en 2013 mais qui n’est pas cultivée, sont probablement à l’origine d’une désaffection croissante, remarque Christophe Noisette. Les OGM n’ont plus le vent en poupe. En Europe et dans le monde, les opinions publiques et des élus se mobilisent contre son expansion, des filières non-OGM se mettent en place ».

Au-delà de ce relatif désintérêt pour les OGM, cependant, les biotechnologies se diversifient. En effet, le transfert d’un gène n’est plus la seule technique pour améliorer les propriétés des plantes. De nouvelles techniques, plus opérationnelles et plus efficaces, sont aujourd'hui mises au point dans les laboratoires. Elles ont pour noms barbares : « mutagenèse dirigée », « nucléase en doigt de zinc » ou « cisgenèse »... Ces plantes transformées restent soumises à la législation européenne sur les OGM, même si leur caractère d'OGM n’a toujours pas été tranché par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA). En attendant, le Parlement européen a rejeté, le 11 mars, une proposition de résolution visant à créer une procédure d'autorisation pour la cisgenèse distincte de celle des plantes transgéniques. Affaire à suivre.

Véronique Marsollier le 13/03/2014