Biotechnologies : les médicaments OGM débarquent !

La prochaine révolution pharmaceutique aura-t-elle lieu dans les étables ? C'est ce que laisse supposer la mise au point récente d'animaux sécrétant dans leur lait des protéines thérapeutiques humaines. Hormone de croissance, insuline aujourd'hui, et demain molécules anticancéreuses seront extraites du lait de vaches, chèvres et lapines OGM…

Par Pedro Lima, le 21/06/2007

En Argentine, un élevage hors du commun

Près de Buenos Aires, un élevage presque comme les autres...

A première vue, la ferme située à une centaine de kilomètres au sud de Buenos Aires, capitale de l'Argentine, ressemble à n'importe quelle autre, en Normandie ou ailleurs. Mêmes vaches broutant paisiblement l'herbe tendre, mêmes clôtures, mêmes étables dans lesquelles les mammifères attendent que les « gauchos », fermiers locaux, viennent traire leurs pis gonflés de lait…

Pourtant, à y regarder de plus près, certains indices attirent l'attention du visiteur. Au milieu du pâturage, deux personnages en blouse blanche entourent un veau, et commencent à lui donner le biberon. A l'intérieur de l'étable, d'autres techniciens observent des échantillons au microscope. Plus étonnant encore, une vache dont la panse indique qu'elle est enceinte, est entourée de toute une équipe scientifique, en train de réaliser une échographie au moyen d'un appareil médical dernier cri ! Il faut se rendre à l'évidence, cet élevage n'a rien à voir avec les exploitations agricoles qui existent par milliers en Argentine, terre de bétail et d'élevage.

Des vaches productrices d'insuline humaine

L'un des quatre veaux transgéniques de race Jersey porteurs du gène de l'insuline humaine

Nous sommes en réalité dans un lieu tenu secret par l'entreprise de biotechnologie Biosidus, qui gère ce troupeau de 200 bovins hors du commun. C'est que les quadrupèdes portent dans leur lait un authentique trésor, fruit de plusieurs années de recherche et de laborieuses manipulations génétiques : des protéines thérapeutiques destinées à l'homme.

Les scientifiques argentins viennent de réaliser une première mondiale : la naissance coup sur coup de quatre veaux clonés transgéniques porteurs du gène de l'insuline humaine. Des veaux qui, arrivés à maturité, pourront produire dans quelques mois une quantité importante de la précieuse protéine (environ 6 kg/an), utilisée dans le traitement de certaines formes du diabète. La protéine, sécrétée dans le lait des mammifères, n'aura alors plus qu'à être extraite du précieux liquide par la technique de chromatographie.

Exploits précédents

Les chercheurs de la société argentine Biosidus ont déjà réussi une première mondiale il y a cinq ans : la naissance de vaches transgéniques porteuses du gène de l'hormone de croissance humaine (Hgh), un médicament prescrit dans certaines formes de nanisme chez l'enfant. Avec d'autres succès, obtenus à travers le monde sur des mammifères comme la chèvre ou le lapin, la naissance des vaches clonées argentines constitue la suite logique du clonage de la brebis Dolly, réalisé il y a dix ans en Ecosse… Et la première application du clonage réellement utile pour l'homme.

Un taux de réussite inférieur à 1%

Le bras affectueusement posé sur « Patagonia », l'un des quatre veaux porteurs du gène de l'insuline humaine, le responsable du développement technologique chez Biosidus, Claudio Santos, explique les dessous de l'exploit : « Chacune de ces naissances est le fruit d'un long processus, au cours duquel nous clonons des centaines d'embryons, en faisant fusionner une cellule fœtale bovine dans laquelle nous avons intégré le gène humain de l'insuline, avec un ovocyte bovin préalablement débarrassé de son patrimoine génétique. Cet embryon cloné est ensuite inséminé dans une vache porteuse, qui peut donner naissance à un veau transgénique ».

Louis-Marie Houdebine

Un procédé technique très complexe, qui nécessite à la fois la maîtrise des outils de la biologie moléculaire la plus pointue, mais également une connaissance agronomique et vétérinaire poussée, ainsi que les meilleures conditions d'élevage. Même avec tous ces atouts, Biosidus annonce un taux de réussite ne dépassant pas 1%, l'immense majorité des tentatives de clonage échouant en cours de route. Un programme coûteux, également, évalué à plusieurs millions de dollars.

Marché lucratif en perspective

Si Biosidus est prêt à fournir de tels efforts, c'est que les bénéfices attendus sont à la mesure des investissements. En faisant produire l'insuline dans le lait de ses vaches, véritables bioréacteurs pharmaceutiques, l'entreprise prétend réduire le coût de fabrication de la précieuse protéine de plus de 30% par rapport à la technique actuelle, basée sur l'expression d'insuline dans des bactéries contrôlées par l'homme. La vache possède en effet l'avantage de produire de grandes quantités de lait, et donc de protéines. D'autres modèles, comme la lapine, sécrètent moins de protéines, car elles font moins de lait, mais se reproduisent plus vite…

Une lignée de lapins transgéniques obtenue par l'entreprise française Bioprotein afin de produire des protéines humaines.

« Avec seulement 25 vaches comme Patagonia, assure Carlos Melo, directeur de projet chez Biosidus, nous pourrons bientôt assurer la production d'insuline nécessaire pour traiter tous les diabétiques argentins, soit 150 kilogrammes de protéine par an ». Un marché évalué, à lui seul, à plus de 150 millions de dollars.

On imagine alors ce que pourrait représenter l'irruption de « l'insuline argentine OGM » sur le marché mondial, alors que l'augmentation constante du nombre de diabétiques dans les pays développés prend des allures de véritable épidémie…

Médicaments OGM en Europe

Injection du matériel génétique portant le gène de la protéine d'intérêt dans une cellule de lapin.

Une perspective d'autant plus réaliste que les médicaments issus d'animaux génétiquement modifiés sont devenus, depuis très peu, une réalité. Au mois de juin 2006, l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) a en effet accordé une autorisation de mise sur le marché, pour tous les pays de l'Union, à une protéine extraite du lait de chèvres transgéniques, émanant d'une entreprise américaine de biotechnologies, GTC Biotherapeutics. Ce médicament, l'ATryn, contient de l'antithrombine alpha, normalement produite dans le corps humain, et qui élimine les caillots de sang avant qu'ils ne deviennent nocifs. Elle est administrée aux personnes qui ne disposent pas du gène à l'origine de la production d'antithrombine alpha, ce qui les rend susceptibles à un risque de thrombose (caillot de sang bouchant une artère).

« L'autorisation accordée à l'Atryn constitue un événement important, qui démontre l'efficacité de cette approche, et lève les craintes sur d'éventuels risques sur la santé humaine liés aux médicaments OGM », souligne Louis-Marie Houdebine, chercheur en biologie du développement et reproduction à l'Inra et conseiller scientifique de l'entreprise française de biotechnologies, Bioprotein.

Quels risques pour l'homme ?

Lors des premières demandes d'autorisation de mise sur le marché de protéines issues d'animaux OGM, les risques liés à la transmission d'agents pathogènes par les animaux, tels que les prions, ont en effet été évoqués. « Nous avons donc été particulièrement vigilants en instruisant le dossier de l'Atryn, qui a été soumis à des essais cliniques rigoureux, commente Jean-Hugues Trouvin, directeur de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), qui a instruit le dossier de l'Atryn. Nous nous sommes assurés que les animaux étaient issus d'élevages entièrement clos, rendant les échanges avec l'extérieur impossibles. Autre garantie, ces animaux ne sont pas nourris avec des farines animales, ce qui exclut la transmission de certains agents pathogènes tels que les prions ».

Louis-Marie Houdebine

Les protéines humaines issues d'animaux OGM semblent donc avoir de beaux jours devant elles. Hormones de croissance, insuline, mais aussi protéines combattant spécifiquement certaines tumeurs devraient peu à peu se généraliser. « Nous avons actuellement une dizaine de demandes préalables à l'autorisation de mise sur le marché pour de telles protéines », confirme Jean-Hugues Trouvin.

Dix ans après le clonage de la brebis Dolly, l'avènement des médicaments OGM risque bien de devenir une réalité. Et les chercheurs-éleveurs argentins de Biosidus peuvent déjà se frotter les mains…

Pedro Lima le 21/06/2007